Christian Patterson a suivi la piste du massacre

En 1958, dans un quartier pourri de Lincoln, au Nebraska, Charlie Starkweather, un adolescent révolté et sa petite amie, Caril Ann Fugate âgée de 14 ans, ont assassiné la famille de cette dernière avant de prendre la fuite et de se lancer dans une cavale meurtrière de deux mois. En chemin, ils ont tué sept personnes en plus (il est difficile de déterminer le degré de complicité de Caril dans les meurtres, elle a toujours clamé que Charlie l’avait kidnappée), avant qu’ils ne se fassent arrêter dans le Wyoming. Cette histoire a captivé la nation entière, au point d’alimenter mythes et légendes. Au sein de la culture populaire, sa portée est considérable – un des exemples le plus connu est le film Badlands, de Terrence Malick.

C’est grâce à Badlands que Christian Patterson s’est intéressé à cette affaire. En 2005, Christian a décidé de réaliser une série de photos intitulée Redheaded Peckerwood, dont il a fait un livre. La série et le livre sont conceptuels, hautement ambitieux, visuellement saisissants et passionnants. Le scénario suit librement cette histoire de folie meurtrière et joue avec les frontières de la photographie conceptuelle et de la photographie documentaire. MACK vient de sortir une troisième édition du livre, c’était l’occasion de rencontrer Christian pour qu’il nous parle de son boulot.

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VICE : Bravo pour cette troisième édition. Pour la deuxième, tu avais déjà fait des ajouts. C’est le cas pour la troisième ?
Oui. C’est intéressant, l’histoire sur laquelle s’appuie ce projet est une histoire assez populaire à travers le pays, et même dans le monde. Mais au Nebraska particulièrement, c’est devenu une sorte de folklore local et, dès l’instant où les gens ont pris connaissance de mon travail, ils sont venus à moi pour me proposer anecdotes et trouvailles. Je suis tombé sur un homme qui bossait sur une vieille maison à Lincoln, par exemple ; il la détruisait pour la rénover ensuite. En abattant un mur, ils ont découvert un stock de négatifs et d’imprimés, qui m’étaient pour la plupart inconnus, des photos de scènes de crime, des photos prises par la police. Certains clichés étaient trop risqués pour que je les utilise – je n’ai jamais voulu faire dans le sensationnel –, mais j’ai tout de même inclus une des photos de scène de crime dans la troisième édition. On y voit des chaussures dépassant du dessous d’un lit, et je pense qu’un corps y est rattaché. J’ai également rajouté quelques photos d’archives à la fin du livre.

©Christian Patterson, avec l’aimable autorisation de MACK / www.mackbooks.co.uk

Le livre s’accorde une véritable licence poétique, en un sens. Essaies-tu de créer un mythe à partir d’une légende ?
Oui, dans la construction du livre, c’était mon intention d’ajouter un peu de mystère et de pouvoir imager les scènes de crime avec une collection d’indices pour que chacun puisse créer son propre scénario. C’est un travail d’équilibriste compliqué que de présenter un travail de cette façon, mais j’ai fourni un livret permettant d’expliquer les faits. Le fait qu’il soit présenté comme une pièce séparée, qui peut être retirée du livre, offre la liberté au lecteur de le lire ou non. Mais c’est un travail d’équilibriste compliqué, encore une fois. Toutes les anecdotes qui se rattachent à ce fait divers sont passionnantes.

L’histoire originale est très énigmatique. Mais ce qui rajoute du mystère, c’est ton savant mélange entre faits et fiction : on se pose sans cesse des questions en feuilletant le livre. J’ai été attiré par l’image représentant une entrée de cave (voir ci-dessus, dans la galerie photos). Je ne te demanderai pas si c’est l’endroit où Charlie et Caril Ann se cachaient.
Oui, plus tôt aujourd’hui, je suis tombé par hasard sur une critique du livre où ils pensaient qu’une des photos – celle de la bouteille d’Oregon Trail Black Cherry Soda – était de l’appropriation, alors qu’il s’agit d’une photo que j’ai volontairement vieillie. J’ai peint autour de la bouteille de la même manière que quelqu’un qui retoucherait la photo pour un journal. Je veux semer la confusion chez le spectateur, ouvrir la porte au flou, brouiller les frontières entre faits et fiction, passé et présent.

©Christian Patterson, avec l’aimable autorisation de MACK / www.mackbooks.co.uk

J’ai été frappé par l’aspect complet de ton travail : il y a des photographies, des documents d’archives, des trucs sculptés comme le pneu, des panneaux peints.  C’est un livre avec lequel il faut interagir, qu’il faut revisiter, il faut passer du temps dessus si on veut le comprendre. Avais-tu prévu de créer un ouvrage qui soit déconcertant, stimulant pour le spectateur ?
Au début du projet, ce n’était vraiment pas ce que j’avais en tête. J’ai débuté avec un projet beaucoup plus direct, plus dans la veine de la photographie documentaire. Je connaissais l’histoire, il y avait cette piste que je pouvais suivre. Je croyais que j’allais me contenter de la suivre et de prendre des photos en chemin, et que les clichés se seraient suffi à eux-mêmes. Les faits dataient d’environ cinquante ans quand j’ai commencé à travailler dessus pour la première fois. Rapidement, j’ai réalisé qu’il y avait encore plein de traces, dans le monde réel, que je pouvais simplement revisiter et documenter. C’était un peu comme se heurter à un mur. Je me suis demandé s’il fallait que j’abandonne. Si je choisissais de continuer, je devrais trouver de nouvelles pistes, de nouvelles façons d’illustrer les faits et mes idées.

©Christian Patterson, avec l’aimable autorisation de MACK / www.mackbooks.co.uk

À la fin de mon premier voyage, j’avais l’impression d’être dans une impasse. J’ai fouillé les archives de la Nebraska State Historical Society, de journaux locaux comme le Lincoln Journal et le Lincoln Star. Dès le début de mes recherches, j’ai été frappé par la puissance  de certains clichés : à quel point ils étaient forts visuellement, à quel point ils étaient viscéraux et représentatifs de l’histoire. J’ai senti qu’il fallait que j’utilise une partie de ces photos mais je savais que je devais le faire de façon artistique. Je devais les intégrer pour en faire quelque chose de nouveau, ou simplement quelque chose venant de moi. Je n’ai pas pris de direction spécifique, il y avait toutes ces pistes qui s’ouvraient et je les ai toutes suivies jusqu’à un certain point. J’ai commencé à me foutre de toutes mes théories sur la photographie et de toutes ces notions de vérité et de représentation.

Ça a été libérateur ?
Oui. Non seulement libérateur pour mon projet, mais plus encore pour mon œuvre en général. Je crois que j’ai envie de continuer à travailler de cette façon. Je continuerai à prendre des photos ou même à créer des séries purement photographiques, mais je ne m’interdirai pas de bosser avec d’autres supports.

©Christian Patterson, avec l’aimable autorisation de MACK / www.mackbooks.co.uk

J’ai découvert que Caril Ann était toujours vivante. Tu as déjà pensé à la suivre et  à la prendre en photo ?
Je sais qu’elle est en vie, je l’ai su tout le long du projet, et même si je ne peux pas dire que cela ne m’a jamais traversé l’esprit, je n’ai pas persévéré dans l’idée de la suivre ou de la prendre en photo. Je sais qu’elle évite activement le contact avec autrui et les apparitions en public.

Elle a changé de nom, n’est-ce pas ?
Il y a une rumeur qui veut qu’elle a changé son nom, ou épousé quelqu’un et pris son nom. Je crois qu’elle a refait surface une ou deux fois depuis qu’elle est sortie de prison il y a environ quarante-cinq ans. Une fois, c’était pour aller à un show télévisé des débuts de la télé-réalité qui s’appelait . Des personnes sont invitées pour être soumises au détecteur de mensonge. Elle était dans l’émission et on lui a posé quelques questions. Ils ont essayé de lui demander si elle était coupable ou si Charlie l’avait bien kidnappée, et elle a passé le test avec succès. Il tendait à « prouver » qu’elle était innocente.

©Christian Patterson, avec l’aimable autorisation de MACK / www.mackbooks.co.uk

Il y a encore beaucoup de conjectures à ce sujet et je ne sais moi-même pas trop quoi en penser. Je suppose que cela donne en partie leur intérêt à l’histoire et au livre. Il y a beaucoup d’images d’elle ou de choses reliées à elle. Mais j’ai fait l’effort de ne rien pointer du doigt, de ne pas prendre parti. Au final, je n’ai pas estimé que la rencontrer aurait apporté quelque chose à mon travail. Un petit mystère perdure encore, et je ne veux pas détruire ça. J’ai le sentiment que personne n’entendra plus jamais parler d’elle jusqu’à sa mort. Et même après, je ne pense pas qu’il y aura de grande révélation.

En un sens, il n’y a que sa parole contre un raison de soupçons.
Oui, peu de personnes savent ce qui s’est passé. Les meurtriers et les victimes. Je pense que cette histoire mourra avec Caril.

Allez choper ici un exemplaire de la troisième édition de Redheaded Peckerwood 

©Christian Patterson, avec l’aimable autorisation de MACK / www.mackbooks.co.uk

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