Ce que les révisions des examens m’ont appris sur moi

C’est bon, l’époque des examens est normalement pour tout le monde arrivée à son terme – à part si vous avez encore des oraux à bâcler ou bien sûr, si vous allez aux rattrapages de septembre.

On ne va pas se mentir : dans tous les cas, maintenant c’est trop tard. Finis le soutien des groupes de soutien Facebook, les SMS des potes en galère et les tops débiles de Topito. Vous l’avez fait. Vous avez tenu le coup. Je ne pourrais pas trouver les mots pour vous décrire ce que j’ai ressenti lorsque je suis sorti de la dernière salle d’examen de ma vie : c’est l’un des rares moments de l’existence où la conscience d’une idée – l’idée de passage d’une étape de vie à une autre –, se ressent physiquement dans un corps (fatigué) et dans un esprit encore tendu par l’épreuve, mais qui ne demande rien d’autre que de ne plus penser à rien. Rien.

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Pendant longtemps, j’ai enchaîné les examens et les révisions qui vont avec. Au fur et à mesure des années, grâce à mes succès et à mes échecs, j’ai ainsi vu ma manière de réviser considérablement se transformer. Et c’est elle, plus que moi, qui peut dire à quel point j’ai évolué dans mon appréhension du monde.

Les débuts d’étude s’apparentent finalement assez les uns aux autres : nous voulons profiter de cette liberté nouvelle acquise grâce à notre majorité, et même pour certains, en vertu d’un changement de situation géographique. On garde encore nos vieilles habitudes de lycéens : celles de réviser au dernier moment, profitant de ce phénomène encore inexpliqué qui fait que les leçons apprises à la dernière minute pénètrent étonnamment mieux notre mémoire pour le temps de l’épreuve. Ce qui n’est pas scientifiquement prouvé.

J’étais alors en classe préparatoire, et dans certaines matières nous devions rendre des dissertations.

Je sortais beaucoup avec mes camarades de promotion. Nous passions, malgré l’imminence déjà proche des concours, beaucoup de soirées dans les « pubs dansants » du boulevard de Clichy, à Paris. Nous voulions profiter de la ville et de tout ce qu’elle offrait à nos nouvelles prérogatives de jeunes adultes. N’en avions-nous pas désormais le droit ? Nous faisions donc des choix dans l’organisation de nos devoirs à rendre, choix qui nous permettraient de maximiser notre temps aux terrasses des cafés et de minimiser le stress dû à notre retard dans la préparation desdites dissertations. Nous faisions, je faisais tout pendant la dernière nuit avant la remise des copies.

Cette excitation de la deadline, je la gardais en effet sereinement en tête jusqu’à la veille du rendu. Le soir, en sortant des cours, je rentrais chez moi avec une liste d’ouvrages sur la question, me préparais un bon litre de café, et m’attablais à mon bureau. Je travaillais toute la nuit, en faisait uniquement une pause pour sommeiller de 3 heures à 5 heures du matin. Je buvais du café toutes les heures, prenais des douches toutes les trois heures, heures à laquelle je devais avoir terminé un objectif de la dissertation – plan détaillé, première partie, deuxième partie, troisième partie, relecture. Je ne mangeais pas. Sans l’aide d’aucune drogue, j’étais parfaitement défoncé. J’allais rendre ma copie en cours, je rentrais chez moi, et je me recouchais pour le reste de la journée.

J’ai bien conscience que disserter dans ces conditions n’était qu’un gigantesque coup d’esbroufe, rendu possible par l’état dans lequel je me mettais, et aidé par les capacités d’analyse et de synthèse dont je disposais. Néanmoins j’avais rempli ma mission : une journée et demie de travail au lieu de deux semaines de lectures et d’élaborations consciencieuses.

J’étais en paix avec ma conscience. Le mode de vie plutôt intense que je choisissais correspondait à la manière dont je me voyais vivre ma vie : des rushes, puis du sommeil. Pour les examens, fatalement, je jouais toutes mes premières années à pile ou face. Mais ne nous mentons pas, les critères de passage en classe supérieure, que ce soit en école ou à l’université, sont désormais tellement bas les premières années qu’avoir une syntaxe correcte assure désormais la moyenne à toutes les épreuves écrites.

Photo des révisions de l’utilisateur Joe Hart, sur Flickr.

Simplement, comme l’écrit Tristan Garcia dans son dernier essai La Vie intense : une obsession moderne, ce mode de vie que je recherchais alors original ne se différenciait en rien de celui que quêtaient tous les autres. L’intensité est notre nouvelle religion. C’est celle que le mode de pensée capitaliste a insinuée dans nos esprits pour y inscrire, à notre insu, ce qui forme désormais notre mantra : vis ta vie avec éclat sinon tu ne vis pas. Ou, en d’autres termes : YOLO.

J’ai pris conscience que ce mode de vie n’était pas possible longtemps. D’abord parce que les exigences universitaires augmentaient et le bluff n’allait bientôt plus suffire ; ensuite, parce que, tout simplement, la vie ce n’est pas ça. Ce n’est pas l’intensité et, dérive de celle-ci, la superficialité qu’on nous oblige à croire et à absorber qui fait nos vies. C’est au contraire un travail patient et régulier, routinier, qui nous permet non seulement de correctement réviser, mais surtout de réussir nos examens. Si la vie professionnelle peut plus tard se jouer sur certaines actions ponctuelles, ça sera du fait de tous les mécanismes de pensée patiemment acquis durant les années d’études. Ne croyez rien d’autre.

Ça doit être pour ça que les étudiants en école de commerce restent toute leur vie bloqués au stade “adulescent” : qui a envie de passer sa vie à faire des études de marché ou à réfléchir au meilleur placement de produit possible ?

C’est ainsi que, progressivement, je me suis calmé sur les sorties et les nuits blanches et ai commencé à prendre le temps de réfléchir et à me préparer aux devoirs et aux tests qui allaient m’être soumis. J’étalais désormais mes révisions sur toute l’année universitaire, depuis le premier jour jusqu’au dernier. Les potes, je les voyais moins souvent, et c’est normal : car eux aussi avaient appris à s’organiser et à réviser en vue de leur partiel pendant toute l’année, et pas seulement les deux dernières semaines. Les courbes de ma vie ne jouaient plus aux montagnes russes. Elles s’équilibraient de manière à ce que je ne sois jamais trop fatigué par mes épreuves ou par les révisions de celles-ci, mais m’empêchaient en même temps de me sentir « en vacances » les trois quarts de l’année et par conséquent, d’être totalement tranquille dans ma tête. Mais, eh, c’est ça la vie.

D’être passé d’un mode de révision « à la dernière minute » à une véritable organisation de travail en vue de réussir ses études équivaut tout simplement d’être passé du stade adulescent au stade adulte. On commence sa vie de grand en continuant à penser que tout ira bien, en en faisant le moins possible et en « kiffant » avec ses potes, puis on se rend compte que toute réussite demande un véritable effort régulier et organisé. Et que finalement on n’a, en tout en pour tout, que peu de temps vraiment à soi.

Les révisions de l’utilisatrice Lucy, sur Flickr.

C’est pour cela que je vous demande, par pitié, d’essayer de trouver un domaine professionnel qui vous plaise un minimum : durant ses études, on est déjà tous obligé de travailler certaines matières, ou certains aspects d’une matière, beaucoup plus chiants que ce qu’on s’imaginait. On économisera ainsi une tonne d’ennui dans ses révisions et dans son futur métier en choisissant quelque chose de bien.

Et en y repensant, ça doit être pour ça que la majorité des étudiants en école de commerce restent toute leur vie bloqués au stade adulescent : honnêtement, qui a envie de passer sa vie à faire des études de marché ou à réfléchir au meilleur placement de produit possible – produit aussi insignifiant que celui qui le suivra et dont tout le monde se moque ? Il faut nécessairement qu’ils continuent à sortir, à boire, à faire la fête pour oublier l’insignifiance qu’ils vendent et ainsi l’insignifiance qu’ils, par conséquent, représentent.

Il n’empêche, bien que les révisions soient une métaphore de la vie, après celles-ci viennent les examens. Et après ceux-ci viennent les vacances. Dans le contexte d’une année scolaire chargée, ou pire encore, d’une année à concours, il est normal d’avoir du mal à se projeter au-delà de la date des résultats. On en vient facilement à se dire qu’on ne s’imagine pas du tout dans quel état on sera à ce moment, en fonction des notes, et qu’on préfère remettre les projets ébauchés par les potes à plus tard : le plus tard qui sera trop tard. Alors un conseil : n’attendez pas. Vous ne le savez pas encore, mais toute votre vie vous attendrez, tout le temps, des nouvelles plus ou moins importantes au sujet de telle ou telle chose. Alors n’attendez pas « la fin de ».

Vous avez bien une idée de quoi faire l’an prochain ? De quoi faire après vos études ? Vous vous y préparez sûrement. Préparez de la même manière vos vacances. Sans connaître vos résultats académiques, sachez que dans tous les cas vous en aurez envie – et besoin.

Voilà. Quoi que vous fassiez, considérez vos examens et les révisions qui vous permettront de les réussir comme une première initiation à la vie adulte : il vous faudra faire des choix et les assumer, tout en gardant en tête que les années d’étude, inconsciemment, vous formeront à votre vie adulte, et que la vie, c’est une fête qui se prévoit et s’organise. Si tout se passe bien, à la fin, vous commencerez vos soirées avec du Gewürztraminer vendanges tardives plutôt qu’avec un pack de bières ou qu’une bouteille de Poliakov. Quant à moi, mes révisions m’auront appris que toutes les études, comme tous les métiers, sont véritablement dures et que la réussite, contrairement à l’image mondaine qui prévaut aujourd’hui, se réalise bien plus dans le silence, la patience et la répétition que dans le faste et l’éclat.