Les femmes aussi tuent, se vengent et assassinent. Il peut-être temps de se demander : qui sont-elles, comment tuent-elles, avec qui et pourquoi. Nous leur avons consacré une série, « Les tueuses ».
En photo ou en plan fixe, le panneau rouge et blanc qui marque l’entrée dans la commune de Lépanges-sur-Volognes ou Chevaline revient chaque année comme une vieille rengaine dans les JT. Le fait divers gras et indélébile a tâché le nom de ces bleds sans histoire définitivement maudits. Dans la Manche, Valognes fait partie du club.
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17 octobre 2007, un soleil blanc et froid écrase la commune normande de 6 000 habitants. Si Valognes a hérité d’une petite notoriété, c’est qu’elle abritait autrefois l’usine de beurre d’Isigny, mastodonte de la graisse de qualité. Sinon, de cette ville éclipsée par Cherbourg à 20 km on parle peu, enfin si, du beurre, toujours avec l’ouverture d’une autre fabrique de mottes. Jusqu’à ce jour-là, à l’intersection de la rue du Grand-Prè et de celle des Oiseaux, un quartier résidentiel récent où pavillons et petits immeubles se ressemblent, beiges, comme sortis de terre au même moment.
Ce mercredi après-midi, dans le bâtiment HLM de deux étages où il habite avec sa compagne, Luc Margueritte se décide à aller à la cave. Une odeur désagréable venant du sous-sol dérange ce Normand de 36 ans aux yeux verts et au visage creusé. La porte déverrouillée, l’air se charge immédiatement d’effluves pestilentielles. « L’odeur était insoutenable », lancera-t-il trois ans plus tard aux Assises de Coutances pour préciser : « J’ai vu deux sacs dont l’un suintait. J’ai écarté les bords, j’ai découvert une chose blanchâtre, j’ai pensé à un rat crevé, et puis j’ai vu la forme d’un pied. » Sur le sol froid de la cave, trois sacs poubelle s’ajoutent aux deux premiers. Chacun renferme un corps de nourrisson. Margueritte appelle la police. Sur place, les forces de l’ordre découvrent un sixième minuscule cadavre lui aussi dans enserré dans du plastique noir. Céline Lesage, 35 ans, avec qui il partage sa vie depuis un an est placée en garde à vue. Cette mère d’un ado de 13 ans né d’une précédente union reconnaît les faits sur le champ. Entre août 2000 et septembre 2007, la Valognaise à la silhouette chétive, presque enfantine, cache six grossesses, et, pour chacune d’elle, accouche en secret dans sa salle de bain. Elle tue ensuite ses bébés en les étouffant avec ses mains ou en les étranglant avec des cordelettes. Pour terminer, Lesage dissimule les six corps dans des sacs avec les serviettes et draps maculés de sang qu’elle avait utilisés pour ses accouchements en solitaire.
Pas de doute, selon les autopsies, tous les nourrissons sont nés viables. Pas de fausse-couche ou de décès in utero. Margueritte, lui, ne se doutait de rien, n’a rien vu et ne comprend pas. Il apprend de la police qu’il est le père du dernier né et que les cinq premiers sont les fruits du couple que Céline Lesage formait avec son ex-conjoint. Un premier amour lui aussi placé en garde à vue mais qui bénéficiera plus tard d’un non-lieu.
C’est pendant ses années lycée que Céline Lesage rencontre Pascal Catherine. Très vite, le jeune couple s’installe ensemble. Elle fait des ménages à l’hôpital de Cherbourg, lui, enchaîne les interventions en tant que plombier chauffagiste. En 1996, à l’aube de la vingtaine, la jeune femme tombe enceinte mais camoufle sa grossesse derrière des vêtements larges pendant plusieurs semaines. Elle l’avoue finalement à son compagnon – « sous la contrainte » diront ses proches et les experts psys qui s’entretiennent avec elle – et quitte son boulot. Au bout de neuf mois, alors que les contractions commencent, elle signale à Pascal qu’il peut tout de même aller travailler. Coûte que coûte, elle veut se rendre à l’hôpital seule. « J’avais la crainte que ce soit lui qui m’emmène à la maternité parce qu’il m’avait dit qu’il ne voulait pas assister à l’accouchement », se justifiera l’accusée aux assises, les épaules rentrées. À cette même audience, la mère de Céline racontera ce gendre rustre qui ne se pointe pas à la clinique, ne coupe pas le cordon ombilical et ne reconnaîtra pas son fils tout de suite. Sa grossesse s’est en fait déroulée sans suivi médical, le personnel soignant ne disposant d’aucun dossier.
« On voyait bien qu’elle mettait des grands pulls et qu’elle ne pouvait plus fermer son imperméable. »
Quatre ans après avoir donné naissance à son fils, en 2000, le cercle infernal des gestations fantômes démarre sous les yeux de Pascal Catherine qu’il feint de fermer. L’entourage du couple n’est pas aveugle non plus. La famille du plombier l’avoue au journaliste du JDD, envoyé spécial à Valognes en 2007 : « On voyait bien qu’elle mettait des grands pulls et qu’elle ne pouvait plus fermer son imperméable. On lui disait qu’elle était grosse mais elle niait ou ne disait rien ». La belle-mère de Lesage se souvient alors de l’avoir croisée « livide devant une porte » et lui affirmant qu’elle venait de faire une hémorragie. De Céline, ses proches parlent d’une femme impliquée dans le milieu associatif. Souriante, cette fille de militant de Force Ouvrière consacre son temps libre au Téléthon ou au syndicat de Parents d’élèves, la FCPE.
En 2006, Pascal la quitte et refait sa vie avec Nadège, une voisine. De son côté, Céline se met en couple avec Luc, un Valognais lui aussi. Le duo s’installe dans un T3 pas loin, toujours dans la petite ville, un bâtiment HLM récent que le Plan local d’urbanisme a dû sans doute imaginer « à taille humaine ». Des espaces verts, des places de parking à foison. Au loin, on aperçoit un château d’eau. Entre son ancien appartement et celui-ci, quelques mètres à faire seulement pour transférer les petits cadavres d’une cave à l’autre. Dans ce nouveau foyer, elle donne naissance pour la sixième fois en secret. Le bébé de Luc Margueritte qu’elle étouffe, le dernier nourrisson qu’elle tue.
« Son mode opératoire était à l’image de son profil psychologique : discret. »
Le 2 juin 2009, le docteur Loick Villerbu entre dans la maison d’arrêt de Caen pour expertiser Céline Lesage alors incarcérée depuis deux ans. Il est le troisième expert psychologue à la rencontrer. « Elle était très peu susceptible de parler d’elle-même. Elle n’a jamais trouvé sa place, constamment intimidée par son environnement. C’était quelqu’un qui se répétait “je ne mérite pas” et qui cherchait des milieux protecteurs. Elle préférait se taire, pour éviter de créer des problèmes », signale onze ans plus tard ce psycho-criminologue depuis son cabinet breton. « Son mode opératoire était à l’image de son profil psychologique : discret. Elle a gardé à côté d’elle les corps et n’a jamais pu les faire disparaître. Dans l’incapacité de s’ouvrir, elle effaçait tout et se terrait dans un mutisme total, persuadée que ses proches, son environnement, ne pouvait ni l’entendre ni l’écouter », reprend-il.
Le 15 mars 2010 aux Assises de Coutances, la mère infanticide traverse ce gros bloc de pierres blanches. Chétive, des policiers l’encadrent. Les cheveux attachés en queue de cheval basse, le regard vide, le visage impassible, paumée, Céline Lesage comparaît pour meurtres aggravés et risque la perpétuité. Le président donne le ton : « nous sommes là pour essayer de vous comprendre avant de vous juger ». Derrière les portes du tribunal, les assassinats commis par Lesage ne déclenchent que peu d’animosité. Dans les rues de Valognes, les riverains se disent « à côté de leurs pompes », « sous le choc », pas haineux. Comme si associer Lesage à une criminelle sonnait faux, tordait la bouche. Une empathie qui inonde aussi l’opinion et les journalistes. Dans les JT ou articles sur le fait-divers, pas de sensationnalisme superflus mais la volonté de comprendre cette femme qui assume mais n’explique pas. C’est même ce que l’avocat de l’association Enfance et partage, qui s’est constituée partie civile, plaide : « Madame Lesage a tué ses bébés comme on tue une portée de chatons. (…) Vous avez commis des actes monstrueux, mais vous n’êtes pas un monstre. Vous faites partie de la communautés des hommes, vous vous en êtes éloignée, mais nous souhaitons tous ici que vous rejoigniez cette communauté. Céline Lesage, vous n’êtes pas seule. »
« J’ai été chercher un sac. Je l’ai mis à l’intérieur. J’ai fermé, je suis descendue à la cave. Voilà. »
« J’ai conscience que j’ai tué mes bébés (…), mais c’est trop dur. Je me fais tellement horreur que je me voile la face », atteste l’accusée lors de son procès. Le deuxième jour, elle confesse et raconte en larmes, le tout premier néonaticide, celui de 2000 : « J’ai mal au ventre. Je me couche. Je perds les eaux. Quelque chose est sorti. J’ai mis la main sur son visage. Puis j’ai tiré sur le placenta. J’ai été chercher un sac. Je l’ai mis à l’intérieur. J’ai fermé, je suis descendue à la cave. Voilà. »
À la barre, Pascal Catherine entendu comme « témoin privilégié » tente de se défendre pendant deux heures. Son vocabulaire ne suit pas mais sa tactique reste limpide : il veut être considéré comme victime. « C’est pas de ma faute si elle a fait ça (…) puisqu’elle l’a fait à quelqu’un d’autre » lance-t-il. « J’ai l’impression qu’on était des objets, des cobayes pour elle. (…) On peut pas fonder une famille sur des menteries… Ça se construit, une famille. Céline n’a pas réussi à construire une famille. Elle a détruit une partie de ma vie », clame le chauffagiste. Mais personne n’est dupe : comment a t-il pu passer à côté de cinq grossesses ?
« On n’utilisait pas forcément ce terme à l’époque mais Céline Lesage était sous l’emprise de ce premier conjoint. Il s’agit d’un homme qui ne regarde rien, qui ne sent rien, qui est toujours à côté et qui la qui domine. Il était dans l’indifférence totale par rapport à la condition de sa femme. Ce n’est qu’avec son second conjoint qu’elle a réussi à construire une relation positive », décrypte aujourd’hui Loick Villerbu qui avait certifié aux assises en 2010 que Catherine avait tout du « père typique dans les affaires d’infanticides ».
Au terme de trois heures et demie de délibération, Céline Lesage est condamnée à quinze ans de réclusion assorti d’un suivi socio-judiciaire d’une durée de dix ans, avec une peine de cinq ans supplémentaires en cas de non-respect. Son avocate se dit satisfaite : la coupable comprend cette décision de justice. Le matin même, Luc Margueritte avec qui elle avait refait sa vie, racontait son ex compagne à barre : « Céline, il faut aborder très doucement : elle ne s’aime pas. »
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