« Pourquoi voulez-vous à ce point aller en prison ? », demande le président du tribunal à un SDF jugé en comparution immédiate pour vol. « Pour danser le moonwalk de Michael Jackson », répond le prévenu en joignant le geste à la parole depuis son box. Voilà le genre d’histoires que je raconte à mes potes tous les week-ends. Depuis un an, je suis chroniqueur judiciaire pour le journal Ouest France à Nantes. Chaque jour, je guette les meilleures histoires des audiences correctionnelles. Celles qui garnissent les pages faits divers du journal et font causer la ménagère.
Violences, agressions sexuelles, stupéfiants, séquestrations, délits routiers : tout y passe. J’ai accepté ce poste, assez mal payé, par curiosité et goût pour l’envers du décor. Le monde judiciaire est, j’en suis aujourd’hui persuadé, une porte d’entrée idéale vers l’arrière-cuisine de l’espèce humaine. Au vu de ce que j’y ai vu et entendu, je ne regrette pas mon choix.
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Au départ, je n’avais pas d’appétence ni de connaissances particulières pour le juridique avant de répondre positivement au coup de fil d’un chef de service en manque d’effectif. Les premiers jours, j’ai un peu galéré pour comprendre comment fonctionne la machine. Puis je me suis familiarisé avec l’organisation d’une audience et la complexité du vocabulaire. Désormais, je salue le greffier en arrivant et je peux comprendre une discussion un peu technique entre un procureur et un avocat. Il m’arrive aussi de discuter des chroniques de Pascale Robert-Diard avec un collègue .
Les affaires d’agression sexuelle sont souvent les plus redoutées pour un novice comme moi. Tu arrives avec tes représentations et tes vannes sur Émile Louis et tu te retrouves confronté à des situations réelles – et sans filtre. J’ai vite appris qu’ici comme ailleurs, l’habit ne fait pas le moine. Deux dossiers m’ont particulièrement marqué. Dans le premier, un mec de 23 ans sans antécédent judiciaire, équilibré psychologiquement et inséré socialement. Il était poursuivi pour avoir « déraillé » selon son avocate. Après une rupture avec son ex-copine, il n’avait rien trouvé de mieux à faire que de montrer sa bite à des gamines à la sortie de son ancien collège. À première vue, on est loin du prédateur sexuel.
Sauf que lors de la perquisition, les policiers avaient découvert un nouvel élément. Sur le PC de l’accusé étaient en effet stockés des centaines de fichiers pédopornographiques. L’âge des enfants sur les photos s’étalait de 5 à 11 ans. Au milieu de cette audience assez pesante, cet ancien saisonnier du Puy du Fou a, lors de la comparution, réussi à faire sourire l’assemblée quand il a expliqué s’être d’abord « confié à un prêtre » avant d’aller consulter un psychologue pour se soigner. Au final, il a écopé de 18 mois avec sursis.
La deuxième affaire concernait à l’inverse un type avec le physique de l’emploi. Impossible de ne pas penser à Francis Heaulme en le découvrant dans le box entouré de deux gendarmes. L’homme s’était introduit dans la maison de gamins suivis à la sortie d’un collège pour voler plusieurs effets personnels avec lesquels il se masturbait une fois rentré chez lui. Parmi la palanquée d’objets retrouvés, on comptait notamment des photos de baptême et un carnet de correspondance. Je vous laisse imaginer le niveau d’imagination du mec.
Mutique en début d’audience, le prévenu a progressivement fendu l’armure en écoutant son avocat retracer son – triste – parcours. Celui d’un mec rejeté. D’abord refusé par les autres enfants à cause d’une malformation, puis agressé sexuellement par son professeur de tennis de table entre ses 8 et ses 12 ans. À l’époque, son prof fut condamné – mais il avait eu le temps de recroiser sa victime pendant sa détention provisoire.
« J’en peux plus de mes pulsions, a-t-il dit, en larmes. Faut tout me couper. »
« Il est facile de demander la castration chimique quand on sait qu’elle est interdite en France », avait rétorqué froidement le procureur. Représentant les intérêts de la société, le ministère public n’est pas payé pour faire dans la compassion. Au vu de ses antécédents et du risque de passage à l’acte, le mec avait finalement regagné la prison avec trois ans supplémentaires à effectuer.
Aussi, les affaires de stups sont omniprésentes dans les audiences correctionnelles. D’une part parce que nous sommes les plus gros consommateurs de cannabis en Europe. D’autre part car l’ILS – Infraction à la législation sur les stupéfiants – permet aux flics de remplir les grilles de la politique du chiffre assez facilement. Les dossiers traitant de drogues dures sont en général plus intéressants.
Comme ce couple de toxicomanes nantais impliqués dans un trafic d’héroïne que j’ai suivi et qui m’a marqué. L’homme y était décrit comme un « gangster à l’ancienne », alors que la femme, elle, semblait être issue d’une bonne famille. « Elle a voulu essayer en soirée, résumait son avocat. Vingt ans plus tard, elle se retrouve à servir de fusible à des trafiquants qui la tiennent avec une laisse chimique. »
À la barre du tribunal correctionnel pour la deuxième fois en un an, elle raconte son calvaire depuis le début de leurs ennuis judiciaires. L’affaire a commencé par la saisie d’un kilo d’héroïne à leur domicile au printemps 2015 – d’ailleurs filmée par les caméras d’Enquête d’action, l’émission de W9. Son mec incarcéré, elle devient vulnérable. Ce sont d’abord ses voisins qui détériorent son appartement donnant sur la rue et la menace après avoir reconnu leur quartier à la télévision. Elle est ensuite victime d’une séquestration durant trois jours par les trafiquants réclamant la somme de l’héroïne saisie.
Dans le box des accusés, son crâne porte encore les stigmates du scalp infligé par ses tortionnaires.
Vexé qu’elle n’ait pas cédé à son injonction de « porter plus de décolletées », son patron passait ses journées à l’insulter. « C’est normal que vous n’arriviez pas à avoir de gosses avec la petite bite de ton pédé ».
À ses côtés, son conjoint ne peut dénoncer les commanditaires – par peur des représailles. Contraint de jouer la mule pour rembourser les pertes du kilo saisi, il s’est fait serrer par les douanes avec 200 grammes de came dans sa voiture une semaine après sa sortie. Le tribunal l’a condamné à un an supplémentaire. La femme écope de trois mois pour complicité. Elle devra s’engager dans une énième cure de désintoxication, avec le bracelet à la cheville.
Au fil des audiences et des combos joggings-requins qui se succèdent à la barre, mes premières impressions se sont confirmées. La majorité des personnes poursuivies sont issues du bas de l’échelle sociale. Le Tribunal correctionnel est en effet une sorte de voiture-balai de la misère sociale. Surtout qu’en règle générale, la justice est plus sévère avec les personnes en situation de précarité. J’ai néanmoins le souvenir d’une exception – exception qui confirme la règle. L’histoire d’un dentiste en costume trois-pièces et sûr de lui. L’archétype du connard prétentieux fier de répondre « 11 000 euros » à la traditionnelle question du président sur les revenus mensuels du prévenu.
Le mec était poursuivi pour la deuxième fois pour le même motif : harcèlement sur l’une de ses assistantes. Sa victime, jeune quadragénaire, avait eu le malheur de tomber amoureuse d’un étudiant beaucoup plus jeune qu’elle. Vexé qu’elle n’ait pas cédé à son injonction de « porter plus de décolletées », son patron passait ses journées à insulter le couple qui sortait de l’ordinaire. J’ai retenu le savoureux : « C’est normal que vous n’arriviez pas à avoir de gosses avec la petite bite de ton pédé ».
À la barre du tribunal, le mec se décomposait au fur et à mesure devant l’énumération scrupuleuse de ses insultes par le président. Leur bassesse était confondante. C’est l’une des rares fois où j’ai senti la salle, magistrats compris, au diapason contre l’impunité enfin stoppée du dominant contre un dominé. La revanche de classe, une valeur sûre.
À la fin des débats, l’épouse du dentiste est venue me demander si leur nom apparaîtrait dans l’article. « Pour la réputation du cabinet, vous comprenez », m’avait-elle dit. Après lui avoir répondu que non, j’ai hésité à me raviser en demandant 100 balles en contrepartie. Elle me les aurait donnés, en guise de pourboire.
Après à peine un an d’audience, j’ai déjà de quoi remplir un bon recueil. À défaut de pouvoir tout raconter en détail, je me contenterais d’évoquer la crème des faits divers : le cas d’un kid qui braque un tabac la veille de ses 17 ans ou le papy escroc qui récupérait des vins grands crus en se faisant passer pour un organisateur de séminaires. Mention honorable au menuisier qui fait l’amour à un tesson dans un jardin public, l’homme bourré déguisé en nazi qui pointe une arme sur sa voisine, ou encore un jeune condamné à une amende pour avoir aidé son pote à s’évader de la gendarmerie.
Me revient également en tête l’histoire de deux retraités de l’armée qui se pardonnent à l’audience tandis qu’ils comparaissaient après une bagarre à coup de gourdins. La raison de la baston ? Une piscine gonflable. « Une véritable amicale des anciens combattants », avait lâché le président en roue libre après huit heures d’audiences non-stop.
C’est au cours d’un de ces moments de flottement tardifs qu’avait eu lieu l’évasion d’un jeune braqueur qui venait de prendre trois ans. Absent ce jour là, mon collègue de Presspepper m’avait raconté la scène. En gros, il avait assisté à un combat inégal. Celui d’un jeune mec affûté enjambant le box des accusés et évitant sans problème le seul policier encore présent à cette heure tardive. En voulant rattraper le fuyard, le fonctionnaire, assez âgé et pas très sportif, s’était rétamé dans les travées de la salle d’audience.
À l’opposé de la salle déserte, j’ai connu une audience à guichets fermés (la seule), en juin dernier. La faute à la centaine de supporters du FC Nantes venus soutenir Romain Gaudin, le capo de la Tribune Loire, relaxé dans une affaire de déplacement interdit à Lorient.
Si elles rompent avec la monotonie, ces histoires médiatisées servent également de respiration après d’autres affaires bien plus pesantes. Je me souviendrai longtemps de cette mère de famille agressée sexuellement avec ses deux sœurs par son père des années durant. Elle avait sollicité l’aide de ses oncles et tantes et s’était fait traiter de « menteuse » par ces derniers. Elle avait fini par se décider à porter plainte quand sa fille de dix ans lui avait rapporté des « caresses de papy sur le derrière ».
À ce moment-là, il était 14 h 30, je me pointais au tribunal en pensant traiter de petites violences conjugales ou les traditionnels délits routiers. Pourtant, je me retrouvais face à plus de vingt ans d’omerta familiale en train de se fissurer en présence des intéressés. « C’est dur d’être là après des années de silence ; on culpabilise, on a honte. Mes sœurs et moi sommes des survivantes. »
Quand la victime entre dans les détails, les visages hagards de magistrats pourtant chevronnés en disent alors long sur le degré de saleté des scènes rapportées. Bizarrement, à l’écoute de ce genre de récits, je me suis surpris à rester assez impassible, comme si je me blindais naturellement. D’un autre côté, je fais moins le malin quand ma collègue aux assises me raconte les comptes rendus du légiste dans une affaire d’infanticide.
Je ne pourrais pas terminer sans évoquer un dossier de fusillade. Sixième plus grande ville de France, Nantes n’échappe pas aux guerres de territoire pour le contrôle du trafic de drogue. Les quartiers de Malakoff et de La Bottière sont régulièrement le théâtre d’échanges de tirs, et l’absence de Kalashnikov sur Nantes a souvent permis d’éviter le pire. Plusieurs jeunes ont cependant été blessés plus ou moins gravement depuis deux ans. Les auteurs des tirs commencent à être jugés.
C’est ainsi que j’ai pu assister à la relaxe de deux acolytes en décembre dernier. Ils étaient alors poursuivis pour un drive-by en Twingo. L’avocat parisien Me Rubben avait fait le voyage pour l’occasion ; rompu à ce genre d’audience au parquet de Bobigny, le pénaliste a ainsi évité les 7 ans de prison requis contre son client. Le tribunal lui reprochait d’être l’auteur du coup de feu tiré à bout portant dans le dos de la victime. Quelques heures seulement après le verdict, les deux acquittés tombaient dans un guet-apens en quittant en voiture la prison où le tireur présumé effectuait sa détention provisoire. Pour échapper aux balles, le duo avait fini par se réfugier à la gendarmerie du coin. Un scénario « digne d’un polar ».
Il est très possible que le philosophe et cynique Emil Cioran ait eu raison. « Je suis fasciné par le malheur car la documentation est plus complète », avait-il dit dans l’un de ses nombreux pamphlets contre le fait même d’exister. Je crois qu’aujourd’hui, je le comprends. Le fait de regarder l’horreur humaine en face chaque jour constitue peut-être la meilleure façon de comprendre ce que l’on est, au fond.
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