Vingt ans après le décès de Semira Adamu, morte étouffée par des policiers à l’aéroport de Zaventem lors de son rapatriement forcé vers le Togo — pays qu’elle avait quitté pour échapper à un mariage forcé —, on pourrait faire semblant de ne pas avoir remarqué que rien n’a changé. Sauf que les politiques migratoires se sont durcies, les migrant·es sont plus criminalisé·es que jamais et les centres fermés posent particulièrement question en termes de respect des droits humains ; et là encore, la pandémie renforce l’inquiétude.
Depuis le début du confinement, l’annulation des visites isole encore un peu plus les détenu·es et, par extension, ne permet plus aux « civil·es » ni aux ONG de contrôler la manière dont iels sont traité·es dans ces centres dont la gestion est basée sur le modèle carcéral, entre restrictions et sanctions.
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Le lundi 16 mars, lors de la première semaine de confinement, la députée Ecolo Sarah Schlitz fait usage de son droit de visite parlementaire au centre fermé de Vottem suite, notamment, à l’appel d’un détenu par l’intermédiaire de son avocat. Elle y observe un manque criant d’information au sujet du coronavirus tandis que le manque d’hygiène et de matériel rend impossible l’application des mesures pour s’en protéger.
Le lendemain, alors qu’il n’est plus possible d’introduire de demandes d’asile à l’Office des Étrangers, les centres fermés ont progressivement procédé à des libérations aléatoires et au cas par cas pour permettre la mise en place des mesures de confinement imposées par l’OMS mais aussi parce que selon la loi, une personne ne peut être détenue que durant le temps strictement nécessaire à son expulsion. C’est d’ailleurs sur cette loi que s’appuient le Mouvement contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie (MRAX) et une quarantaine d’autres organisations qui appellent à la libération de tou·tes les détenu·es enfermé·es. Pour l’instant, 300 des 700 personnes détenues en début mars ont été libérées.
Cela dit, ces libérations ne mettent pas pour autant à l’abri. Alors que le gouvernement portugais a décidé de régulariser temporairement certain·es demandeur·ses d’asile et que la France va prolonger les titres de séjour, les personnes relâchées sur le sol belge l’ont été avec un ordre de quitter le territoire dans les 30 jours (OQT) — ce qui n’est pour l’instant pas possible. L’Office des Étrangers, qui s’occupe de ces centres fermés et délivre ces OQT, ne propose pas de suivi et semble se dédouaner de toute responsabilité une fois les détenu·es libéré·es. Alors que certain·es ont pu être pris·es en charge par les associations comme BXL Refugees afin d’être hébergé·es dans des centres ou des hôtels, d’autres personnes risquent de rester à la rue si elles n’ont pas de famille ou de contacts chez qui loger et ce, alors que le plan hiver s’est achevé le 31 mars.
Concernant les personnes encore enfermées — et qui ne comprennent pas pourquoi d’autres ont été libérées et pas elles —, c’est le flou total. En plus de la suspension temporaire des démarches administratives, les rares tentatives d’actions collectives sont anéanties par les forces de l’ordre et il ne reste plus qu’internet pour se tenir au courant des conditions de détention actuelles, comme à travers cette vidéo que la RTBF a diffusée.
Avec le soutien de Getting the Voice Out, Ines Bahja, est entrée en contact avec plusieurs personnes jugées illégales dans le but de rendre compte des conditions dans lesquelles elles sont détenues. Elle a fait parvenir à VICE les témoignages écrit et audio de 11 personnes placées à Holsbeek et à Vottem, centre réputé vétuste. Ines maintient un contact continu avec ces détenu·es à travers des appels téléphoniques quotidiens, ce qui est un moyen parmi d’autres de leur fournir un soutien psychologique et administratif.
Le plus gros problème ne se concentre pas autour du virus. Si ces témoignages révèlent l’inquiétude et l’incompréhension face à la situation actuelle, elles montrent surtout le désespoir auquel iels devront faire face une fois que les frontières rouvriront et qu’iels seront légalement expulsables.
Mesures de protection et risques de contamination
« On n’est pas en sécurité ici parce que les règles imposées par le gouvernement ne sont pas appliquées ici, à l’intérieur, il n’y a pas de mesures de sécurité, on est en contact non-stop avec les surveillant·es. On risque à tout moment d’attraper le virus vu qu’iels viennent de l’extérieur. » – Anonyme, Vottem.
« Le personnel ne porte pas de gant, pas de masque, rien. Quand iels entrent dans le centre, iels mesurent seulement leur température, iels entrent comme ça mais sans masque et sans gants. » – Anonyme, Holsbeek.
« Iels disent qu’on est en sécurité, plus ici que dehors, parce que le virus ne peut pas rentrer ici. Oui, on ne sort pas, mais le personnel peut ramener le virus ici. » – Anonyme, Holsbeek.
« Cinq fois par jour, les surveillant·es ouvrent la porte et il y a un contact, il n’y a pas un demi-mètre de distance […] On me donne la nourriture dans des objets en plastique qui ne sont pas désinfectés. » – Anonyme, Vottem.
« Iels ont pris la température [d’un détenu malade] et l’ont mis en isolement. Iels sont venu·es récupérer ses affaires mais n’ont rien désinfecté. On ne sait pas ce qui lui est arrivé réellement parce qu’iels veulent pas nous dire. » – Anonyme, Vottem.
Accès à l’information
« On est stressé·es. On ne comprend pas pourquoi on ne nous a pas libéré·es alors qu’il y a eu une vague de libérations sous prétexte du coronavirus. » – Anonyme, Holsbeek.
« On ne peut rien leur demander. Iels ne savent rien. Ce sont juste des gardien·nes qui s’occupent de nous et nous observent depuis les caméras. Rien d’autre. » – Anonyme, Holsbeek.
« J’ai été informée du Covid-19 à travers la télévision mais je ne savais pas comment il se transmettait ni quelles étaient les mesures de protection. Et comme ici c’est la pagaille… » – Anonyme, Holsbeek.
« Comme iels ne parlent pas l’espagnol, iels ne me comprennent pas. C’est la raison pour laquelle iels m’ignorent. » – Anonyme, Holsbeek.
« L’assistant social vient uniquement pour nous dire soit : “Vous irez tel jour au tribunal”, soit pour nous dire : “tel jour, vous irez à l’aéroport”. C’est le seul moment où vous voyez l’assistant social » – Anonyme, Vottem.
« Les seules choses qu’on sait sur le coronavirus, c’est à travers la TV. Ici, on ne nous a rien dit. » – Anonyme, Vottem.
« Les personnes qui décident de faire une grève de la faim, on les enferme et on les met à l’isolement. » – Anonyme, Vottem.
Après le coronavirus
« Il y a des gens ici qui viennent de pays en guerre et on veut les forcer à rentrer là-bas […] mais les gens préfèrent mourir ici que de retourner dans leur pays. Personne ne se préoccupe de leur détresse. » – Anonyme, Vottem.
« On est enfermé·es pour des questions de papiers. Aujourd’hui, on sait que tous les aéroports sont fermés et on sait pas quoi faire de nous, on est ici dans les oubliettes. » – Anonyme, Vottem.
« Iels veulent nous amener dans nos pays d’origine. Où on va aller ? On n’y connaît personne. Moi j’ai quitté ce pays à l’âge de 14-15 ans. » – Anonyme, Vottem.
« Iels m’ont emmené en centre fermé. Iels m’ont donné une interdiction de 15 ans de venir dans l’espace Schengen et en Belgique. Mais je peux pas abandonner mes enfants pendant 15 ans. » – Anonyme, Vottem.
« Je suis né ici et on veut me renvoyer dans un pays que je n’ai pas connu. » – Anonyme, Vottem.
« Vous voulez me renvoyer où ? Toute ma vie est ici, toute ma famille est belge. » – Anonyme, Vottem.
« On se demande vraiment qu’est-ce qui va nous arriver ici, qu’est-ce qu’iels nous réservent. » – Anonyme, Holsbeek.
« La différence entre un·e détenu·e de prison et quelqu’un qui se trouve dans un centre fermé ? Ici on nous dit : “vous, c’est administratif”. » – Anonyme, Vottem.
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