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Ces hommes qui piègent leur copine pour qu’elle tombe enceinte

Tricheurs mettant enceinte copine

Après la naissance de son premier enfant, Alice hésitait à en avoir d’autres. Son mari faisait preuve de violence verbale et psychologique envers elle, nous a-t-elle dit, et n’a jamais été d’une grande aide lorsqu’il fallait s’occuper de leur enfant. « Je n’étais pas certaine de pouvoir me charger [d’un autre bébé] seule » a-t-elle dit.

Alice, une femme d’une trentaine d’années pour qui le nom a été modifié pour protéger son identité, n’avait pas de moyen de contraception particulier. Depuis deux ans, elle utilisait la méthode du retrait avec son mari. Un soir, ils ont couché ensemble pour se réconcilier d’une dispute.

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Sans lui dire, son mari a décidé de ne pas se retirer.

« Pas d’avertissement, ni de discussion. Il ne m’a pas non plus demandé s’il pouvait le faire — il l’a fait » se rappelle Alice, maintenant divorcée. « J’ai paniqué. J’étais furieuse qu’il n’en ait pas discuté avec moi. J’ai vérifié sur l’application que j’utilisais pour suivre mes menstruations et j’étais en pleine période d’ovulation. J’ai dit “Super, tu viens juste de me mettre enceinte, pauvre con” et il a dit “Bien ! Je veux plus d’enfants de toute façon.” »

Suite à cet incident, Alice est tombée enceinte ; ses enfants ont maintenant deux et cinq ans.

Elle s’énerve encore lorsqu’elle repense à cette nuit. « On avait des rapports consentis, mais après qu’il ait fait ça, j’ai ressenti le même malaise que lors d’agressions sexuelles précédentes. Je ne pense pas qu’il ait préparé un plan pour me piéger, mais il avait si peu de respect pour moi. Il n’avait rien à faire de mon avis. »

Quand il s’agit de relations conflictuelles et de grossesses inattendues, le stéréotype redondant est celui de la femme qui tend un « piège » à son partenaire et qui tombe enceinte pour avoir une emprise sur lui — aussi appelé « piégé par un bébé ».

Cette histoire est tellement ancrée dans notre culture que lorsqu’un homme célèbre a un enfant avec une femme moins connue, les gens demandent s’il s’est fait piéger ou pas.

Bien entendu que des femmes peuvent faire rester leurs partenaires en tombant enceinte, a dit Heather McCauley, épidémiologiste social au Michigan State University. (La réalité, bien-sûr, est que quand les femmes sont enceintes et qu’elles ont des enfants, elles sont plus susceptibles de passer du temps à les élever que les hommes.) Pourtant, les cliniciens ont souvent rapporté avoir entendu des histoires qui montraient que l’opposé se produisait également, a-t-elle continué. « Les partenaires sexuels jouent avec leurs contraceptions, leur mettent la pression pour qu’elles soient enceintes et les menacent de partir si elles ne tombent pas enceintes » a expliqué Heather McCauley.

Ce type de comportement — où les hommes exercent un pouvoir de contrôle sur les choix de reproduction des femmes — est une sorte de violence connue sous le nom de reproduction coercitive. Cependant, ce qui est terrifiant, c’est que lorsque ce sujet peu discuté est abordé, il est souvent dépeint d’une manière désinvolte, à l’instar de Pete Davidson, qui expliquait l’année dernière dans le Saturday Night Live qu’il échangeait les pilules contraceptives de sa fiancée, Ariana Grande, contre des Tic Tac.

« Il n’arrêtait pas de me dire que la prochaine étape était d’avoir des enfants »

De manière générale, la reproduction coercitive est définie par l’American College of Obstetricians and Gynecologists (ACOG) comme « un comportement destiné à maintenir un contrôle et un pouvoir dans la relation liée à la santé reproductive ». Parmi les exemples : cacher ou détruire des pilules contraceptives, percer délibérément des préservatifs, les enlever durant le rapport ou encore ne pas se retirer comme prévu, presser sa partenaire à tomber enceinte alors qu’elle ne le veut pas, et la menacer violemment si elle ne souhaite pas se conformer aux souhaits de son partenaire, que ce soit pour mettre fin à la grossesse ou la poursuivre. Dans les états les plus restrictifs au niveau des lois pour l’avortement, les personnes enceintes sont effectivement forcées d’aller au terme de leur grossesse.

Une femme sur quatre — âgée entre 18 et 45 ans et qui a demandé accès à des soins médicaux — a déclaré avoir vécu une procréation coercitive d’après l’analyse du journal BMJ Reproductive & Sexual Health, publiée en janvier. Les femmes noires et multiraciales, ainsi que les jeunes et adolescentes semblent être plus exposées d’une façon disproportionnée à ce genre d’abus. En fait, Heather McCauley, co-auteure d’une nouvelle étude publiée ce mois-ci, a fait le constat qu’au moins une fille sur huit, âgées de quatorze à 19 ans, a rapporté avoir été victime d’un rapport coercitif au cours des trois derniers mois.

Bien que certaines personnes extérieures aux États-Unis aient été accusées de certains de ces actes, comme le fait de retirer ou de percer le préservatif, les comportements qui émanent du terme de reproduction coercitive ne sont pas illégaux.

Lauren, dont le nom de famille n’a pas été dévoilé pour protéger son identité, a dit qu’elle avait 23 ans lorsque son ex-fiancé a commencé à parler d’avoir des enfants.

« Nous venions de nous engager. Il n’arrêtait pas de dire que c’était la prochaine étape, que nous ne devions pas attendre d’être marié pour commencer à essayer et que ce serait amusant de “s’entrainer” » se rappelle-t-elle. Après qu’elle ait épuisé son ordonnance de pilules contraceptives, il a trouvé le moyen de la dissuader de s’en faire prescrire à nouveau et a commencé à demander à avoir des rapports non-protégés.

« Un jour, on s’amusait, et il n’a pas mis de préservatif » se rappelle aujourd’hui la trentenaire. « C’était l’un des moments dans notre relation qui m’a fait comprendre que c’était dangereux et que j’avais besoin d’une stratégie pour me sortir de là. J’ai su que rien ne pourrait l’empêcher de franchir la ligne. » Le matin suivant, Lauren a expliqué qu’elle s’était rendue au Planning Familial pour avoir un plan B et des pilules contraceptives d’urgence. Leur relation d’un an a aussi été marquée par des abus physiques et psychologiques a continué d’expliquer Lauren. Une fois, a-t-elle dit, « il m’a étranglé jusqu’à ce que je perde connaissance. » Elle a immédiatement décidé de prendre une injonction contre lui.

Sam Rowlands, professeur invité à Bournemouth University au Royaume-Uni et qui a dirigé l’analyse publiée en janvier, a expliqué que la reproduction coercitive se présente sur un spectre. D’un côté, une personne peut être verbalement coercisé pour continuer une grossesse involontaire ; de l’autre, cela peut aller jusqu’aux violences sexuelles. « Il semble qu’il y ait le sentiment commun extrême de garder la chose secrète et d’hésiter à en parler ou à chercher de l’aide. Ce sentiment est animé par la peur des représailles » explique-t-il.

Peu importe à quel niveau se situe l’expérience d’une personne, mais ne pas être capable de prendre ces décisions importantes peut être dévastateur. « Le contrôle de la procréation ôte à la femme son estime de soi et sa capacité à contrôler ses intentions de reproduction, a dit Sam Rowlands, elle est rabaissée et minée. »

« C’était une situation normale où j’étais simplement sensible »

Beth a accepté de nous parler à condition que son nom soit modifié. Elle se rappelle avoir eu le sentiment que son mari faisait pression sur elle pour avoir un enfant, alors qu’elle n’était pas prête.

Sa première grossesse s’était bien déroulée, dit-elle, mais son mari lui a très vite mis la pression pour en avoir un second. « Il est très doué pour me faire partager le même avis que lui, a expliqué Beth, vous parlez, parlez, et peu importe ce que vous dites, il finit toujours par venir autour du sujet. Vous finissez par croire que vous êtes stupide, que vous avez tort ou que vous ne pouviez pas penser ça et qu’il avait raison de toute évidence. »

Pour compliquer la chose, Beth qui a la trentaine, s’est vue diagnostiquer une maladie auto-immune avant les un an de sa fille et elle pensait que sa santé pouvait être une raison fondée pour éviter d’être à nouveau enceinte.

Elle se rappelle qu’à la place, il a utilisé sa maladie pour la forcer à avoir d’autres enfants. « Maintenant que j’ai cette maladie, il [ne voulait pas] que [notre fille] se sente obligée de s’occuper de moi pour le reste de sa vie et qu’il était nécessaire qu’elle est un frère ou une sœur pour l’aider. Il m’a fait me sentir coupable, parce que j’étais en train de mettre la pression à ma fille de deux ans. »

Comme son mari a insisté, Beth est tombée enceinte une seconde fois. La grossesse n’a pas été facile, car son enfant a dû être induit plus tôt et elle a ressenti la frustration de son mari. « Je devenais de plus en plus malade et faible, ce qui perturbait sa vie puisqu’il avait besoin d’aide avec le premier enfant. Deux grossesses ne sont pas forcément similaires, mais je pense qu’il était en colère parce que [soi-disant] je ne faisais pas les choses correctement. »

Évidemment, le couple s’est séparé et se trouve maintenant dans une procédure de divorce. « Son oppression a été un facteur de séparation, a-t-elle dit, peu importe ce que je disais ou faisais, j’avais toujours tort. »

Beth reconnaît que c’est son mari qui l’a poussé à avoir des enfants et qui l’a convaincue de prendre des décisions avec lesquelles elle n’était pas en accord. Elle admet qu’elle a encore honte. « Je me considère comme une personne intelligente et je me suis laisser-aller. Maintenant, mes enfants sont aussi liés à lui, a expliqué Beth. J’aurais dû m’en douter et je le sais bien. Si quelqu’un m’avait raconté une telle histoire, ça m’aurait semblé évident, mais comme c’était moi, c’était une situation normale où j’étais simplement sensible. »

Elle ajoute : « J’aime mes filles et pour rien au monde je les changerais. J’aurais aimé avoir l’impression de prendre part à la décision. »

« Elles n’admettent même pas ce comportement comme une forme de maltraitance »

L’épidémiologiste de la Michigan State University a expliqué qu’il n’est pas rare pour les gens d’identifier ces types de problèmes comme de la maltraitance.

« Je l’ai particulièrement remarqué dans mon travail avec les jeunes » a dit Heather McCaulay. Souvent, les adolescents ne savent pas à quoi ressemble une relation saine, parce que celles avec lesquelles ils sont familiers sont malsaines — aussi bien dans leurs familles que ce qu’ils voient dans les médias.

Heather McCauley pense que cela s’applique aussi aux jeunes femmes qui ont des partenaires qui exercent une pression sur elles ou qui utilisent la coercition pour contrôler leur autonomie de procréation. « Elles n’admettent même pas que ce comportement est une forme de maltraitance, a-t-elle expliqué, elles pensent que les relations se passent comme ça. »

Les chercheurs ont commencé seulement à percevoir la reproduction coercitive comme une forme de maltraitance dans le milieu des années 2000. Ce comportement et ses effets restent donc encore méconnus. Ce que Mme McCauley et d’autres ont été capables d’accomplir, c’est d’aider les prestataires des soins de santé à comprendre ce qu’était la reproduction coercitive et comment ils pouvaient en informer leurs patients. L’équipe de Heather McCauley s’est par exemple associée à Futures Without Violence pour produire des fiches de sécurité et les distribuer dans les plannings familiaux. Par conséquent, les cliniciens peuvent partager leurs méthodes avec leurs patients pour réduire les méfaits, y compris les types de contraceptions que leurs partenaires ne peuvent contrôler (comme le stérilet ou les implants) et s’assurer qu’elles ont accès à la contraception d’urgence et à des tests de grossesses.

« Nous ne pouvons pas influencer les comportements des agresseurs, mais nous pouvons nous assurer que les survivantes ont tout le nécessaire pour être en sécurité » a dit Mme McCauley.

Sans quoi, les conséquences durent toute une vie — en particulier pour celles qui vivent dans la partie des États-Unis où le droit à l’avortement est très limité. Pour certaines femmes, être enceinte signifie qu’elles vont avoir un enfant, qu’elles le veuillent ou non.

Alice — dont le mari ne s’est pas retiré lors du rapport — a dit que bien que son deuxième enfant soit son « plus grand trésor… Il y a une partie de moi qui se dit que j’aurais dû m’enfuir au premier signe de violence ou la première fois que mon instinct m’a dit de partir » a-t-elle dit. « Aujourd’hui, j’élève mes deux enfants seule et je me sens mal d’avoir mis deux enfants dans cette situation merdique. »

Comment repérer la coercition en matière de reproduction

En 2017, le terme argotique « stealthing » a déchaîné Internet. Avant qu’Alexandra Brodsky, alors juriste au National Women’s Law Center, ne publie son étude sur le retrait non consensuel du préservatif, les discussions sur ces personnes qui retirent secrètement leur préservatif durant le rapport, sans l’accord de leur partenaire, restaient confinées dans la sphère privée. Non seulement l’étude de Mme Brodsky a mis des mots sur une situation familière pour la plupart de ceux qui ont lu et partagés l’article, mais elle a aussi horrifié beaucoup de législateurs les incitant ainsi à reconsidérer cet acte comme un viol.

Dans le spectre de la violence sexuelle, nous ne savons pas vraiment où se situe la technique du retrait de préservatif. Cependant, les experts disent que le retrait d’un contraceptif avant ou pendant la relation sexuelle sans le consentement du partenaire est une forme de reproduction coercitive.

Les militants disent que contraindre une personne à procréer est une forme de violence relationnelle dont beaucoup n’ont pas conscience, et qui se produit énormément. D’après une enquête téléphonique du National Domestic Violence Hotline paru en 2011, 25 pourcent des correspondantes ont rapporté que leurs partenaires ont saboté leurs contraceptions ou leur ont mis la pression pour qu’elles soient enceintes pour les contrôler.

Megan Shackleton est la directrice exécutive de One Love, un organisme à but non-lucratif, qui aide à éduquer les jeunes en matière de relations. « Les idées reçues du public sur la procréation forcée sont enracinées dans une incompréhension fondamentale des violences relationnelles et du cycle de violence qui les enferme dedans » a-t-elle dit.

Bien que les gens ne sachent pas à quel point cette manipulation peut causer des dégâts importants, ajoute-t-elle, cette situation est difficile à repérer, car elle se produit la plupart du temps dans un cadre privé et a toujours été laissée à l’écart des représentations courantes de la maltraitance.

La coercition en matière de reproduction peut prendre la forme de menaces, de violences physiques ou encore de manipulations émotives. D’autres exemples que le retrait non consenti du préservatif peuvent s’ajouter à ce type de situation, comme le refus de porter un préservatif, la dissimulation des pilules contraceptives, le retrait du stérilet sans permission, persuader son partenaire d’avoir un enfant alors qu’il n’en veut pas ou encore faire culpabiliser sa partenaire d’avoir recours à l’avortement bien qu’elle ne veuille pas être enceinte.

Sam Rowlands, expert en santé sexuelle et reproductive basé au Royaume-Uni a publié une étude qui a trouvé que plus de 25 pourcent des femmes qui s’étaient rendues dans une clinique de santé sexuelle avaient des antécédents de coercition en matière de procréation et qu’elles pouvaient avoir des signaux d’alarmes ou des signes avant-coureurs à surveiller. Il a expliqué qu’il serait utile aux femmes de jeter un œil au questionnaire que les professionnels de la médecine utilisent pour déterminer s’il y a un risque qu’une patiente soit confrontée à des violences conjugales ou à la coercition en matière de reproduction.

Voici quelques-unes de ces questions :

Est-ce qu’il me soutient lorsque je décide de quand ou de si j’ai envie d’être enceinte ?

Est-ce qu’il a déjà essayé de me mettre enceinte alors que je ne le voulais pas ?

Est-ce qu’il a toujours refusé d’utiliser un préservatif lorsque je lui demandais ?

Est-ce que nous sommes d’accord sur ce que je dois faire en cas de grossesse (volontaire ou non) ?

Sam Rowlands indique aussi qu’il est important de s’attaquer, dans la mesure du possible, aux indicateurs d’un comportement relationnel malsain dès le début. « Plus ce pouvoir de contrôle s’est installé, plus il est difficile pour la femme de s’en sortir » a-t-il expliqué.

Comme dans les autres formes de violences, chaque épreuve est unique. Si vous suspectez votre partenaire de manipuler vos choix en matière de reproduction, le conseil des experts est de trouver un militant à qui parler de votre situation et qui pourra vous énumérer les potentielles options qui se présentent à vous. Vous pouvez également demander aux prestataires des soins de santé de vous aider à trouver différentes manières de vous protéger d’une grossesse involontaire, comme les formes de contraceptions qui ne peuvent pas être détectées (un implant ou une injection par exemple).

En plus d’apprendre à reconnaître les comportements relationnels malsains, Megan Shackleton dit qu’il est important de faire confiance à son instinct. « Si quelque chose ne va pas dans votre relation, c’est qu’il probablement quelque chose qui ne va pas. Votre partenaire ne doit jamais vous mettre dans l’inconfort ou ne pas vous faire sentir en sécurité. »

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