Au cours des 31 derniers jours, dès l’instant où je passais le seuil de mon appartement, je pénétrais dans une zone sans écrans. Pas de télé. Pas d’ordinateur. Pas de téléphone. Gloups. C’est une idée que mon compagnon et moi avions eue quelques semaines plus tôt, une sorte de détox digitale équivalente pour nous au “dry January” – ce défi que se lancent de plus en plus de gens et qui consiste à ne pas boire d’alcool pendant un mois. Nous avions pris de mauvaises habitudes, comme par exemple le fait de dîner tous les soirs devant la télé. On voulait se forcer un peu à prendre une pause.
Le truc, c’est qu’on est tous les deux journalistes et, comme beaucoup de gens aujourd’hui, nos jobs ne nous permettent pas d’abandonner totalement les écrans. On est tous les deux obligés d’avoir l’oeil sur des écrans toute la journée pour travailler et rester en contact avec nos collègues. Mais chez nous, sur notre temps libre, rien ne nous empêchait de fixer nos propres règles. C’est ce qu’on a fait.
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Elles étaient simples, quoique dures :
- Pas de télé
- Pas d’ordinateurs
- Pas de téléphones
Il y avait tout de même quelques petites exceptions : on avait le droit d’utiliser brièvement nos téléphones pour vérifier une recette, ou pour mettre de la musique sur nos enceintes. Si on avait du boulot en urgence qu’on ne pouvait pas repousser au lendemain – une deadline pour un article, par exemple – on faisait aussi une exception. Mais en dehors de ces cas précis, hors de question d’allumer un écran le soir et le week-end, pendant un mois entier.
“Pour moi, la motivation principale était de ne plus perdre mon temps devant des trucs inutiles comme Netflix ou Reddit, m’explique Stuart, mon compagnon. C’est comme le sucre. C’est du sucre mental, et je pense que si les gens essayaient d’arrêter brutalement, ils verraient que c’est une véritable addiction.“
Beaucoup d’études scientifiques ont été consacrées aux effets de l’exposition prolongée aux écrans sur les enfants, mais très peu se sont intéressées aux adultes. On sait toutefois que regarder un écran avant de se coucher a un impact négatif sur le sommeil, et que le fait de faire en permanence plusieurs choses à la fois – préparer le dîner, consulter Facebook, lire des e-mails – épuise le cerveau. Ces problèmes, ajoutés au fait que passer notre temps devant les écrans nous semblait mauvais, nous ont convaincu de nous débarrasser autant que possible de tous nos appareils.
On avait pas mal d’espoirs et d’objectifs pour ce mois un peu particulier. On avait bien l’intention de discuter davantage, et de passer plus de temps à se regarder l’un l’autre – plutôt que nos téléphones. On espérait aussi faire plus de choses qu’on n’a pas trop le temps de faire d’habitude – aller à la salle de sport, passer enfin voir cette expo qui nous faisait envie, laisser libre cours à nos élans artistiques.
On pensait que, sans être constamment dérangés et épuisés par les médias et les réseaux sociaux, on aurait soudainement toute l’énergie et le temps du monde pour faire tout ça. Globalement, c’était vrai, mais il y avait quand même des limites.
Les premiers jours se sont passés comme dans un rêve, très honnêtement. On rentrait à la maison, on mettait de la musique, on préparait à manger ensemble, puis – incroyable – on se mettait à table et on mangeait. Après dîner, Stuart jouait de la guitare pendant que je bouquinais. Toutes les tâches ménagères étaient accomplies rapidement et sans hésitation. C’était merveilleux.
“On se serait crus dans les années 50, se souvient Stuart. À l’époque, les gens écoutaient de la musique et discutaient quand ils étaient chez eux, parce qu’il n’y avait pas grand-chose d’autre à faire. J’ai aimé vivre comme ça.“
Puis le week-end est arrivé.
Quand vous passez juste quelques heures chez vous le soir, l’absence d’écrans ne pose pas trop de problèmes. Mais quand vous avez 48 heures de libres devant vous, l’idée de ne pas pouvoir lancer Netflix vous angoisse beaucoup plus. Ce n’était toutefois pas trop dur de trouver des façons de nous occuper – après tout, on vit quand même à New York. On est allés à la salle de sport, quelques fois. Mais on est aussi allés se balader dans des quartiers qu’on ne connaissait pas, juste pour le plaisir d’explorer un peu. On a organisé des trucs avec des amis, et on s’y est tenus. Ironie du sort, on est même allés au Musée du Cinéma, voir une expo sur Scorsese.
“Le scrolling permanent consume notre temps.”
Par bien des aspects, l’expérience a dépassé nos attentes.
“Quand vous décidez soudainement de vous mettre au sport ou de manger sainement, il faut du temps avant de voir les premiers résultats ; avec la tech, vous voyez presque tout de suite la différence, explique Manoush Zomorodi, créateur du podcast Note to Self. Cela fait un bien fou de faire quelque chose et d’en voir les résultats immédiatement.”
Note to Self évoque régulièrement les problèmes liés à la surexposition à la technologie, et propose souvent des défis intelligents à ses auditeurs pour les aider à sortir de leurs mauvaises habitudes. L’un de ces projets, intitulé “Bored and Brilliant“, enjoignait les auditeurs d’accepter volontairement l’ennui, afin qu’ils renouent avec leur créativité.
Les liens entre ennui et créativité sont apparus rapidement dans notre cas. Stuart s’est vite remis à dessiner, pour la première fois depuis des années. Je suis un peu gênée d’avouer que je me suis remise à écrire de la poésie, ce que je n’avais pas fait depuis la fac. Ma muse était revenue, et il avait suffi d’éteindre nos écrans pendant quelques heures.
Autre constat partagé : cette coupure a fait du bien à notre relation. On s’est davantage parlé, aussi bien pour avoir de longues discussions que pour échanger de simples nouvelles. Même si on ne passait pas plus de temps ensemble qu’avant, on était clairement plus proches.
Mais tout ne s’est passé exactement comme on l’espérait. Déjà, il faut bien noter que ce n’est pas parce que vous avez du temps pour faire plein de choses que vous en avez les moyens – ça coûte cher d’aller à des expos, de sortir dîner, ou de s’inscrire à des cours. Et il y a aussi des moments où vous avez tout simplement envie de vous poser et de mater un ou deux épisodes de The Office.
“Ce n’est pas comme si on avait eu de grandes discussions profondes tous les soirs, souligne Stuart. Parfois on a envie de faire des trucs juste pour se divertir, alors on faisait des mots croisés. Beaucoup de mots croisés.”
On a aussi tous les deux commencé à craquer un peu vers la fin du mois. Je me surprenais à jeter un oeil à Facebook quand j’étais juste censée chercher l’adresse d’un restaurant. Stuart s’est laissé absorber par Twitter pendant notre dernier week-end.
Mais globalement, nous sommes tous les deux d’accord pour dire qu’on aimerait prolonger les effets bénéfiques de l’expérience au quotidien. Nous voulons utiliser nos clics et nos écrans à bon escient. C’est une chose de regarder un épisode de Game of Thrones parce qu’on aime la série et qu’on veut être à jour ; c’en est une autre de passer trois heures à traîner sur Reddit sans se parler.
“Le mot-clé, c’est le choix, dit Zomorodi. L’idée, c’est d’utiliser la technologie dans un but précis, faute de quoi le scrolling infini consume notre temps.”
C’est précisément pour ça que ce genre d’expérience n’est pas juste un défi “pour le fun” ; cela nous apprend à mettre des limites à notre usage de la technologie, alors même que tout est fait pour effacer ces limites et nous inciter à y passer un maximum de temps. Chacun a son propre rapport à la technologie, mais le meilleur moyen de déterminer à quel point vous êtes dépendant des écrans, c’est de vous en passer totalement. Au moins pendant un mois.