Un après-midi glacial de février à Regent’s Park à Londres, je suis assise devant un ado en hoodie Stüssy et bonnet. Rien d’étrange pour l’instant, jusqu’à ce qu’il mélange des cartes. “Tu veux que je te fasse un tour?” me demande-t-il.
J’écris mon nom sur une carte (un 10 de coeur), je la remets dans le jeu, et j’observe sa pile de cartes devenir entièrement transparente sous mon regard halluciné. Toutes, sauf le 10 de coeur. “Tu peux la garder,” me dit-il, en me rendant la carte portant ma signature.
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À tout juste 16 ans, Billy Menezes est toujours au lycée, et la loi l’oblige à venir accompagné d’un tuteur lors de notre rencontre. Sa mère, assise quelques bancs plus loins, attend patiemment la fin de notre entretien. Une chose est sûre, Billy ne laisse pas son âge faire obstacle à son rêve, celui de devenir le magicien le plus connu de Londres. Et si l’on en croît son Instagram, on a plus de chances de le croiser à un événement tendance de la mode qu’à une soirée lycéenne.
C’est la mère de Billy qui l’a mis sur la voie de la magie. “Elle était proprio d’un café pour enfants, donc elle organisait des goûters d’anniversaire,” dit-il. “Quand j’avais sept ans, j’ai eu un anniversaire sur le thème d’Harry Potter, avec un sosie de Daniel Radcliffe.” Apparemment je lui aurais dit: ‘Tu ne rentres pas chez toi en balai?’ parce que je l’ai vu prendre sa voiture à la fin de la journée!
Ce jour là, tout le monde est rentré chez soi avec une pochette surprise remplie de ‘tours de magie un peu merdiques”, comme ce fameux tour qui fait disparaître une pièce de monnaie. Billy se souvient l’avoir voulue également, et cette pochette éveilla sa curiosité, il voulait comprendre comment ce tour marchait. Ce n’est qu’ensuite que l’idée d’une future carrière de magicien a commencé à germer dans son esprit. Quelques années plus tard, après avoir cherché des idées de tours de cartes sur Google et les avoir répétés jusqu’à la perfection, la magie est devenue son nouveau passe temps.
Alors qu’il avait 14 ans, suffisamment âgé donc pour pouvoir quitter la maison seul et se faire de nouveaux potes dans Londres, la rumeur d’un adolescent avec un don pour les illusions et les tours de magie commence à se répandre. Je suggère à Billy qu’il est sorti du lot parce qu’il s’est mis à quelque chose qui intéressait très peu de jeunes de son âge dans les années 2010. À l’époque des illusions digitales et du deepfake, il a réussi à accorder toute son attention à une forme d’expression artistique que la plupart des adolescent n’aiment pas.
Il est vrai que la génération Z est passée maître dans l’art de la remise au goût du jour d’anciens passe-temps. Depuis cinq ans, les clubs de lecture, l’escalade et la céramique sont des hobbies qui ne sont plus associés aux seuls baby boomers sur le déclin. La mode reflète ce phénomène aussi – avec des jeunes préférant porter des vêtement pratiques, auparavant considérés ringards : grosses baskets, pantalons utilitaires, polaires. Elle réinvente ces habits pour des consommateurs qui préfèrent faire leur shopping sur Vinted que chez Decathlon.
Le succès de Billy a par ailleurs commencé dans l’univers de la mode. au début, il débarquait dans des soirées auxquelles il n’était pas invité, et essayait de s’introduire. “Je me trahis un peu moi-même en avouant ça, mais bon, je n’avais que 14 ans,” se souvient-il de la première fois où il s’est incrusté à une soirée pour montrer ses tours à Skepta et ses potes. Les physios lui avaient refusé l’entrée, donc il fit le tour du bâtiment pour rentrer par la porte arrière en faisant mine d’être l’un des artistes. “L’agent de sécurité a remarqué que je n’avais pas de bracelet, donc je lui ai dit que j’allais lui faire un tour de magie pour lui prouver que si. J’ai donc passé une heure à essayer de rentrer comme ça.” C’est seulement une fois que les vigiles ont tourné que j’ai pu montrer au nouveau physio un tour plutôt pas mal, je réussis ainsi à m’introduire et à m’infiltrer. “Une fois ce tour terminé, le vigile me conduisit jusqu’au carré VIP et là, j’ai vraiment commencé à me la péter,” dit-il avec un sourire.
Sa rencontre avec Twelvvy d’A$AP Mob et toute sa bande potes était beaucoup plus spontanée. À New York pendant l’été, il a vu Twelvyy marcher dans la rue depuis la fenêtre de son taxi. Il a demandé au conducteur de s’arrêter, il est descendu du taxi et l’a accosté dans la rue. “Je lui ai dit, ‘Hey, est-ce que tu veux voir de la magie?”. C’était super bizarre.
Kate Moss, qui avait déjà fait une douzaine de fois la couverture d’i-D avant que Billy ne soit né, est une des ses ferventes admiratrices. “Cette histoire, je ne m’en suis rendu compte qu’après-coup, quand les gens m’ont dit que je venais de faire des tours de magie à Kate Moss,” dit-il en haussant les épaules. On peut également apercevoir Dua Lipa et Rita Ora sur son Instagram.
Si on pourrait facilement juger Billy et le voir comme l’exemple typique d’une génération qui souhaite accéder à la célébrité sans réellement le mériter, il est bon de savoir qu’il respecte grandement le travail de ses prédécesseurs. Son héros d’enfance n’est autre que le magicien britannique Dynamo, qui passait en voiture près de son école “J’attendais à la porte en espérant désespérément qu’il me fasse un signe,” dit-il. “Et maintenant c’est le cas!”
Billy est modeste, et sa famille est infiniment fière de lui. “Ma mère adore ce que je fais, et elle me soutient beaucoup,” dit-il. “Nous sommes les meilleurs amis, on s’entend tellement bien,” ajoute-t-il. Une récente interview en ligne a fait pleurer sa grand-mère de bonheur. Et fricoter avec tout le gratin du showbiz n’a pas fait gonfler son égo. “J’essaie de garder quelques amis proches autour de moi, pour qu’ils puissent me dire si je commence à m’égarer,” dit-il. “Je pense que c’est bien d’avoir des amitiés ouvertes, et pas trop de gens autour de soi.”
En s’inscrivant dans la lignée de ses héros, Billy commence à regarder au-delà du lycée et des tours de magie qu’il fait en ce moment, et vise la télévision. “Je ne sais pas si cela fait de moi quelqu’un de bizarre, mais j’écris tout ce que je veux faire dans ma vie sur mon bureau, et je raye chaque chose dès que je l’ai faite!” En attendant, il est heureux de voir jusqu’où la magie peut déjà l’emmener, à commencer par les soirées qu’elle lui permet d’infiltrer.
Credits
Photographie Tom Emmerson