Comme dans le cinéma classique, la pornographie a ses clichés et ses personnages phares. La femme fontaine, le couple qui teste des godes, l’infirmière qui vient soigner son patient… Alors qu’en France, les jeunes regardent leur premier porno entre 13 et 14 ans, il est évident que ces films évoluent selon son public et s’adaptent à notre sexualité.
Regarder un film de cul est devenu une activité comme une autre, et fait presque partie du quotidien. Mais la pornographie est encore considérée comme une sous-culture, un bas sujet qui ne dit rien de notre société. Les sites pornos sont, pourtant, une mine d’or pour mieux comprendre nos fantasmes et notre époque. Lorsque l’excitation est passée et que les vidéos continuent à défiler, des milliers de questions s’offrent à nous. Pourquoi faut-il une situation ridicule de problème de canalisation pour voir un gros poilu, qui se fait appeler plombier, chevaucher une bourgeoise ? Pourquoi trouve-t-on des vidéos de filles en train de sucer des bites d’aliens en plastique ? Et d’ailleurs, depuis quand existent les godes ?
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L’ancien rédacteur en chef de Playboy France, Michaël Petkov-Kleiner, se pose tous les jours ce genre de questions porno existentielles. Après avoir rencontré des experts en la matière, acteurs, réalisateurs et même philosophes, il a voulu répondre à ces interrogations. Dans son ouvrage Le rôle fondamental du plombier dans le porno, il raconte son voyage au coeur de l’histoire du sexe et ce qui forge la pornographie. On a donc décidé de le rencontrer pour qu’il éclaire notre lanterne.
VICE : Dans votre livre, vous racontez que le plombier est un personnage pratique parce qu’il n’y a pas besoin de savoir bien jouer et que c’est le refuge des réalisateurs sans imagination. Comment expliquez-vous que le cliché du plombier soit devenu une figure phrase du porno ?
Michaël Petkov-Kleiner : Le plombier permet la rencontre de deux inconnus. C’est un étranger qui vient dans l’intimité de quelqu’un, cela ouvre la porte à de nombreux fantasmes. Le plombier est en effet un cliché. On imagine tout de suite un travailleur manuel assez bestial avec de gros avant-bras. Il réunit plein de stéréotypes physiques qui fonctionnent bien dans le porno. Et d’ailleurs cela a même dépassé la vidéo porno puisque j’ai pu rencontrer un plombier qui m’a affirmé que son métier attirait de nombreuses clientes. Si le plombier est devenu aussi connu c’est aussi grâce à l’humour qu’il amène. Il y a toujours des jeux de mots ridicules comme « il y a un problème dans ma plomberie » ou encore « vous voulez que je vous débouche l’évier ? » Forcément, ça fait sourire, c’est très kitsch et ça symbolise complètement la vision que les gens ont du porno. Il faut une rencontre réaliste.
Pourquoi le plombier n’est plus à la mode ?
C’est vrai que le plombier ne fait plus partie des professions les plus recherchées. La pornographie s’adapte toujours aux avancées sociétales. Par exemple, avec le coronavirus, il y a une hausse des recherches sur les docteurs et les infirmières. Le plombier était très en vogue dans les années 70 car c’était une des professions de l’époque qui allait le plus à domicile. Celui qui remplace le plombier maintenant c’est le livreur deliveroo. Le plombier a aussi un petit côté ringard qui ne marche plus et fait très cliché. Mais c’est un sujet qui pourrait être très facilement réutilisé et modernisé en réactivant justement tous ces clichés.
« Le plaisir prostatique est un plaisir qui était connu à l’époque et qui n’avait rien à voir avec l’orientation sexuelle. Petit à petit, il a été gommé par des siècles de christianisme et je suis sûr que c’est un plaisir qu’on va bien finir par redécouvrir »
Dans les thématiques incontournables du porno, on retrouve forcément l’anal. Dans votre livre, vous vous intéressez au plaisir prostatique. Comment expliquez-vous qu’il y a aussi peu de films pornos pour les hétéros qui exploitent ce terrain ?
On trouve quelques vidéos de pegging anal où la femme pénètre l’homme avec un gode mais ce n’est pas très développé. Cela simplement parce que c’est une pratique qui n’est pas encore très répandue chez les hétéros. C’est un peu la dernière barrière à exploser dans la sexualité hétérosexuelle masculine. On passe de pénétrant à pénétré. La demande pour ce genre de porno n’est pas très forte. Je pense que c’est un travail qui va se faire les prochaines années.
Ce plaisir prostatique est connu depuis très longtemps, que ce soit dans la Chine antique, en Grèce ou encore en Égypte. C’est un plaisir qui était connu à l’époque et qui n’avait rien à voir avec l’orientation sexuelle. Petit à petit, il a été gommé par des siècles de christianisme et je suis sûr que c’est un plaisir qu’on va bien finir par redécouvrir. Il va falloir réapprendre le fait qu’on peut avoir un orgasme prostatique ou se faire pénétrer sans être homosexuel. Bien sûr, on n’est pas forcé de prendre du plaisir prostatique mais c’est une possibilité que les hommes ont en eux qu’ils ne connaissent pas.
Vous retracez aussi l’histoire du gode. Depuis quand ça existe ?
Depuis presque toujours. On en retrouve dans les cavernes préhistoriques, au Moyen Âge et après partout. J’ai essayé de retrouver l’origine de son nom et l’explication la plus drôle vient d’un convent où les nonnes utilisaient ce qu’elles avaient sous la main pour en faire des godes. Pour faire preuve de discrétion, elle utilisaient un mot de code qui est le début d’un psaume en latin :
« Gaude mihi Domine » qui signifie « Réjouis-moi Seigneur. » J’ai aussi découvert que les godes étaient passés d’un symbole féministe dans les années 60 à un objet capitaliste dans un marché détenu par les hommes. Je trouve que le gode est un peu un social traître, je le compare souvent à Daniel Cohn-Bendit.
Si les godes sont capitalistes, le porno aussi ?
Oui c’est obligé, il y a un marché pour ça. Mais on retrouve actuellement deux formes de porno : un porno de masse, très mainstream qui correspond au désir du plus grand nombre donc du cul par les hommes pour les hommes où les actrices ne sont pas forcément bien traitées. Et il y a une nouvelle forme de porno émergeante qu’on appelle le porno féministe et qui échappe à ces logiques de rendement et de rentabilité. C’est un porno plus artistique, plus sensible qui accepte une plus grande gamme de corps. Il n’y a pas de bodyshaming. Le porno reste quelque chose que se vend et qui s’échange mais il y a une demande de plus en plus grande pour un porno plus subversif.
« Tout est pornographiable, tout est matière à devenir un truc de cul »
Un chapitre complet de votre livre est dédié à la règle 34. Concrètement, cela signifie que si quelque chose existe, alors il y a du porno dessus sur Internet. Donc, tout est et sera matière à devenir un film porno. C’est presque philosophique. Est-ce que vous croyez vraiment que cette règle est infaillible ?
Bien sûr que j’y crois ! Tout est pornographiable, tout est matière à devenir un truc de cul. Lorsqu’on réfléchit attentivement à cette règle, on se rend compte qu’en plus d’être vraie, elle est sans limite. Dans cette règle, il est aussi dit qu’il n’y a pas encore de porno dessus, cela arrivera forcément. J’ai voulu mettre à l’épreuve la règle 34 en cherchant sur Internet un porno sur Jean-Michel Aphatie. Il n’y en avait pas. Du coup, j’ai décidé d’écrire un script porno entre Jean-Michel Apathie et Christophe Barbie et il est maintenant dans mon livre. C’est ça la règle 34.
On retrouve de plus en plus de situations pornographiques avec des aliens. Le hentai et ses personnages tentaculaires ont inspiré le ciné porno. Vous avez rencontré de nombreuses personnes qui fantasmes sur les extraterrestres et certaines affirment même avoir eu des relations sexuelles avec des êtres venus d’ailleurs. Comment expliquez-vous qu’autant de gens espèrent coucher avec E.T. ?
Qui n’a jamais fantasmé sur le doigt d’E.T. ? C’est le fantasme de l’étranger absolu. Peut-être que les gens en ont marre de baiser avec des humains. Baiser des extraterrestres cela permet d’explorer d’autres pistes, comme par exemple faire l’amour avec des tentacules ou avec des skywalkers. Cela ouvre la porte à beaucoup de créativités sexuelles, bien plus qu’avec un plombier.
Dans les recherches phares du porno, on retrouve aussi les poupées gonflables. Vous affirmez qu’à l’avenir, elles seront transformées en robots sexuels. Coucher avec des robots ne sonne-t-il pas la fin de l’humanité ?
En 2015, le scientifique et futurologue, Ian Pearson, a publié une étude dans laquelle il prédisait que d’ici 2050 les relations sexuelles humains/machines supplanteraient les relations sexuelles entre les humains. Il est diplômé en maths, physique et docteur en sciences, je veux bien le croire. Je pense qu’il y a un vrai danger avec les robots sexuels en effet. Les mecs qui fantasment maintenant sur les poupées ou les sexdolls sont sont très déçus de leur vie sexuelle et ont un gros fétichisme sur le corps de la femme idéalisé. On pourrait dire que ce sont des mecs qui aiment jouer à la poupée et qui ont probablement un jour été blessés par une femme et qui ne veulent plus souffrir. Donc ils font l’amour avec du silicone.
Vous vous êtes aussi intéressé scientifiquement à la femme fontaine ? Il en existerait non pas une mais deux, c’est bien ça ?
Oui, il y a le squirting et l’éjaculation féminine. Le squirting est abondant et provient de la vessie. Il s’agit en fait d’une urine très diluée qui se présente comme un jet. Il y a aussi l’éjaculation féminine qui est moins intense et moins abondante que le squirting. Cela viendrait des glandes para-urétrales, de la prostate féminine. Une femme peut squirter tout en éjaculant. Dans le porno, les femmes fontaines squirtent parce qu’il faut que ce soit impressionnant et que ça se voit à l’écran.
Étonnamment, vous avez remarqué que sur les sites de cul on retrouvait quelques vidéos d’auto-fellation. Quel est l’intérêt de voir un porno où un mec se suce ?
Se masturber devant un mec qui se suce c’est être excité par la performance. Mais pour autant, ces vidéos ne marchent pas très bien et s’adressent surtout aux auto-suceurs. Il y a une vraie communauté qui s’entraide et se comprend. L’auto-fellation est intéressante à regarder sur le plan esthétique et pour la prouesse de l’exercice. Il faut savoir que l’homme qui a lancé le porno de l’auto-fellation, Infinity, s’est déplacé jusqu’en Espagne (il venait des Etats-Unis) pour présenter ses vidéos à Salvador Dalí afin que l’artiste l’aide à promouvoir cette pratique. Dalí a accepté de le recevoir mais ça n’a pas vraiment marché pour lui.
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