Ces joueurs subsahariens qui galèrent pour survivre dans le football marocain

L’histoire de Diarrassouba Samba Cheick Yvann commence en 2006 avec une lettre d’invitation reçue de la part d’un autoproclamé agent de football marocain qui traque ses proies africaines sur Internet. Ce chasseur de têtes, ou plutôt de pieds, a pour mission de fournir le championnat local en joueurs bien portants et peu onéreux.

Comme Samba, ils sont des milliers de Subsahariens à débarquer au Maroc pour jouer au football. Dans ce combat de spermatozoïdes qu’ils se livrent pour se faire une place au soleil, leurs rêves éclatent sur le récif des mensonges et des arnaques des agents et des présidents de clubs sans pitié.

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Samba est originaire de Daloa. Cette ville située au centre-ouest de la Côte d’Ivoire est ravagée par la crise de l’après cacao et traîne la sinistre réputation de fournir le plus grand contingent de candidats à l’immigration illégale dont une bonne partie ne finit jamais sa traversée de la Méditerranée. Fin 2006, Samba quitte sa vie d’alors avec 400 000 CFA (600 euros) en poche. Après la traversée du Sénégal et de la Mauritanie en taxi et pas moins de 150 euros dépensés en bakchichs pour déjouer les barrages douaniers, il débarque dans le sud du Maroc. À Laâyoun précisément. De là, il gagne sa destination : la ville d’Agadir, la perle touristique du sud du Maroc où il est attendu par un compatriote qu’il connaît vaguement. « J’avais 21 ans et j’étais au sommet de ma forme. J’étais en route vers l’eldorado. Je me disais qu’après le début d’une carrière de joueur professionnel au Maroc, je pourrais envisager un départ vers l’Europe ou le Moyen-Orient. »

Il goûtera à sa première déception quand l’agent qui l’a rencardé au Maroc en contrepartie de 100 euros lui explique sèchement que le club phare de la ville, le Hassani d’Agadir (HUSA), cherche des jeunes Africains de moins de 19 ans et l’invite à se rabattre sur les autres clubs de la région. Ce qui va le conduire à faire un essai pour le club de Chabab Houara, une équipe de D2 de la banlieue d’Agadir. Il sera recalé, mais tente de nouveau le coup avec l’équipe du Moustakbal d’Ait Melloul, une bourgade située à proximité. « J’ai été pris, mais j’étais le seul joueur africain à y évoluer. Mes coéquipiers pensaient que j’étais là pour voler leur travail. Dans les vestiaires, je subissais toutes les vexations du monde et sur le terrain on m’ignorait. Après un mois, le président du club est venu me signifier que je devais partir pour éviter l’hostilité des joueurs », se souvient-il.

Finalement, le destin sourit à Samba, qui signe pour le Moustakbal d’Azzrou. Une équipe de D4 avec un salaire mensuel de 400 000 CFA (600 euros) et un logement dans un complexe sportif. Grâce à son nouveau club, le joueur obtient également une licence de footballeur octroyée par la Fédération royale marocaine de football. Pendant deux ans, Samba, gagne sa place de titulaire, fait des merveilles au milieu du terrain au point de se griller physiquement. « À force d’enchainer les matches pendant deux saisons, sans véritable période de repos, mon corps m’a lâché et j’ai eu une grave déchirure musculaire à la cuisse », se rappelle-t-il. Mais dans l’enfer des divisions inférieures du football marocain, les footballeurs, et particulièrement les Subsahariens, sont traités comme des forçats et une fois le joueur totalement rincé, il est jeté comme un kleenex.

En 2013, le nombre d’étrangers en situation irrégulière avancé par le ministère de l’Intérieur marocain était situé entre 30 000 et 40 000. Parmi eux, plusieurs mineurs non accompagnés (MNA). Selon l’ONG Caritas au Maroc, qui a enquêté sur cette population qui n’a aucune existence officielle dans les statistiques des étrangers en situation irrégulière au Maroc, « l’arnaque au football » est l’une des causes de l’arrivée de 13 % des MNA au Maroc. Souvent, ils sont approchés dans leur pays d’origine par un individu se présentant comme un manager et leur font miroiter la possibilité de jouer dans des clubs professionnels ailleurs. Ces enfants et leurs familles sont piégés par ces « marchands de rêves » qui leur extorquent de l’argent que les familles collectent en vendant des propriétés et en s’endettant.

Par la suite, le projet se révèle être une vaste escroquerie, car les promesses faites et les contrats signés sont faux. Ces enfants passent du rêve d’être une grande star du football, à une situation de précarité ou simplement à la rue, rongés par la culpabilité quant à l’investissement que la famille a fait pour eux. Si Samba n’était pas mineur lors de son arrivée au Maroc, il n’en demeure pas moins qu’une fois chassé par son club avec une petite prime de départ de 250 euros, il finit dans un marché à Inzegan, une petite ville industrielle située à proximité d’Agadir. « J’ai travaillé comme porteur au marché et je vivais dans une petite chambre d’hôtel. Je gagnais un peu d’argent mais j’avais toujours la peur au ventre en raison des rafles sporadiques de la police qui pourchasse les clandestins », affirme-t-il.

À force de se tuer à la tâche, l’ex-joueur décide de partir au nord du pays en compagnie de potes sénégalais et camerounais dans la même situation que lui. Ils débarquent dans la forêt appelée « Gourougou », surplombant l’enclave espagnole de Melilla et attendent l’occasion de traverser la triple clôture électrifiée pour gagner ce bout d’Espagne de la taille d’un confetti d’à peine 12 km. Cette « Jungle » du Maroc est devenu le théâtre de batailles rangées entre les autorités et les immigrés clandestins. Souvent, des incendies d’origines inconnues s’y déclenchent dans le but de déloger ses habitants de la forêt.

Après quelques semaines cachés dans les cavernes de la forêt, Samba et ses compagnons se font choper par la police et sont conduits à la prison d’Oujda, une ville frontalière de l’Algérie. Samba en garde un souvenir intact : «Il y avait des cellules pour les Marocains et d’autres réservées aux Africains. L’odeur y était irrespirable à cause des conduits d’égouts éventrés dont les rejets se déversaient dans les cellules. C’était l’enfer ». Après 15 jours de galère, les Marocains décident de se débarrasser de cette population carcérale indésirable. «La police nous a reconduits en pleine nuit à proximité de la frontière avec l’Algérie et nous a demandé de marcher sans se retourner en nous menaçant de nous tirer dessus. Nous avons marché une heure dans le noir. Nous étions en Algérie », rembobine Samba. Moins d’un mois après, il se fera choper par les Algériens qui le renvoient avec un groupe de Subsahariens en suivant exactement le même procédé que leurs voisins marocains.

De retour à Oujda, Samba est psychologiquement à bout. Il se réfugie à la représentation du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) où il retrouve un peu de repos et de réconfort. « J’étais trop fatigué pour avoir les idées claires. Après une longue réflexion, je me suis résigné enfin à rentrer chez moi », déclare-il. Grâce à l’aide d’un groupe d’amis, il réussit à amasser la somme de 400 euros pour acheter un « billet brouté ». Comprenez un billet payé avec une carte de crédit volée et vendu sur internet pour moins cher. Une pratique très répandue en Afrique à cause des tarifs prohibitifs pratiqués par les compagnies aériennes qui desservent le continent.

De retour à Daloa, c’est une autre galère qui commence. « Ici on n’accepte pas l’échec. Les gens préfèrent apprendre que vous êtes mort plutôt que de revenir les mains vides », lance, dépité, Samba, qui vit dans la honte et se fait insulter par sa mère et son oncle au point de ne sortir que la nuit pour éviter le regard des autres. Mais, il est hors de question de retenter le coup et prendre le chemin du désert pour subir le racisme ou l’humiliation dans les prisons du Maghreb.

Aux dernières nouvelles, Samba a trouvé un poste dans une école privée où il est formateur en éducation physique. « Ça ne me rapporte pas beaucoup, mais je reste dans le milieu du sport et j’aimerais mettre à contribution mon vécu pour convaincre les jeunes de Daloa de se battre ici, chez eux », nous confie-t-il fièrement.

Toutes les photos sont de Laure Van Ruymbeke.