Ce qui se passera si la Corée du Nord fait sauter une bombe H dans le Pacifique

Jeudi 21 septembre, le ministre nord-coréen des Affaires étrangères Ri Yong-ho a affirmé à l’agence de presse sud-coréenne Yonhap que Kim Jong-un envisageait d’ordonner le test d’une bombe à hydrogène dans l’océan Pacifique en réponse aux déclarations de Donald Trump, qui a menacé mardi 19 septembre de “détruire totalement la Corée du Nord” dans un discours à l’ONU.

“Ce pourrait être la plus grosse détonation de bombe à hydrogène dans le Pacifique de l’histoire”, a expliqué Ri. “Nous ne savons pas quelles actions pourraient être entreprises, tout dépend des ordres du chef Kim Jong-un.”

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En utilisant les mots “dans le Pacifique” plutôt qu’”au-dessus du Pacifique”, Ri suggère que la détonation aura lieu sous l’eau et pas en altitude.

Vous avez sans doute remarqué que la tension monte de jour en jour entre les États-Unis et la Corée du Nord. Il y a quelques jours, des bombardiers américains ont approché des côtes de la dictature communiste en guise d’avertissement.

Dans l’après-midi du samedi 23 septembre, Ri a annoncé qu’une frappe contre le territoire des États-Unis était “inévitable”. Le jour même, aux alentours de cinq heures du matin, Trump a de nouveau menacé la Corée du Nord sur Twitter.

Que se passerait-il si la Corée du Nord testait bel et bien une bombe H dans l’océan Pacifique ? Hawaii, la Californie et le Japon doivent-ils s’attendre à des tsunamis ou à des tempêtes radioactives ? La vie marine va-t-elle être décimée ou finir contaminée ?

Pour mieux comprendre ce à quoi nous expose une détonation de bombe à hydrogène sous-marine, je suis allée poser quelques questions à des experts.

VAGUES

Oliver Bühler est professeur de mathématiques appliquées à l’université de New York. Pour ce spécialiste de la dynamique des fluides, c’est sûr : si elle a lieu dans l’océan, une explosion de bombe H créera des vagues.

“Sous l’eau ou au-dessus du sol, une telle explosion créerait sans aucun doute un paquet de vagues, de grosses vagues”, a-t-il expliqué.

De telles vagues ont déjà été observées au cours de précédentes détonations nucléaires sous-marines. En dépit du fait que les engins testés étaient beaucoup moins puissants que la bombe nord-coréenne, ces tests étaient incroyablement dangereux.

Au cours de l’opération Crossroads, en 1946, des soldats américains ont été douchés d’eau radioactive après une explosion nucléaire d’une puissance de 23 kilotonnes. Il a été estimé que chaque témoin avait perdu trois mois d’espérance de vie. Tout ça à cause d’une distance d’observation mal calculée.

Grâce à l’analyse mathématique, ce qui se passe dans l’eau après une explosion nucléaire est plus clair. L’un des documents les plus complets sur la question est un rapport militaire américain de 400 pages rédigé par Bernard le Mehaute et Shen Wang de la Rosenstiel School of Marine and Atmospheric Science.

Après la détonation, on peut s’attendre à une onde de choc d’une puissance maximale de 140 kilotonnes. Les services de renseignement américains considèrent que la bombe à hydrogène testée par les nord-coréens le 3 septembre dernier approchait de cette puissance. Little Boy et Fat Man, les bombes qui ont été lâchées sur Hiroshima et Nagasaki en 1945, recelaient respectivement 15 et 21 kilotonnes d’énergie.

Pendant que l’onde de choc se déploie, du plasma se forme sous l’eau. De grandes quantités de vapeur et de débris sont projetées dans les airs.

Une représentation de la bulle qui se forme après une explosion nucléaire sous-marine. L’image provient de Water Waves Generated by Underwater Explosions, un rapport technique commandé par la Defense Nuclear Agency en 1996.

L’eau entre dans une phase d’expansion radiale et forme une bulle qui perce vite la surface de l’eau. À cause de sa taille colossale, un gouffre appelé “jet rentrant” se forme en son centre et s’effondre sur lui-même. Quand la bulle affleure, une colonne d’eau est projetée dans les airs et se désintègre dans une série de vagues.

Une représentation des vagues engendrées par l’effondrement de la bulle dans Water Waves Generated by Underwater Explosions, un rapport technique commandé par la Defense Nuclear Agency en 1996.

Toute vie marine à proximité serait anéantie par l’onde de choc et l’énergie radioactive. En 1946, des scientifiques ont repêché 38 000 poissons morts après un test nucléaire.

Au moins, affirme Bühler, les vagues créées par la détonation ne pourraient pas finir en tsunami. Pour le chercheur, les vagues étudiées dans le rapport militaire ne portent qu’une fraction de l’énergie générée par un tsunami. Pour voir le jour, un tel phénomène a besoin d’une zone de perturbations longue de plusieurs centaines de kilomètres.

“Une bombe de ce genre ressemblerait plus à une tempête, explique Bühler. Elle créérait des tonnes de vagues, mais ces vagues finiraient par se disperser. L’énergie n’arrive pas d’un seul coup comme dans un tsunami. Elle se déploie sur des heures, des jours, parfois des semaines.

MÉTÉO

Si les vagues et les tempêtes se dispersent depuis le site de l’explosion, devons nous nous inquiéter d’hypothétiques pluies radioactives sur les îles du Pacifique ? Pour l’océanographe Matthew Charette, qui étudie les effets de radionucléides sur l’équilibre chimique de la mer, ce genre de phénomène a peu de chances de se former à cause d’un test nucléaire.

Charette affirme que les oligo-éléments présents dans l’eau de mer comme le sodium et le chlorure deviennent radioactifs au contact de l’énergie nucléaire. Les dangerosité de ces éléments contaminé dépend de leur comportement chimique.

“Certains élements sont très insolubles, explique le chercheur. Ils vont se coller à des particules et d’autres éléments dans la colonne d’eau et retomber dans les sédimens locaux. Là, ils ne seront plus un problème à long terme. D’autres éléments sont plus solubles dans l’eau de mer, comme le Cesium 137 de la catastrophe de Fukushima. Ceux-là peuvent bouger avec les courants océaniques.”

De toute façon, rappelle Charette, l’océan est gigantesque ; tous ces éléments finiraient trop diluées pour causer de gros dommages.

“Les tests sous-marins ne m’inquiètent pas du tout, a-t-il dit. Les facteurs de dilution seraient énormes.”

Ken Buessler, un scientifique de la Woods Hole Oceanographic Institution, n’est pas tout à fait de cet avis. Pour lui, même une explosion éloignée des terres est susceptibles de causer des problèmes.

Busseler affirme que l’eau radioactive issue d’une détonation finira nécessairement par se glisser dans les courants océaniques mais qu’après cela, il sera très difficile de prédire où elle finira.

“La radiation ne serait pas confinée en un point comme lors d’un incident de réacteur, elle bougerait au gré des courants, explique-t-il. Vous pourriez détoner quelque chose près d’une île et les courants l’emporteraient au large rapidement. De la même façon, si vous faites sauter une bombe au large, les courant l’emporteront vers les côtes. Il est très difficile de prédire comment cela pourrait affecter une île inhabitée.”

Le truc, c’est que différents courants parcourent les océans. Certains durent des semaines, d’autres des millénaires. De fait, explique Buessler, il est presque impossible de prédire quand l’eau contaminée touchera terre.

En d’autres termes, nous ne savons pas où et quand la radiation apparaîtra.

VIE

Charette et Buesseler m’ont expliqué qu’ils s’étaient rendu à l’atoll de Bikini au début de l’année. Entre 1946 et 1958, cette petit subdivision des îles Marshall a été le théâtre de 23 tests nucléaires américains.

Plus de 70 ans plus tard, l’atoll de Bikini n’est toujours pas remis. Là-bas, les niveaux de radiation dépassent toujours les limites de sécurité déterminées par les États-Unis et les îles Marshall.

Pendant leur visite, Charette et Buesseler se sont concentrés sur la mesure de la radioactivité présente dans l’eau de mer, les nappes phréatiques et le fond marin. Leurs résultats n’ont pas été publiés mais Charette m’a dit qu’il avait été agréablement surpris des résultats.

“J’ai été impressionné par les capacités de rétablissement de ces îles, explique-t-il. Pour la faune et la flore, au moins.”

D’autres scientifiques ont découvert que la faune marine s’était largement reconstituée depuis l’explosion. Stephen Palumbi, professeur à l’université Stanford, et l’étudiant Elora López ont découvert que les coraux s’étaient adaptés à de hauts niveaux de radiation.

En 2008, une étude d’évaluation de la biodiversité de l’atoll Bikini a révélé que les populations de 70% des coraux de la zone avaient rebondi. Cependant, cette guérison a pris plusieurs décennies et les conditions actuelles rendent peut-être impossible un second rétablissement de ce genre.

“Si l’événement perturbateur devait être répété de nos jours, le rétablissement attendu ne pourrait pas être aussi haut du fait de facteurs de stress additionnels associés au changement climatique, explique l’étude. Il est possible que cinquante années d’occupation humaine aient également alteré l’environnement de l’atoll en profondeur.”

Charette affirme que le rétablissement de la vie marine de l’atoll de Bikini ne doit pas faire oublier que les effets biologiques d’une explosion nucléaire sont réels et graves. Rappelez-vous : près de 70 ans après ces tests, la zone n’est pas encore complètement remise.

“La chose dont vous devez vous soucier, c’est la présence de produits radioactifs dans les produits de la pêche, explique-t-il. Tout particulièrement quand cette pêche est effectuée dans une région proche de tout test potentiel.”

Buessler acquiesce : “En tant que consommateurs de poisson, les humains assimilent les isotopes [radioactifs]. Il faut faire attention à l’endroit de l’explosion. Une zone de pêche pourrait être fermée à cause d’une contamination locale.”

Cependant, Bussesler pense que les plus grands risques des tests nucléaires pour les humains sont psychologiques.

“Vous répandez de la radioactivité où que ce soit et les gens changent immédiatement leurs habitudes, explique-t-il. Le poisson qu’ils mangent, où ils vont nager. Ces choses ne sont peut-être pas scientifiquement prouvées mais elles déclenchent des paniques Après, bien sûr, il y a la peur que la prochaine explosion tombe sur une zone peuplée.”

Au cours de leurs échanges avec moi, Bühler, Charette et Buesseler ont tous insisté sur la difficulté de prédire les conséquences à long terme des tests nucléaires.

Quand j’ai parlé du rapport militaire de 400 pages (“Water Waves Generated by Underwater Explosions”) à Bühler, celui-ci m’a indiqué que ce genre de document était très courant par le passé.

“Dans les beaux jours des essais nucléaires américains, nous nous posions tout un tas de questions angoissantes, m’a-t-il raconté. Quand nous ferons exploser ces bombes, cela causera-t-il un tsunami ? Enflammeront-elles l’atmosphère ? Toutes ces études ont montré que ce genre de choses n’allait pas arriver. Malheureusement, en un sens, cela a encouragé les gens à dire : “Oh, allez, larguons cette bombe et testons-la””.

Bühler remarque qu’une fois familiarisé avec les études qui montraient que les essais nucléaires ne comportaient aucun risque de violence immédiate ou de catastrophe, le public a adopté une attitude blasée vis-à-vis de lui. Les États-Unis ont interdit les essais nucléaires en 1992 seulement, et au terme de décennies de négociations.

“Nous avons mis beaucoup de temps à comprendre que ce que nous ne pouvons pas contrôler, c’est ce qui se passe des années et des années après, explique Bühler. C’est la raison pour laquelle il n’est pas responsable de procéder à de tels tests. Les conséquences à court terme sont faciles à comprendre. Ce qui se passe l’année suivante et après… Ça, nous ne pouvons pas le contrôler.”

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