Société

Ce que ça fait d’être sans-abri quand on est étudiant

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Bien que l’absence de domicile soit incroyablement difficile pour quiconque en fait l’expérience, les jeunes sans abri sont catapultés de force dans la vie adulte.

Au Royaume-Uni cette année, 103 000 personnes âgées de moins de 25 ans ont fait appel aux conseils municipaux pour obtenir de l’aide en matière de logement. Un tiers de la population sans abri en Espagne a moins de 30 ans, tandis qu’aux Pays-Bas, le nombre de jeunes sans abri a triplé au cours des trois dernières années, selon le Bureau central néerlandais des statistiques. En France, 26 % des personnes sans domicile ont entre 18 et 29 ans.

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Back Up est une organisation basée dans la ville néerlandaise d’Utrecht qui aide les jeunes sans abri à se remettre sur les rails. C’est grâce à elle que j’ai rencontré Denice*, Sam* et Robin*, qui m’ont raconté ce que c’est que d’essayer d’étudier quand on n’a pas de logement.

Robin, 25 ans

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Robin. Photo : Djanlissa Pringels

Quand j’ai quitté la maison de mon enfance parce que mon beau-père insistait pour faire de ma vie un enfer, j’étais déjà inscrit à un cours de formation aux technologies de l’information et de la communication. Je voulais m’installer dans un logement étudiant, mais j’ai eu du mal, car aux Pays-Bas, ce sont les colocataires déjà en place qui doivent vous choisir. J’étais si déprimé à l’époque que je n’arrivais à convaincre personne.

L’étiquette « sans-abri » m’a rendu très anxieux. Après avoir été rejeté pour la énième fois, je n’avais plus l’énergie de chercher une chambre. Heureusement, j’avais économisé de l’argent, alors j’ai choisi de vivre dans des auberges bon marché pendant quelques mois.

« Quand tu croises les mêmes personnes tous les jours, tu te sens moins invisible. La routine aide beaucoup »

J’ai eu beaucoup de mal à dire à mes camarades de classe que j’étais sans-abri. Je pense qu’ils devaient le savoir, parce que j’avais l’air plutôt minable, je ne mangeais rien et j’étais très calme. Il était important pour moi de continuer à faire des activités qui me faisaient du bien, comme le sport ou la musique. De cette façon, je continuais à produire de la dopamine et je pouvais me concentrer davantage sur mes études.

Les études m’ont vraiment sauvé à l’époque. Quand tu croises les mêmes personnes tous les jours, tu te sens moins invisible. La routine aide beaucoup. Pour l’instant, je vis un peu partout, mais il y a de fortes chances que je puisse avoir une chambre dans un avenir proche. Alors je pourrai enfin commencer à vivre normalement.

Denice, 23 ans

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Denice. Photo : Djanlissa Pringels

Quand ma mère est décédée, je suis devenue une adolescente insupportable et cela a beaucoup nui à ma vie de famille. Quand j’ai quitté la maison à 18 ans, je me sentais très vulnérable. J’ai choisi les pires endroits pour vivre et traîné avec les mauvaises personnes. J’ai été harcelée par mon propriétaire, qui m’a dit que mon petit ami ne pouvait rester que si je lui accordais des faveurs sexuelles. Une nuit, je me suis réveillée en voyant mon propriétaire m’embrasser. Le lendemain, j’ai déménagé et je suis restée chez des amis.

Pour m’assurer un avenir, j’ai décidé de devenir cheffe. Cela m’a également procuré un sentiment de sécurité. Moins j’avais de stabilité à la maison, plus je m’accrochais à mes études. Je n’allais en cours qu’un jour par semaine ; le reste du temps, je travaillais. Les jours où je n’avais pas à penser à ma situation de vie difficile étaient une bénédiction.

« Je me suis concentrée sur mes études parce que cela me donnait une raison de rester en vie »

Je cherchais un endroit où vivre, mais je n’ai jamais été choisie par les propriétaires. Le peu d’argent que je gagnais grâce à des jobs étudiants – 1 000 euros – ne me suffisait pas à louer un appartement. En peu de temps, j’avais accumulé les dettes. Depuis que j’ai quitté le foyer familial, j’ai déménagé onze fois et j’ai perdu beaucoup d’affaires en cours de route. Ma dette est passée à 20 000 euros.

L’année dernière, j’étais dans une situation désespérée. Je n’ai pas trouvé d’endroit où rester, alors j’ai fini dans la rue. Au début, j’ai dormi dans une maison abandonnée pendant quelques jours. Les seules choses matérielles qu’il me restait tenaient dans deux sacs en plastique. Il faisait froid et je n’arrivais pas à dormir du tout. Je n’avais pas l’énergie d’aller en cours.

Après quatre nuits, j’ai pu aller dans un refuge pour sans-abri. Pendant la journée, j’étais au travail ou à l’école, où je faisais comme si tout allait bien. Les nuits étaient infernales. J’étais la plus jeune du refuge et l’une des rares femmes, ce qui faisait de moi une cible pour les hommes. Je me sentais en danger et je passais des heures à pleurer.

Étudier au refuge pour sans-abri était un autre défi. C’est difficile de se concentrer dans une pièce où les gens font du bruit et fument de l’herbe en permanence. Mais je me suis concentrée sur mes études parce que cela me donnait une raison de rester en vie.

Il y a quelques semaines, j’ai emménagé dans un petit appartement où je me sens en sécurité pour la première fois depuis des années. En plus de ça, je devrais bientôt obtenir mon diplôme. Un conseiller m’aide à régler ma dette – je suis heureuse de pouvoir enfin oublier cette période. J’espère que j’apprendrai à refaire confiance aux gens et à demander de l’aide un peu plus tôt la prochaine fois.

Sam, 21 ans

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Sam. Photo : Djanlissa Pringels

Quand j’avais huit ans, ma mère est retournée au Suriname et a laissé ses enfants dans trois foyers d’accueil différents. Malheureusement, personne ne voulait m’héberger, alors de mes 8 à 16 ans, j’ai vécu dans une unité de réadaptation. À l’époque, je voulais m’enrôler dans l’armée.

À 16 ans, je vivais chez un ami. J’avais du mal à me concentrer sur mes études et je ne m’entendais pas très bien avec sa mère. Un jour, quand j’avais 18 ans, j’ai décidé de sortir prendre l’air et elle en a profité pour m’enfermer dehors avec mes affaires. Je venais d’obtenir mon diplôme et j’étais sur le point de devenir soldat, mais je n’avais pas d’argent, nulle part où vivre et beaucoup de problèmes de santé mentale.

« Je m’assurais toujours d’avoir assez d’argent pour ne pas avoir à mendier. Je prenais des douches chez ma petite amie et j’avais toujours une brosse à dents sur moi »

J’ai décidé de m’inscrire à un autre cours – de cette façon, je pourrais vivre des bourses d’études. Comme je n’arrivais pas à trouver une chambre, j’ai séjourné dans un centre de crise pendant trois mois. Après cela, j’ai vécu avec les parents de ma petite amie, mais je ne pouvais pas être domicilié à leur adresse parce que j’avais beaucoup de dettes et qu’ils avaient peur qu’un agent de recouvrement se présente.

Ils ne voulaient pas de moi chez eux tous les soirs, donc j’ai passé beaucoup de temps à chercher un endroit pour dormir. Parfois, j’ai dû dormir dans la rue. Je n’arrivais pas à dormir, et je ne voulais pas dormir. Alors je fumais de l’herbe jusqu’au lever du soleil.

Je suivais un cursus de gestion à l’époque. Je faisais bien mes devoirs. Mais chaque fois que je dormais dans la rue, je me pointais en classe en planant complètement. Dans ces cas-là, mon mentor, qui était au courant de ma situation, me laissait faire une sieste dans la salle informatique.

Je ne me suis jamais senti comme un sans-abri. Je m’assurais toujours d’avoir assez d’argent pour ne pas avoir à mendier. Je prenais des douches chez ma petite amie et j’avais toujours une brosse à dents sur moi. Si j’avais besoin de nourriture, j’achetais un plat surgelé au supermarché local et je leur demandais de me le réchauffer. J’ai appris que beaucoup de gens sont prêts à vous aider du moment que vous n’avez pas peur de demander.

Étudier m’a vraiment sauvé, mais ce n’était pas facile. Dès que vous êtes sans-abri, l’argent devient votre principale préoccupation. Toute la journée, vous essayez de trouver des moyens de joindre les deux bouts.

Je ne me sens pas encore stressé par la dette que j’accumule. Je rembourserai tout quand je ne serai plus dans la rue. Mon rêve est de commencer une carrière dans le hip-hop, mais je veux d’abord terminer mes études pour ne plus jamais avoir à vivre dans la rue.

*Les noms ont été changés.

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