À l’époque où les fabricants de drogue se disputaient le marché florissant des ravers, les pilules d’ecstasy étaient souvent recouvertes de couleurs vives et de logos empruntés à des entreprises comme Mitsubishi ou Rolex. Inspiré par ces pilules, l’artiste Chemical X – qui refuse de donner son véritable nom pour des raisons juridiques – a transformé ces produits de synthèses en objets d’art.
Sa dernière œuvre est une sorte de vitrail réalisé avec 20 000 pilules d’ecstasy, actuellement exposée dans une galerie de Londres. L’artiste entend ainsi jouer sur les similitudes entre l’imagerie religieuse et celle des raves. L’année dernière, Chemical X exposait deux œuvres intitulées Ecstasy of Art dans une autre galerie de Londres. Cependant, celles-ci ont dû rapidement être retirées après que la galerie a découvert que les 12 000 pilules utilisées étaient des vraies – et non des répliques, comme elle l’avait initialement supposé. Je lui ai posé quelques questions par mail pour en savoir plus sur les implications juridiques de ses œuvres.
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VICE : Comment vous est venue l’idée de bosser avec des pilules d’ecstasy?
Chemical X : J’ai toujours été fasciné par la variété des couleurs et le design des pilules d’ecstasy que je prenais. J’ai voulu les utiliser comme des pixels pour en faire des images. Dans mes œuvres actuelles, j’utilise une sorte de boîte transparente dans laquelle je coince les pilules pour en faire une mosaïque.
Vous pouvez m’en dire plus sur vos dernières œuvres ?
La galerie Bear Club m’a demandé si j’étais intéressé pour contribuer à leur projet Ark. J’ai beaucoup aimé leur concept : chaque artiste devait créer une oeuvre basée sur une espèce animale en voie de disparition. Le motif de la colombe présent sur certaines pilules correspondait parfaitement avec l’histoire de l’Arche de Noé. Et l’exposition se déroule dans la crypte d’une église, ça allait parfaitement avec l’esprit de mes œuvres, qui représentent des vitraux.
La religion est souvent décrite comme l’opium du peuple – et l’une des principales critiques à l’égard de l’ecstasy est qu’elle pacifie au lieu de politiser les peuples. Comment interprétez-vous le rôle joué par l’ecstasy dans la culture rave ?
En Angleterre, l’ecstasy a changé beaucoup de choses dans la culture des jeunes. C’était notre version à nous de ce que l’acide fût pour les Californiens des années 1960. La dance music a changé la manière de consommer des musiciens – ils ont vraiment assimilé les effets de la drogue. La mode a changé, la violence a changé, la surveillance a changé – et malheureusement, la drogue a changé également. Les gens se sont mis à prendre n’importe quoi. À l’époque, la MDMA représentait l’acceptation et les raves constituaient une force politique.
Quels sont vos designs de pilules préférés ?
Je pourrais en citer plus d’une centaine ! J’adore celle à l’effigie de Barack Obama, par exemple. Après, elles ont toutes le même goût de Cillit Bang. J’ai toujours adoré celles qui représentaient une colombe et celles avec le logo de Mitsubishi.
Vous avez eu quelques problèmes lors de votre dernière exposition. Celle-ci s’est bien passée ?
La dernière fois, la galerie a pris peur parce qu’il y avait eu une embrouille avec le responsable de la brigade anti-drogue. Cette fois-ci, nous ne dirons pas de quoi les œuvres sont faites. Le personnel de sécurité est également prêt à remballer les œuvres en cas de débordement.
Pour cette exposition, les pilules que vous avez utilisées sont vraies ?
Je vous renvoie à ma réponse précédente.
Vous vendez actuellement deux de vos précédentes œuvres. Vous n’avez pas eu de problème pour ça ?
On a déjà vendu des œuvres, et les collectionneurs nous ont demandé de ne pas les photographier et de ne donner aucun détail sur nos transactions. Tout doit rester secret !
Bizarrement, on pourrait également incriminer l’acheteur. Ça vous dérangerait si l’un d’entre eux revendait la drogue utilisée pour l’œuvre?
Il faudrait être stupide pour faire ça ! Ce serait comme acheter un œuf de Fabergé pour en revendre les pierres précieuses. Mes œuvres valent plus cher que de simples pilules, et chaque acheteur reçoit une note précisant qu’elles ne contiennent pas de drogues illégales. Ils peuvent toujours dire qu’ils investissent dans de l’art plutôt que dans de la drogue. C’est d’ailleurs ce qu’ils font.
Vous prenez pas mal de risques, quand même.
La règle la plus importante, c’est que notre travail ne doit jamais tomber entre de mauvaises mains. On a toujours des plans B, mais je préfère ne rien dire là-dessus. On fabrique les pilules en interne. Dans mon studio, j’ai deux machines qui me permettent de les presser et de les colorer. Les œuvres sont ensuite entreposées dans un endroit sécurisé. À chaque étape, on pèse toutes les substances et les pilules qui ne sont pas utilisées sont écrasées et recyclées. Enfin, toutes nos pilules possèdent un X au dos. De cette manière, si quelqu’un décide de se servir de nos machines pour se faire un peu d’argent sur le marché noir, on le retrouvera très vite.
Cet article a été initialement publié sur THUMP. Vous pouvez le lire dans sa version intégrale ici.