Un grand nombre de bouquetins étaient abattus ce jeudi et ce vendredi dans le massif du Bargy (Haute-Savoie), sur ordre du préfet. Des specimens de cette espèce protégée sont atteints d’une maladie grave transmissible à l’homme, la brucellose, mais nombre d’animaux sains vont également être tués lors d’opérations de ce type, qui doivent être renouvelées. Le chiffre de 230 bêtes à abattre a été donné par la préfecture.
Cette solution choisie pour la deuxième fois (un premier abattage a eu lieu en 2013), par la préfecture du département est vivement critiquée par des associations de défense des animaux, mais également par des membres de la communauté scientifique.
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« C’est un massacre et une erreur, » tonne Jean-Pierre Crouzat, administrateur de la Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature (Frapna) et de la LPO — deux associations de protection de la biodiversité dans la région.
Contacté par VICE News ce vendredi midi, il ne décolère pas : « C’est un massacre, car les deux tiers des animaux abattus sont sains, et une erreur parce que le scénario qu’est en train de mettre en oeuvre le préfet risque fort de disséminer cette infection vers les massifs voisins. »
Le préfet Georges-François Leclerc défend sa position : le risque de contamination est trop grand selon lui pour attendre et opter pour des solutions plus longues à mettre en oeuvre. Une mesure soutenue par les agriculteurs de la Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles (FDSEA) des Savoie, qui parlent d’une « sortie de crise ».
« Une opération d’abattage a commencé jeudi et se poursuit ce vendredi, » nous a confirmé une porte-parole de la préfecture de Haute-Savoie ce vendredi matin. Cet abattage, mené par les gardes de l’Office de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) a été rendu possible par la publication d’un arrêté préfectoral le 16 septembre dernier.
« La solution choisie est de préserver un noyau sain [de bouquetins], » nous explique la porte-parole. « Le massif compte à peu près 300 bouquetins en tout. Environ 70 bouquetins ont été testés non porteurs de la maladie dans les semaines passées, et marqués avec un fanion de couleur. »
Tous ceux qui ne portent pas de fanion seront donc abattus par balle — soit un objectif de 230 bouquetins.
Un communiqué rendant compte de cette première opération devait être publié dans la soirée de vendredi. Mais la préfecture a d’ores et déjà annoncé que cette campagne serait menée « dans la durée » — une telle opération sera donc vraisemblablement renouvelée.
Première campagne d’abattage en 2013
Tout commence en 2012, lorsque deux cas de brucellose se déclarent en Haute-Savoie, chez deux garçons de la même famille. Tous deux ont été infectés après avoir mangé du formage cru fabriqué à partir du lait d’une vache contaminée. Tout le troupeau est alors abattu et dans cette région célèbre pour son reblochon, tous les fromages fabriqués à partir du lait provenant de ce troupeau sont détruits. Il s’agissait alors du premier cas de contamination d’un élevage depuis près de 10 ans en France.
« La brucellose est une maladie très contagieuse qui fait avorter les femelles de ruminants, » nous explique ce vendredi Dominique Gautier, docteur vétérinaire, spécialiste des maladies de la faune sauvage. « Elle est transmissible à l’homme, chez qui elle provoque des fièvres, des douleurs musculaires et articulaires. »
En cherchant l’origine de la maladie, on découvre qu’elle provient des bouquetins, réintroduits dans le massif du Bargy dans les années 1970. Les animaux subissent alors une première campagne d’abattage à l’automne 2013 — qui n’a pas eu les effets escomptés.
« Au lieu d’assainir, on a plutôt vu une exacerbation de la présence de cette maladie, » nous explique Dominique Gauthier, qui a été membre du groupe de 14 experts ayant travaillé sur ce dossier durant huit mois, et dont les conclusions sont rendues dans un avis de l’agence nationale de sécurité sanitaire (ANSES) publié en juillet dernier.
« Les groupes sociaux d’animaux se désorganisent et se ré-apparient de manière hasardeuse. Les animaux se regroupent sans se connaître, donc il y a plus de contacts et de contamination, » explique le spécialiste.
Tout recommencer
Face au premier échec de l’abattage de 2013, les experts ont alors développé plusieurs scénarios, et ont notamment analysé la proposition faite par le préfet, qui est de garder un petit contingent d’animaux sains. La conclusion est sans appel : « C’est voué à l’échec, c’est très clair. Pour deux raisons : on n’arrive jamais à abattre cent pour cent d’une population [d’animaux sauvages, ndlr], et il y a un risque fort de diffusion vers les massifs voisins. Puisqu”un massif est vidé, des mouvements de population se créent, » explique Dominique Gauthier.
Sur cette base, le Conseil national de protection de la nature (CNPN), qui dépend du ministère de l’Écologie, a également rendu un avis défavorable à l’abattage massif des bouquetins dans le massif le 15 septembre dernier. Mais le préfet n’a pas suivi cet avis — qui n’était que consultatif.
« Toute la communauté scientifique est abasourdie, » affirme Dominique Gauthier. « Nous avions fourni des éléments de réponse assez clairs. Mettre en oeuvre la solution que nous avons démontrée comme vouée à l’échec, c’est non seulement faire fi du savoir scientifique, mais c’est surtout un grand gaspillage de moyens publics. Dans 5 ou 10 ans, il faudra tout recommencer. »
Les scientifiques recommandaient une solution qui combine la vaccination et l’abattage : un grand nombre d’animaux seraient régulièrement capturés, ceux testés séropositifs abattus, et les autres vaccinés, durant une longue période.
Une pétition contre cet abattage massif circule depuis 2013, et a recueilli plus de 70 000 signatures.
Suivez Lucie Aubourg sur Twitter : @LucieAbrg