Cemican fête son dixième anniversaire cette année. Sans aucun doute une des formations les plus spectaculaires du monde (costumes démentiels, sacrifices de roadies, concerts chamaniques), le quintet de Guadalajara viendra porter la bonne parole du jaguar metal au Cernunnos Pagan Fest avant de revenir quatre mois plus tard au Hellfest. L’occasion pour Mazatecpatl, le préposé au terrifiant sifflet de la mort, l’instrument utilisé par les Aztèques pour épouvanter leurs ennemis, de nous parler de dieux anciens mais aussi de peyotl, de narcoviolence et d’un certain Donald Trump.
Noisey : On dit que vous jouez du « metal aztèque ». Qu’est-ce qui vous plaît particulièrement dans cette civilisation et pourquoi avoir choisi les Aztèques plus que, mettons, les Mayas ou les Toltèques ?
Mazatecpatl : Nous sommes bien sûr conscients de la grande diversité de peuples et de civilisations qui ont existé et continuent d’exister en Amérique centrale. Nous avons choisi la civilisation aztèque parce que nous trouvons que c’est une des plus représentatives et une de celles dont l’héritage est encore le plus présent. Mais nous allons probablement enregistrer un concept-album dans lequel il y aura des chansons sur les Mayas.
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Quels sont les thèmes principaux de vos paroles ?
Nous parlons surtout de la cosmogonie et de la mythologie de nos ancêtres ainsi que de la dualité entre la vie et la mort.
Vous chantez en castillan, la langue des envahisseurs. Pourquoi ne pas chanter en nahuatl comme par exemple Amocualli [autre groupe de metal précolombien de Guadalajara, NDLR] ?
Chaque groupe a son style. Il se trouve qu’on a commencé à chanter en espagnol même si nos paroles incluent souvent des phrases ou des mots en nahuatl. En fait, on a choisi cette solution pour être certains que nos paroles puissent être comprises par le plus grand nombre.
Comment la scène du metal préhispanique est-elle au Mexique en ce moment ?
Il y a moins de groupes qu’il y a quelques années. Par contre, il y en a aux États-Unis, en Russie et même en France avec Chabtan !
Pour en revenir aux civilisations précolombiennes, que pensez-vous de la façon dont elles sont vues aujourd’hui au Mexique ?
Je pense qu’à l’école, le sujet est tellement mal traité qu’il est rendu ennuyeux. En plus, seul le haut de l’iceberg est effleuré.
Et que penses-tu de la façon dont les indigènes et leurs cultures sont traités aujourd’hui au Mexique ?
Il y a eu des progrès ces dernières années, en particulier en termes de droits mais il reste encore énormément de choses à faire avant que les indigènes puissent vraiment profiter de leurs terres et de leurs droits.
Le Mexique est gangréné par la narcoviolence. Les cartels de Jalisco [la province de Guadalajara, NDLR] sont célèbres pour leur violence. Quelles sont les conséquences dans la vie de tous les jours ?
Cette vague de violence au Mexique est un problème compliqué. En plus, il est certain que la façon dont les infos étrangères en parlent rend la chose encore pire. La vérité, c’est que si tu n’es pas impliqué dans ce genre d’affaires, il ne t’arrivera rien. Mais c’est vrai qu’il est très triste de voir les journaux exhiber des cadavres sur leurs unes comme si c’était la chose la plus normale du monde.
Cette violence vous inspire t-elle ?
Non, pas du tout. Au contraire, nous essayons de préserver ce qu’il y a de mieux pour notre pays : l’héritage de nos ancêtres.
Êtes-vous proches des autres scènes metal d’Amérique latine ?
Oui, nous avons de bonnes relations avec le groupe brésilien Arandu Arakuaaqui a un concept proche du nôtre. Nous avons aussi des potes au Pérou, en Colombie et en Argentine.
L’Amérique. Ce continent porte le nom d’Amerigo Vespucci, un Italien qui travaillait pour l’Espagne. Pas juste, non ?
Ouais. D’un certain point de vue, ça l’est. On sait que les envahisseurs donnaient de nouveaux noms aux terres qu’ils découvraient. Par exemple, notre pays s’appelait la Nouvelle-Espagne à l’époque de la Vice-Royauté (1535 – 1821). En ce qui concerne Jalisco, la région s’appelait Nouvelle-Galice. Tous ces noms ont été changés à la fin de la lutte pour l’indépendance. Ce n’a pas été le cas pour le nom du continent parce qu’il était peut-être déjà trop enraciné.
Il est courant de détester les Espagnols en Amérique latine. Tu ne trouves pas ça un peu contradictoire ?
Je n’irais pas jusqu’à dire que nous les haïssons même s’il y a du ressentiment dans une partie de la population. Mais le plus important c’est que tous les pays d’Amérique latine ont leurs propres identités et cultures même s’il est désolant que les vieilles croyances et langues n’aient pas été préservées.
Les indigènes prennent des plantes hallucinogènes comme le peyotl. Vous pratiquez ?
Oui, bien sûr. On en prend pour pratiquer certains rites.
Justement. Je sais que vous participez à des cérémonies chamaniques. Vous pouvez nous en dire plus ?
Nous participons souvent au Temazcal, une cérémonie qui implique une hutte à sudation. Des pierres sont chauffées à blanc. La pièce est alors emplie de vapeur brûlante. On brûle des herbes, on chante, on fait des vœux… La fin de la cérémonie est une renaissance. Tu te rappelles quand tu étais dans la matrice de ta mère, la première fois que tu as vu la lumière… Nous collaborons aussi avec des calpullis, des communautés indigènes. Nous jouons du tambour, des flûtes en roseau et nous dansons avec eux.
Vos concerts sont spectaculaires. Avez-vous designé et fabriqué vous-mêmes vos costumes ?
Oui, nous les dessinons en fonction du personnage que nous voulons incarner. Ils représentent les croyances de chacun d’entre nous.
Vos clips arrachent aussi. Vous les produisez vous-mêmes ?
Nous écrivons les histoires. Ils sont réalisés par notre metteur en scène fétiche, Jobo Panteras [le leader du groupe keupon Garigoles, NDLR]. Nous supervisons tous les détails esthétiques. Dans certains cas, nous avons l’aide de groupes de danse.
Vous avez joué en Europe, en particulier au Download et à Wacken. Quelles sont les différences entre le public européen et le mexicain ?
Tu ne le croiras peut-être pas mais, en Europe, le public apprécie plus les concerts. Au Mexique, on dirait que tout le monde ne vient que pour les têtes d’affiche. En Europe, le public est plus extraverti, je le jure ! [Rires]
Je sais ce que tu vas répondre mais tu n’échapperas pas à la question : que t’évoquent Trump et son mur ?
Cette question est complètement inattendue ! [Rires]. Et bien, je pense que ça ne ralentira absolument pas le flot d’immigrés. Nous sommes conscients qu’on a une mauvaise image mais, bon, la plupart d’entre nous travaille pour l’améliorer alors…
Vous venez en France pour jouer au Festival païen Cernunnos. Vous intéressez-vous aux autres religions païennes ?
Nous sommes tous sauf chrétiens. Le paganisme au Mexique est en train de vivre une sorte de revival. Tant mieux, il faut absolument que, tous, partout sur la planète, nous nous souvenions de nos anciens dieux !
Cemican sera en concert en France au Hellfest, le dimanche 23 juin.
Olivier Richard est sur Noisey.