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Ce qu’on voit lorsqu’on est une fille en soirée BDSM

Je me demande sincèrement comment j’ai pu arriver là. Devant moi, un individu entièrement recouvert de latex, cagoulé, dont tous les membres sont surmontés de piques et de chaînes, déambule nonchalamment sur la piste de danse. Tous les convives regardent dans sa direction. Il est perché sur des talons compensés ahurissants de hauteur. Impossible de savoir s’il s’agit d’un homme ou d’une femme tant son costume est ambigu et chargé. Puis je sens quelque chose sur ma main ; là je vois un garçon maigre vêtu d’un collant déchiré violet et d’une cagoule en forme de museau de chien, qui se tient à quatre pattes devant moi. Il me tend la laisse accrochée à son cou. Je suis en train de vivre ma première expérience BDSM, et j’aime plutôt ça.

Tout a commencé tandis que je cherchais un job à Pôle Emploi. C’est là que j’y ai rencontré Augustin lors d’un atelier intitulé « Lettres de motivation et candidatures spontanées ». J’ai tout de suite repéré que je l’intéressais, et pas vraiment pour mon CV. Il me regardait, puis m’a abordée à la pause-café. Il s’est avéré que nous avions des points communs : comme moi, il travaillait dans la communication. Je ne sais plus lequel de nous a proposé de se retrouver autour d’un verre pour parler boulot, toujours est-il que nous avons échangé nos numéros. Quelques jours plus tard, nous partagions une bière vers le Père Lachaise, dans le 20e arrondissement parisien.

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Très vite, nous avons dérivé vers des conversations personnelles. Je lui ai parlé de mes envies de libertinage. En retour, il s’est confié sur ses penchants fétichistes et BDSM. Il m’a dit qu’il fréquentait depuis plusieurs années le milieu des gens qui se retrouvent habillés en cuir et latex, se fouettent en public, ou se font un plaisir d’humilier leur partenaire – quand ce ne sont pas eux qui désirent se faire humilier.

L’acronyme BDSM signifie bondage (ou l’art de se faire attacher ou d’attacher en tant que pratique érotique), domination, soumission et sadomasochisme. Je ne viens pas du tout de ce milieu. Comme tous les newbies, j’imaginais donc un univers inquiétant, peuplé de personnes torturées par des penchants inavouables, menant une double vie ; quelque chose de sombre, de dangereux et de malsain. Ce genre de milieu ne conduisait-il pas à leur perte les gens qui le fréquentaient ?

Pourtant, au fur et à mesure de la conversation, intriguée et de plus en plus intéressée par les us et coutumes des sadomasos, je lui ai demandé s’il pouvait m’introduire dans le milieu BDSM parisien. Augustin n’a pas semblé surpris par ma requête. L’idée l’enthousiasmait. Il m’a convié le samedi suivant à la « Nuit Élastique », une soirée festive et érotique organisée sur une péniche, en face de l’église Notre-Dame de Paris, sur l’île de la Cité. Le dress-code était clair : cuir, latex ou vinyle.

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Photo Creative Commons

Pour entrer à la soirée sans dépareiller, il me fallait donc une tenue. J’ai opté pour une jupe vintage cuir et peau, trouvée le jour même dans une friperie, laquelle me moulait avantageusement le cul. Objectivement, je me suis dit que le truc, surmonté d’un débardeur noir, ferait parfaitement l’affaire.

Vers 22 heures, après un apéro entre amis auquel Augustin m’avait rejoint, nous sommes arrivés sur la péniche. J’étais relativement pompette et sexuellement très excitée. Augustin avait des invitations. Nous nous sommes changés dans un vestiaire mixte ou garçons et filles se déshabillaient et se préparaient, dans une ambiance bon enfant. Augustin a revêtu un pantalon moulant en vinyle, une sorte de legging réservé aux hommes fétichistes.

Nous avons descendu les escaliers menant au ventre de la péniche. Quand nous sommes arrivés, les choses étaient assez calmes.

Personne sur la piste de danse. On voyait quelques gens épars, assis sur les banquettes. Deux mecs déculottés se faisaient gentiment fouetter par des nanas munies de martinets au rythme de la musique électronique. Au loin, on pouvait apercevoir un mec en train de ligoter une jeune femme avec des cordes. Il comptait manifestement l’accrocher à une sorte de structure en métal prévue à cet effet. Augustin m’a dit qu’il s’agissait d’une technique découlant du Shibari, l’art japonais du bondage. Un art délicat à pratiquer avec précaution, les risques n’étant pas nuls : marques et brûlures provoquées par la corde, bleus, évanouissements, malaises, perte de sensibilité temporaire d’une partie du corps et paralysie temporaire ou définitive d’un membre. Ce qui fait beaucoup.

En bas, j’ai repéré une femme près du lavabo des toilettes. Elle était courbée, en train de se faire prendre en levrette, tandis qu’elle suçait un autre mec et que trois types étaient en train de se branler tout près de son visage.

Il fallait que cette soirée commence, aussi me suis-je penchée vers Augustin pour l’embrasser, puis je l’ai pris par la main pour rejoindre la piste de danse. Une fille très souriante et habillée d’un costume de Catwoman s’y déhanchait. J’ai appris qu’elle était Chinoise et s’appelait Mei. Nous avons commencé à nous embrasser, puis Augustin a suivi mon exemple. Au bout de quelque temps, elle a baissé la fermeture éclair de sa combinaison et nous a offert à lécher ses magnifiques seins ronds. Augustin et moi ne nous sommes pas fait prier.

Dans le même temps, la péniche se remplissait. Les rayons de laser verts striaient toutes sortes de corps et de tenues. On pouvait observer de plus en plus de femmes vêtues de corsets à baleines en vinyle, de chemises à jabots en dentelle, de ceintures de cuir, ou perchées sur de longues bottes noires luisantes. Celles-ci se mêlaient à des hommes en combinaison de vinyle, ou en jupes d’inspiration steampunk. Il y avait indiscutablement quelque chose d’improbable et de très geek dans leur accoutrement. J’ai constaté que les gens n’étaient ni beaux ni laids, ni jeunes ni vieux. Ils étaient en revanche tous plus queer que la moyenne. La faune ressemblait furieusement à un attroupement de cosplayers venus ici pour baiser et se faire frapper. J’avais imaginé un univers de gens torturés et mystérieux ; je me retrouvais dans une assemblée extravagante, joueuse et enthousiaste.

Nous sommes montés fumer sur le pont du bateau. Augustin me caressait les seins. J’avais carrément enlevé le haut. Il a suggéré que nous redescendions, puisque tout le monde nous voyait depuis le pont qui donnait sur la célèbre église. Moi, je me foutais que les passants voient ma poitrine. Plus grand-chose ne pouvait m’arrêter.

De retour en bas, j’ai repéré une femme près du lavabo des toilettes. Elle était courbée, en train de se faire prendre en levrette, tandis qu’elle suçait un autre mec et que deux ou trois types étaient en train de se branler tout près de son visage. Son corps tout entier était secoué par les coups de reins énergiques. Dans le même temps, un troisième homme jouait avec le sèche-mains électrique, le faisant souffler bruyamment sur le visage de la femme. Ce n’était pas évident de bien voir la scène avec tous les mecs qui se branlaient devant, mais j’ai joué des coudes. Je reconnais qu’assister à ça m’a plu.

Sur la piste de danse, et sans trop savoir comment, je me suis retrouvée comme écartelée. Deux hommes s’occupaient chacun de mes pieds. Deux autres me caressaient et me pinçaient les tétons. Un autre encore était affairé à stimuler mon clitoris pendant que quelqu’un m’embrassait sur la bouche. Puis un travesti au visage vaguement asiatique d’une cinquantaine d’années, souriant de toutes ses dents défoncées, m’a mis dans la main sont petit sexe mou, que j’ai stimulé sans broncher.

Je dois reconnaître que le contact avec sa queue m’a d’abord un peu surprise, mais je n’ai pas vu de raison de le repousser. Très rapidement, ma deuxième main s’est retrouvée également occupée, si bien que j’ai eu l’impression d’être la déesse hindoue Kali, aux nombreux bras, centre érotique du monde.

Tous les regards étaient sur moi. C’était fou, puissant, intense. Et puis c’est retombé et je me suis barrée parce que le mec qui me caressait le clito s’y prenait mal, et parce que j’étais incommodée par ce que j’ai identifié comme des odeurs de glands mal lavés. Je me suis dirigée vers les toilettes où j’ai pu laver mes avant-bras plein de sperme.

J’ai emprunté à Augustin son paddle, un accessoire long et plat destiné à la fessée. Je l’ai d’abord frappé. Ensemble, nous avions convenu d’un safe sign : son poing fermé signifiait qu’il avait atteint la limite de la douleur tolérable. Il a crié un peu, il faut dire que j’ai frappé fort, avant de déclarer forfait. C’est là que j’ai découvert que j’aimais ça, ce que je n’avais jusqu’alors jamais soupçonné. Il est des fois dans la vie où l’on fait un bond en avant. J’étais bien décidée à pousser plus loin l’exploration de ce nouveau penchant. J’ai alors tourné dans la péniche, tapotant le paddle contre ma main, invitant hommes et femmes du regard, à la recherche d’un signe approbateur. Plusieurs hommes m’ont tendu leurs fesses. Un homme particulièrement endurant à la douleur m’a fait capituler : je l’ai frappé jusqu’à en avoir mal à l’épaule. Le lendemain, j’ai réalisé que j’avais également une douleur et une cloque à la main.

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Photo de Joel Sona. .

J’en étais à peu près là quand je suis tombée nez à nez avec le petit homme affublé d’un museau de chien et d’une laisse. Je m’en suis aussitôt emparée et lui ai fait faire un petit tour.

« Dis “Wouf wouf”, je lui ai ordonné.

– Wouf wouf, a-t-il sagement répondu.

– Dis encore “Wouf wouf”.

– Wouf wouf. »

Vous comprendrez que ce petit jeu ne m’a pas tenue longtemps en haleine, aussi me suis-je rassise sur la banquette, hésitante mais néanmoins tentée de le forcer à lécher mon sexe.

Allait-il refuser et m’humilier alors qu’il n’était que mon chien ? Peu probable.

Par un geste je lui ai signifié de s’occuper de mon entrejambe. Il a alors enlevé son masque de chien, non sans difficulté, révélant un visage anguleux et un grand nez à la Adrien Brody. Il était beau et semblait un peu triste. Il m’a léché consciencieusement la chatte et l’a caressée avec son grand nez. J’étais bien. Augustin, qui avait l’air un peu esseulé sur la piste de danse, est venu m’embrasser à plusieurs reprises et me glisser à l’oreille que j’étais « très belle » et que le spectacle que j’offrais « magnifique ».

Le jour a commencé à pointer et les lumières se sont éteintes. Il était 5 h 30 du matin, la soirée touchait à sa fin. Une fille aux cheveux bleus est descendue avertir les derniers en piste que la fête s’achevait. Augustin et moi sommes repartis, bras dessus, bras dessous, sur le pont de Notre-Dame, lui comme moi ahuri de mon audace et de la soirée que nous venions de passer.

Ensemble, sur la ligne 7, main dans la main, et ma tête posée contre son épaule, nous avions l’air du couple le plus romantique qui soit.

Valentine Desclozeaux n’est pas sur Twitter, car ce n’est pas son vrai nom.