Ces jeunes Français qui partent étudier en Corée du Nord

Quand on est un étudiant français avide de découvrir d’autres cultures ou une nouvelle langue, on se dirige généralement vers la campagne anglaise, une ONG en Amérique du Sud ou un séjour dans une fac américaine. Delphine et Laetitia ont opté pour une destination légèrement plus exotique : la Corée du Nord.

Étudiantes respectivement en coréen et en vietnamien à l’INALCO, Delphine et Laetitia sont parties un mois et demi à l’université Kim Il-sung de Pyongyang à l’été 2015 avec une dizaine d’autres étudiants français. Depuis ce séjour, Delphine y est retournée pour accompagner des touristes — l’occasion de se rendre compte que les étudiants étrangers sont bien plus libres que les touristes étrangers dans le pays ermite.

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On a rencontré les deux jeunes filles dans un café de l’est parisien pour nous raconter leur séjour sur place en tant qu’étudiantes dans l’université la plus prestigieuse d’un pays fermé sur lui-même.

Comment avez-vous entendu parler de cette possibilité de partir en Corée du Nord ?

Delphine : Monsieur Maurus, notre professeur de littérature coréenne à l’école en parlait beaucoup. Vers la fin de l’année scolaire, il nous a envoyé un mail super classique, très court, qui disait en gros « Y’a un voyage en Corée du Nord qui s’organise, est-ce que cela intéresse des gens ? Qui veut vient, tout profil accepté. » J’ai répondu au mail dans la seconde.

Laetitia : Moi je ne connaissais pas ce professeur, uniquement par des bruits de couloirs — on disait qu’il était un peu farfelu. Donc quand j’ai reçu le mail, je me suis juste dit « Oh ». J’étais bouche bée. Mais bon j’ai décidé l’aller au moins aux réunions d’informations, histoire de voir. Puis finalement, j’ai décidé de partir, alors que je ne parlais pas coréen.

La salle de cours de l’université Kim Il-sung, où étudiaient les élèves français. (Photo de Delphine Jaulmes)

Et comment on organise un départ en Corée du Nord ?

Laetitia : Disons qu’on est un peu partis par nous-mêmes. On a juste reçu de l’aide pour le visa nord-coréen. C’est notre professeur qui s’est occupé de ça. Certains ont reçu leur visa la veille du départ en Chine, parce que l’on passe par Pékin pour rejoindre la Corée. Donc faut pas être stressés. En gros, on savait juste que l’université de Pyongyang nous attendait tel jour à telle heure. C’était à nous de nous débrouiller pour être là le jour J. Puis, comme la France n’a pas d’ambassade sur place, on peut uniquement compter sur soi.

Une fois le voyage plus ou moins calé, quelle a été la réaction de vos parents ?

Delphine : J’ai eu deux réactions différentes. Mon père m’a dit « Est-ce que je peux me mettre dans ta valise ? » et ma mère était un peu plus inquiète, elle aurait préféré que je parte moins longtemps. Elle me disait « Un mois et demi c’est long. Pars deux semaines déjà pour commencer ».

Donc une fois arrivée à Pékin, ça se passe comment ?

Laetitia : Il faut prendre un train qui relie la capitale chinoise à Dandong, une ville à la frontière. Ce train n’est pas bien compliqué à prendre. Par contre celui qui relie Dandong à Pyongyang, il est impossible de le réserver sur Internet. Donc on est passé par une agence de voyages qui avait réservé les billets.

Dans le train reliant la frontière à Pyongyang. (Photo de Delphine Jaulmes)

Delphine : Une fois à la frontière l’ambiance est très étonnante. Je m’attendais à une frontière très stricte, militarisée. Mais en réalité, les douaniers sont marrants. Avant de passer la frontière, il faut remplir une fiche où l’on déclare ce qu’on a sur nous : téléphone, ordinateur, une caméra, etc…. Mais la plupart du temps, les douaniers ont la flemme de tout fouiller. Plus la feuille est détaillée, moins ils fouillent en gros.

Ils vous confisquent certaines choses ?

Laetitia : Étonnamment, les objets avec lesquels ils sont le plus stricts, ce sont les livres. Impossible de rentrer dans le pays avec une Bible ou un bouquin sur le capitalisme. Ils font très attention aux livres. Pour nos téléphones, ils ont regardé les photos, mais plus par curiosité qu’autre chose. Ils demandaient « Et ça, c’est où ? à Paris ? »

Delphine : Les douaniers vérifient aussi si on n’a pas de choses sud-coréennes sur les ordis. Sinon ils suppriment tout de suite les fichiers.

Est-ce qu’on vous a donné des règles à respecter ?

Laetitia : Pour le coup, on ne nous a pas dit, ne faites pas ci ou ça. On comprenait ce qui était interdit au moment T, une fois qu’on nous disait que ce qu’on était en train de faire est interdit.

Les étudiants français et leurs accompagnateurs nord-coréens.

Après ces contrôles, le train repart direction Pyongyang donc ?

Delphine : On se retrouve dans la campagne nord-coréenne dans ce train vétuste qui n’avance donc pas bien vite. Je pensais que des murs ou des barrières allaient nous empêcher de voir l’extérieur, mais en fait non. Tout est ouvert. On a discuté avec eux. Ils n’étaient pas vraiment surpris de voir des étrangers dans ce train. Ce qui les étonnait le plus, c’était qu’on soit Français. Ils s’attendaient à voir des Russes, mais des Français pas vraiment.

À votre arrivée à Pyongyang des gens vous attendaient ?

Laetitia : Oui il y avait deux personnes de l’université et deux étudiants nord-coréens qui parlaient français qui allaient en quelque sorte nous encadrer pendant notre séjour. Puis on a pris un minibus pour aller dans nos logements, qui étaient situés à quelques rues de l’université.

Delphine : Quand on est arrivés dans nos chambres, il y avait des photos des anciens leaders nord-coréens. Dans le couloir, un emploi du temps était affiché. Il était censé rythmer nos journées de 6 heures du matin à 22 heures. On s’est donc dit que 22 heures c’était le couvre-feu, mais en fait il n’y avait pas de couvre-feu. On s’est sentis encore plus bêtes le lendemain quand on s’est pointé à la salle de sport à 6 heures du matin — comme c’était indiqué sur l’emploi du temps. Il n’y avait personne.

Dans la chambre d’étudiante de Delphine. (Photo de Delphine Jaulmes)

Laetitia : On nous a expliqué qu’il s’agissait en réalité de « sport de chambre », mais pas comme on l’entend en France. En gros, c’est du temps pour faire du ménage dans sa chambre et se préparer pour la journée. Donc l’emploi du temps était juste à titre indicatif.

Et les cours ça se passait comment ?

Delphine : Au début, on partait avec les étudiants coréens pour aller sur le campus. Mais vers le milieu du séjour, on y allait seuls, parce qu’ils étaient trop en retard. Donc on partait sans eux. En arrivant vers le campus, on passait devant une statue de Kim Jong-Il devant laquelle il fallait s’abaisser en signe de respect. Il y a un garde qui vérifie que tout le monde le fasse bien. Les Chinois faisaient généralement un détour pour ne pas avoir à passer devant la statue. Niveau cours, on était entre Français, on suivait uniquement des cours de langues, pas d’histoire ou de relations internationales. Les étudiants nord-coréens qui étaient avec nous étudiaient les maths, le chinois, mais aussi la littérature française — notamment nos accompagnateurs.

Une partie de volleyball entre étudiants français et nord-coréens. (Photo de Laetitia P.)

Vous êtes restés à Pyongyang ou vous avez pu vous déplacer dans le pays ?

Delphine : On est sortis deux, trois fois de Pyongyang. On est allé à Sariwon et à Kaesong, mais aussi à Myohyangsan, dans la montagne au nord de Pyongyang. Certes, les gens ont l’air de moins bien vivre dans les campagnes qu’à Pyongyang, mais ce n’est pas aussi choquant que je le pensais. Après, ils font attention aux endroits où ils nous emmènent. Mais bon on s’est aussi perdu deux, trois fois, où l’on aurait pu tomber sur des choses que l’on n’était pas censé voir.

Des Nord-Coréens saluent les étudiants français à Myohyangsan. (Photo de Delphine Jaulmes)

Niveau loisirs, ils peuvent faire quoi les Nord-Coréens ?

Laetitia : Ils font beaucoup de sport, surtout du volley, du basket, du foot ou encore du ping-pong. Après ils sont aussi très fans de chants et d’opéra. Les gens chantent tout le temps, notamment dans la rue. Quand ils rentrent du travail en groupe, ils chantent souvent ensemble. Pour ce qui est des loisirs, il y a aussi un parc d’attractions à Pyongyang, où on est allé. Ça ressemblait comme deux gouttes d’eau à un parc occidental.

Au parc d’attractions de Pyongyang. (Photo de Delphine Jaulmes)

Delphine : Pour ce qui est de l’aspect culturel, il y a des films chinois ou nord-coréens. L’élite peut aussi avoir accès à certains films occidentaux. Par exemple, l’année dernière il y a La Famille Bélier qui est passé au festival du film de Pyongyang. On est aussi tombé sur des DVD de C’est pas sorcier ! L’industrie culturelle est aussi nourrie grâce à la contrebande. Si les Nord-Coréens ne peuvent pas accéder à Internet, mais uniquement à un intranet très lent et bien compliqué, certains se procurent des films. Un jour, une des étudiantes nord-coréennes qui parlait français m’a sorti une réplique du film Brice de Nice. J’étais sous le choc.

Et la télé en Corée du Nord, ça ressemble à quoi ?

Delphine : Bon ce qu’il faut savoir c’est qu’à 23 heures, il n’y a plus de télé. Mais avant ça ce sont surtout des chansons, des karaokés avec des thèmes récurrents contre les « méchants Japonais et Américains ». Quand j’y suis retourné l’été dernier c’était pendant les Jeux Olympiques. Ils diffusaient certaines épreuves, même celles où les Nord-Coréens ne participaient pas. Ils n’ont pas non plus dit, comme le veut la légende urbaine, qu’ils avaient remporté toutes les médailles. Cela m’a étonné. Pour expliquer que les États-Unis, l’ennemi juré, soit premier au classement des médailles, les Nord-Coréens me disaient que c’était normal parce qu’ils étaient plus nombreux, mais que les Nord-Coréens restaient les meilleurs.

Des militaires dans une rue de Pyongyang. (Photo de Delphine Jaulmes)

Vous avez eu peur pendant votre voyage ?

Delphine : Le paradoxe d’une dictature, c’est qu’on s’y sent en sécurité — du moins quand on est expatrié. Donc non, personnellement je ne me suis pas inquiétée.

Quelle est la réaction quand vous parlez autour de vous de votre voyage ?

Delphine : Si on parle d’autre chose que du nucléaire, on nous dit qu’on est payés par le régime ou qu’on nous a lavé le cerveau. Je ne peux pas supporter un régime comme celui de la Corée du Nord, c’est très clair. Par exemple, l’Anglais qui était parti étudier en Corée du Nord s’était fait descendre dans la presse parce qu’il disait qu’il avait fait du surf, qu’il s’était amusé en somme. Cet étudiant ne soutient pas le régime. Nous non plus. Ce n’est pas parce qu’on va visiter un pays qu’on soutient le régime qui est en place. Mais apparemment pour la Corée du Nord, cela n’est pas possible de voir les choses comme ça.

Nord-coréens saluant les statues de Kim Il Sung (gauche) et Kim Jong Il (droite) à Mansudae. (Photo de Delphine Jaulmes)


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