La vie d’adulte peut être un vrai cauchemar. S’il existe sûrement un grand nombre de jeunes impatient·es de troquer leur misérable vie d’étudiant·e pour enfin amasser quelques thunes, beaucoup d’autres ont probablement la constante boule au ventre à l’idée de ce qui les attend. Soyons réalistes, savoir ce qu’on veut dans la vie est réservé à la génération de nos parents. Une maison, un jardin, un enfant, une grosse voiture et un travail de 9 à 5… plein de choses qui vont à l’encontre de l’idée qu’on a de la liberté, qu’on a passé des années à cultiver en séchant les cours et en passant des après-midi entières au parc.
Des années de labeur derrière un bureau d’écolier·e pour finalement être jeté·e dans le monde du travail rempli de défis, d’attentes, de stress et de responsabilités. Ajoutez à ça une crise économique, un monde qui ne s’est pas encore remis d’une pandémie et la crise climatique. On a déjà pleuré pour moins que ça.
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Heureusement, rien ne nous condamne à pleurer sans fin notre jeunesse perdue. Dans un monde en mutation, il est parfois nécessaire de réfléchir à ce qui peut encore être fait et à ce qu’on peut changer. Les idées révolutionnaires ne sont peut-être pas à l’ordre du jour, mais l’état d’esprit fluctuant et innovant de notre génération nous permet d’espérer que nos projets futurs ne sont pas juste condamnés.
Pour mieux comprendre ce qui nous permet encore de tenir, comprendre les craintes et les espoirs qu’on nourrit pour notre avenir sur notre lieu de travail – et donc dans la vie en général, alors que les réformes des retraites nous transforment en marionnettes d’une sempiternelle machine capitaliste –, on a été à Vilvoorde pour discuter avec les bénévoles du Horst festival. Pendant les Ateliers de Horst, ces bénévoles mettent sur pied le festival de diverses manières, en différentes équipes – de l’installation des lumières à la construction des scènes. Pendant les cinq semaines qui précèdent l’événement, c’est l’occasion de partager ses compétences et de travailler ensemble et autrement. C’est une expérience qui peut ouvrir des voies, mais aussi une parenthèse bienvenue pour prendre du recul par rapport à un monde du travail bien blafard.
VICE : Quitte à choisir, vous préférez faire un travail de merde pendant une courte période, ou suivre votre passion mais devoir travailler plus dur et plus longtemps ?
Ruth (26 ans, bénévole) : Je préfère encore la deuxième option. Quand tu fais quelque chose qui te passionne vraiment, t’as pas l’impression que c’est un travail. Perso, les choses qui sont faites pour la bonne cause sont davantage susceptibles de me booster. Je préfère faire un boulot qui me permet de réellement contribuer à quelque chose. Après, faut parfois faire un travail de merde, c’est comme ça, surtout si on a besoin d’argent.
Seppe (24 ans, ouvrier du bâtiment) : Je travaille volontiers, si c’est pour être payé. Mais travailler pour soi c’est tout aussi important, ça te donne de l’espace. Là, j’ai un travail assez basique pour lequel je dois bosser tous les jours et, récemment, j’ai réalisé que j’ai peur à l’idée de devoir faire ça pour le reste de ma vie. Tous les jours se ressemblent, c’est pénible. Mais je vois pas d’autre solution que de m’y habituer, ce qui est aussi flippant en soi. Ou alors je chercherai autre chose, mais je connais pas vraiment de métiers qui ne fonctionnent pas comme ça.
William (24 ans, étudiant) : Je pense que le dilemme c’est vivre pour travailler ou travailler pour survivre, mais il y a de la beauté dans les deux. J’essaie de m’en sortir en tant que photographe depuis un certain temps et j’ai remarqué que les frontières entre le travail et le non-travail commençaient à s’estomper petit à petit. C’est quelque chose qu’on a toujours à l’esprit, un peu comme si on était libre après avoir travaillé de 9 à 5, mais est-ce que c’est vraiment le cas ? Alors oui, je pense qu’il y a des avantages et des inconvénients aux deux options.
« Ma crainte c’est surtout de ne rien trouver qui me plaise, parce que je sais pas ce que je veux faire. » – Alice
Y’a des choses qui vous angoissent pour l’avenir ?
Rosaly (21 ans, étudiante) : Par rapport au travail ? Clairement. Comme le type de relations de pouvoir qu’on subit avec certaines entreprises ou personnes. En tant que jeune, il faut gravir les échelons avant de pouvoir faire ce qu’on veut, des choses plus fun. Y’a que dans un monde idéal que les gens sont traités avec respect, indépendamment de leur place dans la hiérarchie ou de leur âge. Ça m’angoisse.
Helena (20 ans, étudiante) : Je redoute le fait de travailler. Je suis quelqu’un qui ne peut pas faire la même chose pendant trop longtemps, même si je remarque que le marché du travail évolue et qu’il y a de plus en plus d’emplois pour lesquels on peut bosser moins longtemps. Je pense aussi que je suis quelqu’un qui se laisse absorber dans le travail quand ça me touche ou que je suis passionnée. Je peux d’un coup m’y consacrer pleinement et me donner à fond. Par contre, dès que ça prend trop de temps, je perds mon intérêt et mon dévouement. Ma principale crainte, je dirais, c’est de ne pas pouvoir garder un emploi longtemps, même si j’en ai parfois besoin.
Mélissande (27 ans, réceptionniste) : Pour ma part, et je le constate souvent chez mes potes, c’est le lieu de travail lui-même qui m’angoisse. J’ai la chance aujourd’hui de travailler avec des gens qui me soutiennent, qui sont présents et très gentils. Mais j’ai des potes qui bossent avec des collègues horribles, qui vont au travail en se sentant mal parce qu’ils n’ont pas envie de les voir, l’atmosphère y est désagréable. Beaucoup d’entre eux se sont déjà réveillés en pleurant parce qu’ils devaient aller taffer.
Le lieu peut donc être une source principale de stress et d’expériences négatives…
Klaas (26 ans, architecte) : Je travaille dans une entreprise depuis un moment et ce qui m’angoisse le plus, c’est de mal faire les choses. C’est là que je deviens super anxieux. Si on me confie une responsabilité que je sais ne pas pouvoir assumer, que je fais quelque chose de mal et que j’atteins pas les objectifs, ouais, ça craint. J’ai aussi l’impression qu’il y a parfois tellement cette pression de devoir être performant·e… Mais pourquoi, en fait ? Ça me fait du mal. C’est pas seulement une question d’argent et de salaire, c’est aussi une question de travail. Le fait de savoir que tu fais les choses bien, ça te motive.
Leo (27 ans, architecte indépendant) : C’est surtout une histoire d’échange, travail contre argent. En ce qui me concerne – je suis indépendant – je suis particulièrement angoissé à propos de la responsabilité et de l’obligation de rendre des comptes. Si quelque chose ne va pas et que tu travailles dans un bureau ou une entreprise, t’as toujours une certaine distance, pour ainsi dire. Et puis t’es payé·e pour ce que tu fais. Mais si t’as cette responsabilité ultime, tu prends un risque supplémentaire et tu dois être payé·e aussi.
Helena : Quand y’a un abus de pouvoir – ce qui arrive hélas souvent – ç’a un impact net sur la façon dont je me sens à mon boulot. Actuellement, là où je travaille, à La Monnaie, y’a une hiérarchie et mon patron est évidemment plus haut placé que moi, la façon dont il nous traite nous donne réellement l’impression que nos opinions peuvent être exprimées et entendues. Mais si un jour quelqu’un s’approprie vraiment cette hiérarchie, ça peut gâcher l’environnement de travail. Si y’a manque de respect ou du sexisme, ou si j’ai juste du mal à m’identifier au travail, je prendrais mes distances.
Eva (25 ans, étudiante) : Ce qui me fait le plus peur dans le monde du travail, c’est la normalisation du facteur « productivité », la culpabilité que tu ressens quand t’es pas du tout productive. On ne s’accorde pas assez de temps ni de repos. Je peux vite lâcher prise quand j’ai beaucoup de délais à respecter et perdre l’équilibre entre la productivité, l’inspiration et moi-même.
Pourquoi on y accorde tant d’importance, à cette productivité ?Alice (23 ans, étudiante): Je pense que tout réside dans notre éducation, ce système dans lequel on est. La productivité ou la nécessité d’être performant·e est presque imposée. J’ai remarqué que mon éducation ne laissait que peu de place à mon développement personnel, à mon imagination et à ma créativité. Et je suis presque sûre que si on m’avait donné plus d’espace pour ça, pour moi, cette éducation aurait pu être encore meilleure ou plus agréable. Aujourd’hui, je cherche un meilleur équilibre entre l’école et ma vie perso – je travaille pas encore. Ma crainte c’est surtout de ne rien trouver qui me plaise, parce que je sais pas ce que je veux faire.
Vos valeurs personnelles occupent quelle place dans la recherche d’un emploi ?
Mael (25 ans, architecte) : Quand ta fonction est liée à cette atmosphère productive, c’est aussi difficile de faire quelque chose qui soit encore totalement conforme à tes valeurs. Dans le domaine de l’architecture, par exemple, tout ce qu’on fait ne fait que contribuer à la destruction de l’environnement. Ne vaudrait-il pas mieux se concentrer sur la résolution des problèmes d’un point de vue écologique et social ? C’est quelque chose qui me pose problème, je fais un travail dont l’impact n’est plus pris en compte.
Ruth : Si t’as des ambitions, vas-y, travaille pour ça. Mais si tu veux juste exister et te contenter d’apporter de petites contributions qui ont un impact, alors je pense que ça devrait aussi être possible. J’ai l’impression qu’à l’heure actuelle, on est trop focus sur le fait de gagner de l’argent. Tout le monde ne peut pas gagner beaucoup d’argent, l’inflation est là et on perd cet équilibre.
Comment vous conciliez vie privée et vie professionnelle pour ne pas perdre le fil ?
Ruth : Je suis plutôt douée pour équilibrer les deux. Beaucoup de mes jobs accordent une place importante aux relations sociales, donc c’est cool pour se faire des potes au travail. Je pense que c’est aussi très important. C’est un peu triste d’être dans un environnement où on se contente de regarder un ordi, où on n’interagit avec personne.
Luna : J’ai brièvement travaillé dans une entreprise en tant qu’étudiante et le premier jour, j’ai été très surprise de voir que tout le monde éteignait son ordi portable à 17h30. Leur travail de la journée n’était même pas terminé. Aux études, tu bosses jusqu’à ce que t’aies fini, tu t’arrêtes pas pour te détendre. J’ai beaucoup de mal à me fixer ces limites. J’ai aussi trouvé ça flippant parce que les travailleur·ses de cette boîte ne trouvaient même pas leurs tâches intéressantes, n’aimaient pas leur patron, ni l’atmosphère au bureau. C’était un travail, rien de plus.
Rosaly : Je pense que beaucoup de choses dans le système actuel ne fonctionnent tout simplement pas, même en essayant. C’est pour ça que j’aime bien imaginer un avenir où on aura davantage de lieux de travail collectifs, où on pourra combiner travail, vie sociale, enfants, etc.
« Y’a des gens autour de moi qui travaillent tellement dur, et je vois pas ce que ça leur apporte. » – Seppe
Vous vous voyez travailler pendant les 40 prochaines années ?
Seppe : Je pense que c’est inévitable. Y’a des gens autour de moi qui travaillent tellement dur, et je vois pas ce que ça leur apporte, à part à survivre. C’est le mode de fonctionnement fondamental de la société, et c’était la même chose y’a 100 ans. Mais ouais, je comprends pas pourquoi on travaille si dur.
Aline (23, créatrice de vêtements upcyclés) : Tout est un peu instable en ce moment parce que j’ai arrêté mes études y’a trois mois. Je dois commencer à adapter mon parcours pro et à sortir des sentiers battus. J’ai dû entendre tellement de fois « assure-toi d’avoir un master, sinon t’iras dans aucune entreprise », parce que c’est la réalité. Mais maintenant, je suis ma propre voie. Je sais pas si, dans 40 ans, je serai encore dans le textile mais ce que je veux, c’est pouvoir continuer à transmettre mes valeurs sur l’écologie et les enjeux actuels. Je verrai bien sous quelle forme.
Leo : Au Royaume-Uni, tout le monde est en grève en ce moment. On dirait qu’il n’y a pas assez d’argent. Je suis pas économiste, mais l’argent nous échappe, et c’est les mêmes qui en accumulent. Et je dirais que pour un travail classique de 9 à 5, on gagne pas assez pour ce qu’on fait. Je pense que les gens font souvent des choses contre leur gré parce qu’ils ont besoin d’argent.