La bactérie Clostridium thermocellum a attiré l’attention des médias récemment à cause de sa capacité à décomposer la cellulose (un composé organique particulièrement résistant que l’on trouve chez les plantes) afin de la convertir en biocarburant utilisable sans ajout d’enzymes. Or, les scientifiques du Laboratoire national des énergies renouvelables (NREL) du ministère de l’Énergie, aux Etats-Unis, ont fait une autre découverte à son propos : la bactérie peut également absorber et métaboliser le dioxyde de carbone (CO2).
Tout cela est plutôt excitant : bien que cela ne signifie pas que la bactérie pourrait « débarrasser » l’air d’une partie de son CO2, elle pourrait être conçue pour créer des biocarburants plus efficaces et « neutres en carbone », c’est-à-dire absorbant autant de CO2 qu’ils en émettent. Les résultats de ces recherches sont publiés dans le journal Proceedings of the National Academy of Sciences.
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« Si nous pouvions comprendre le mécanisme qui permet à la bactérie de capturer le CO2, » explique la scientifique du NREL et co-autrice de l’article, Katherine J. Chou, « nous pourrions modifier la bactérie afin qu’elle soit encore plus efficace. » L’idée est évidemment de réduire, à terme, la quantité de CO2 présent dans l’atmosphère.
Le fait que cette opération biochimique soit possible est encore un mystère pour les scientifiques. C. thermocellum est une bactérie dite hétérotrophe. Les hétérotrophes ont besoin de molécules de carbone organique – comme la cellulose par exemple – afin de construire de nouvelles cellules et de réaliser leurs fonctions biologiques. Ici, elles transforment le carbone organique présent dans leur environnement en une forme inorganique, le CO2. Tandis qu’elles mâchonnent paisiblement le carbone organique sous diverses formes, comme le glucose, elles produisent des déchets (le CO2). Cela restreint donc le rendement maximal de biocarburant que ces types de bactéries peuvent créer, un phénomène connu sous le nom de « perte de carbone. »
« Cela représente une perte de carbone organique qui aurait pu être utilisé pour fabriquer de l’hydrogène et des hydrocarbures » explique Chou. Elle estime que cette contrainte compromet l’utilisation des biocarburants comme source d’énergie renouvelable, même si cette utilisation est susceptible de diversifier notre système énergétique. « Si nous devons constamment gaspiller un tiers de la biomasse renouvelable, qui sera transformée en CO2, cela vaut-il vraiment le coup d’investir dans ce genre de procédés ? »
C. thermocellum tire néanmoins sa bonne réputation de son efficacité à décomposer directement la cellulose en biocarburants. Les scientifiques estiment que ce phénomène est peut-être lié à une faible perte de carbone, mais jusqu’à aujourd’hui, ils ne comprenaient pas comment ce déficit pouvait bien être compensé.
Les chercheurs du NREL ont étudié plus avant les pouvoirs de C. thermocellum en utilisant la spectrométrie de masse, une technique qui permet d’examiner la masse des molécules d’un produit chimique particulier afin d’identifier des composés inconnus. Elle est particulièrement utile pour étudier les processus chimiques.
Ils ont ainsi découvert que, étonnamment, le micro-organisme était capable de métaboliser le CO2, ce qui signifie qu’il pouvait récupérer le carbone libéré en décomposant la cellulose. Il peut réabsorber ses propres déchets, en somme, évitant ainsi de relâcher davantage de CO2 dans l’environnement. « Nous ne comprenons pas comment la bactérie est capable de consommer la cellulose tout en dégradant une partie des déchets de CO2. Elle est extrêmement efficace, » explique Chou.
Cette étrange caractéristique bouleverse nos certitudes, car les bactéries décomposent habituellement soit du carbone organique, soit le carbone inorganique – et non les deux. Chou ajoute qu’il est maintenant nécessaire « de redéfinir complètement ce type de bactéries. Et peut-être d’autres. Comment parvient-elle à utiliser les deux types de carbone sans enfreindre les lois de la thermodynamique sur la conservation de l’énergie ? »
Quoi qu’il en soit, ces résultats extraordinaires ouvrent la voie à l’utilisation potentielle d’une version génétiquement modifiée de ce minuscule micro-organisme, dans le but de produire efficacement des biocarburants neutres en carbone. Ce faisant, ils pourraient également redonner une légitimité aux biocarburants, afin qu’ils soient de nouveau perçus comme un moyen utile et légitime de réduire les émissions de carbone produites par l’homme. Reste à savoir si l’efficacité de la bactérie peut être améliorée au point d’avoir un effet sur le niveau de CO2 dans l’atmosphère, tout en étant exploitée dans un cadre scientifique et éthique strict.