À l’occasion du Black History Month, on revient sur l’histoire de la diaspora africaine, on célèbre sa culture et on creuse les questions que soulèvent le colonialisme.
« Chez moi loin de chez moi », c’est le titre du projet de la photographe Maria Baoli (35 ans) mêlant témoignages et photographie. Maria s’est rendue à la Maison Africaine, un logement créé en 1961 pour accueillir des étudiants congolais venus étudier en Belgique, mais qui compte aujourd’hui plus de 25 nationalités. Située entre le quartier congolais Matonge et la place Saint-Boniface, cette structure permet également aux étudiants de faire des rencontres au sein de la communauté et de participer aux programmes culturels organisés par la maison. La photographe est partie à la rencontre de ces étudiants pour capturer des instants de leur quotidien dans un mélange de collages et de photos à l’esthétique documentaire, mais aussi recueillir leurs confessions, leurs doutes, le manque de leur pays d’origine et leurs espoirs.
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VICE: Bonjour Maria, pourquoi avoir voulu te concentrer sur Matonge?
Maria: Je trouve ce quartier super intéressant non seulement d’un point de vue historique mais aussi géographique. Matonge est situé entre le quartier chic de l’Avenue Louise et les institutions européennes. Quand j’ai fait mes recherches, j’ai remarqué que ce que l’on connaît le mieux de cet endroit ce sont les épiceries, les bars, les galeries et les coiffeurs. D’ailleurs, j’avais commencé mon projet en prenant des photos dans la rue de personnes africaines très bien habillées le samedi ou le dimanche à la sortie de l’église. Cependant, je trouvais que le résultat était trop cliché et je n’étais pas à l’aise avec ça. Je n’aimais pas cette distance entre moi et les modèles. Je suis aussi allée dans un salon de coiffure avec une amie du Nigeria qui connaissait bien la propriétaire des lieux. Mais elle ne voulait pas se faire photographier et je n’arrivais pas à créer l’intimité que je recherchais pour mon projet. Lorsque j’ai eu connaissance de l’existence de la Maison Africaine, je m’y suis immédiatement rendue et j’ai eu un entretien avec le directeur et lui ai proposé un projet intime, loin des clichés sur Matonge.
Comment as-tu entendu parler de la Maison Africaine?
Je suis allée aux archives de la Ville de Bruxelles pour faire des recherches plus approfondies sur Matonge. À la base, le quartier était un triangle composé d’un café, d’un cinéma et de la Maison Africaine – qui se situait dans les Marolles avant de déménager en 1962 à Matonge. J’ai tout de suite voulu m’y rendre pour en savoir un peu plus.
« J’aime établir un dialogue entre deux photos et jouer avec ces différentes couches car je trouve parfois l’image trop plate et en manque de profondeur. »
Les modèles ont-ils facilement accepté de se faire photographier ?
Pas tous les modèles. Comme le directeur connaissait les dossiers de chaque étudiant, il m’a aidée à les sélectionner. Certains étudiants étaient réceptifs au début, mais ont fini par ne plus répondre au téléphone ou se désister. D’autres sont restés motivés.
Quel témoignage t’a le plus marquée ?
Le témoignage qui m’a le plus marquée était celui de Blandine et de sa fille Melissa. Blandine est une maman célibataire arrivée en Belgique sans logement. Malgré la galère, elle a pu garder sa force et sa lumière. Quand Blandine et sa fille de trois ans rentrent au Bénin, elles sont vues comme des Européennes, surtout Melissa, car elle n’a jamais vraiment vécu en Afrique. C’est cette notion d’identité qui m’a aussi marqué.
Es-tu toujours en contact avec les personnes que tu as photographiées ?
Non. Après avoir terminé le projet j’ai re-contacté tous les étudiants qui avaient posé pour moi et je leur ai envoyé les photos. Cependant je n’ai eu qu’une seule réponse. Soit les étudiants étaient rentrés dans leurs pays d’origine, soit ils étaient pudiques.
As-tu toujours été intéressée par l’aspect social de la photographie ?
Oui. Je trouve que la photo est un très bon outil pour comprendre le monde et accéder à des milieux auxquels nous n’avons a priori pas accès. C’est aussi un moyen de raconter des histoires qui manquent de visibilité et de toucher plus de gens avec des thèmes moins médiatisés.
C’est pour cela que tu es devenue photographe ? Pour cet aspect social ?
Oui et non. J’adore l’aspect social du storytelling et cette notion de partage. Je trouve que c’est ce qui est beau dans la photo. La photo permet de créer des espaces intimes et des histoires pour ensuite les rendre visibles. J’aime aussi l’aspect artisanal de la photographie et le travail en chambre noire – mais à côté de la photographie j’ai un métier qui n’a rien à voir avec ce monde.
Comment ton projet a-t-il été accueilli par la Maison Africaine et son personnel ?
J’ai reçu beaucoup de soutien. Encore une fois, le directeur m’a vraiment aidée, notamment en acceptant de me donner des photos d’archives et en organisant l’exposition.
En parlant de photos d’archives, tu fais parfois des collages qui contrastent avec tes close-ups au style documentaire, que veux-tu exprimer en utilisant ces différentes techniques ?
D’un côté, les close-ups permettent d’ajouter une couche plus proche de la réalité de la maison. Il y a beaucoup de poésie dans ces détails à l’apparence banale. Et d’un autre côté, il y a les collages que je trouve très ludiques. Tu peux vraiment faire jouer l’idée du présent et du passé avec les photos actuelles et celles d’archives. C’est également un effort que le lecteur doit faire lorsqu’il regarde une photo. Ils se posent peut-être plus de questions quant au lien entre ces deux photos. J’aime établir un dialogue entre deux photos et jouer avec ces différentes couches car je trouve parfois l’image trop plate et en manque de profondeur.
Peux-tu nous parler de tes prochains projets ?
Je suis toujours entrain de distribuer mon livre « Vague de Rêves », que j’ai auto-édité et sorti au mois d’octobre. Récemment, j’ai sorti une édition spéciale avec un coffret sérigraphié et un tirage, soit des cyanotypes, soit des tirages à jet d’encres et des tirage aux sels d’argent. Depuis l’année passée j’ai aussi développé un projet qui est toujours dans cette thématique du triangle de l’homme, la nature et l’animal au nom de « Stalaktos ». J’ai beaucoup exploré avec des papiers japonais et j’aimerais aussi faire un livre. C’est un projet que je suis en train de développer.
Vous pouvez suivre le travail de Maria sur son Instagram et son site web.
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