Personne n’avait rien demandé et nul n’aurait pu l’imaginer, mais dans la France 2016 on sait que tout est désormais possible, surtout le pire. Cette semaine, comme vous le savez, Christine And The Queens a donc sorti sans prévenir le clip « Here » avec Booba en invité de poids. Un truc qui ne nous a pas du tout surpris, en revanche, ce sont les kilo-tonnes de réactions que la vidéo a suscité.
Une bagnole dans l’eau, une femme au regard de poisson, a priori le trip est cohérent. Booba se conforme à la sobriété de la vidéo en scotchant sur son smartphone, se réveillant seulement pour son couplet. En même temps il faut le comprendre, le gars a longtemps caressé l’espoir d’un hypothétique feat avec Rihanna avant de renoncer, et là on lui fait quitter Miami, Floride, pour une plage de Trouville, Calvados avec une française qui lâche des « ma mémoire est un animal » dans le plus grand des calmes. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le plan a merdé quelque part.
D’autant plus qu’il ne s’agit pas ici d’un morceau inédit (faut pas déconner) mais d’une nouvelle version de « Here », où seule Christine était présente. On pourrait penser que ça calmerait les détracteurs les plus agacés par cette collaboration mais pour le coup la comparaison n’a pas spécialement joué en faveur du son, surtout du côté des fans de la chanteuse. On y reviendra plus tard.
Ce qui, sur le papier, aurait dû être la cause de multiples éjaculations précoces dans certaines rédactions parisiennes a semble-t-il même laissé Les Inrocks sans avis – tu m’en vois navré D.U.C. En y repensant, ton titre avorté avec Alizée aurait sans doute plus fait parler de lui.
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Il faut dire que la collaboration peut sembler un rien étrange aux yeux d’une grande partie du public. Pas étrange dans le sens curieux et digne d’intérêt, plutôt dans le sens « oh, un reportage sur un garçon qui mange ses rognures d’ongles depuis la naissance ». Christine fait du Christine, moitié français moitié anglais, pourquoi pas, et le couplet de Booba s’incruste assez tranquillement à la fin du morceau, dans un style 100 % tradition. On pourrait reprocher le manque d’interaction des deux artistes, autant à l’image qu’en musique mais le rappeur n’allait pas non plus tenter un 16 mesures en passe-passe avec la Nantaise, soyons honnêtes. Cependant au début, on distingue vaguement une sorte de concours de vocalises entre les deux, l’un sous autotune et l’autre sans, et c’est le meilleur moment de la chanson, pas parce que c’est beau mais parce qu’au moins c’est drôle. Rappel : à chaque fois que des gens veulent jouer la carte de la complicité avec un peu trop d’enthousiasme dans un duo chanson/rap, c’est consternant pour tout le monde.
En ce qui concerne la vidéo elle-même, ce n’est pas spécialement pire que le travail de Chris Macari, ce n’est pas spécialement mieux non plus, et la réalisation reste pragmatique : quand on a qu’une seule bonne idée de plan à filmer, autant l’utiliser pendant toute la durée du clip. La prudence avant tout.
Cette histoire semble confirmer qu’il existe bel et bien une malédiction des clips impliquant des gens du rap ou du RnB avec une voiture qui prend la flotte. Quelques jours plus tôt, c’est comme ça que Beyoncé concluait le clip de « Formation », avant d’être prise à parti pour une sombre histoire de recyclage de plans issus d’un documentaire, puis par des petits champions qui ont modérément apprécié ce qu’ils interprètent comme un message anti-police.
Viennent ensuite les bien moins connus loustics de Loud Lary Ajust avec le clip de « Blue Volvo » . Là c’était plutôt bien filmé pour le coup, mais tout le monde s’en fout, c’est du rap québécois.
À la décharge de « Here », notons que le clip est sorti au coeur d’une journée plutôt chargée niveau mongoleries : Cyril Hanouna a répondu à Charlie Hebdo en se déguisant en moustique, Jul a découvert Périscope et l’a utilisé pour créer un morceau en direct avec ses fans dans la joie et la bonne humeur (morceau diffusé le soir même sur sa chaîne YouTube), Jean-Marie Le Pen s’est pointé sur un plateau de téléavec un masque vénitien « parce que c’est mardi gras » et le dealer de Kanye West lui a encore refilé de la coke coupée à la lidocaïne. Bref, de quoi sérieusement contrecarrer les plans de Christine et Booba.
Intéressons-nous maintenant au public, plus particulièrement aux fans respectifs des deux artistes. Et rappelons-nous que si les collaborations chanson/rap sont toujours une mauvaise idée, elles restent un formidable et infaillible détecteur à crétins.
On commence avec les fans du Duc et force est de constater qu’ils se sont montrés plus qu’ouverts sur ce coup. Alors bien sûr, quand on s’est enfilé avec le sourire les morceaux zouk-love de son rappeur préféré et qu’on reprend ses refrains autotunés par cœur, on n’est plus à ça près, mais cette tolérance est quand même un point à souligner.
Certains ont un peu froncé les sourcils sur la fin du couplet de leur idole (« quand Dieu a créé la vie il fumait une clope »), à cause de son caractère blasphématoire, mais bon. Ces gens hibernaient-ils à l’époque des « moi j’insulte mon père et j’invoque Lucifer » de Gynéco, de « L’enfer remonte à la surface » d’Ärsenik, ou sont-ils devenus complètement stupides en vieillissant ? Le débat reste ouvert.
La découverte de Christine and the Queens par les ratpis a cependant engendré des réactions assez drôles. Certains se sont foutus de sa gueule en supposant que la phrase « je ne suis que géométrie » faisait référence à sa mâchoire carrée, d’autres sont restés circonspects devant le style un peu perché des paroles, mais ce qu’on a surtout retenu au final, ce sont leurs réactions devant cette image.
Ce plan a en effet été à l’origine de nombreux détournements, chacun s’amusant à imaginer ce que Booba pouvait écrire sur son téléphone dans une situation aussi improbable. Et, comme on pouvait s’y attendre, on a eu droit à du grand art.
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Avec les fans de la chanteuse, ça a été plus compliqué. Pourtant, elle avait déjà déclaré à plusieurs reprises qu’elle écoutait et appréciait le rap. C’était également elle qui était à l’origine de la web-radio Good Morning Paris au lendemain des attentats, en collaboration avec Nekfeu. Une émission où l’on comptait, parmi les invités, DJ Pone, des membres de l’Entourage, Doc Gynéco ou encore Médine. Personne ne s’était alors plaint du mélange des genres en accusant Christine/Héloïse de donner la parole à de vilains misogynes et à un barbu, mais on comprend maintenant qu’une partie du public devait déjà l’avoir mauvaise. Il faut dire que lorsque leur idole avait à peine cité un extrait du texte de « Bonjour » de Vald, les réponses avaient déjà été fabuleuses, entre ceux qui y trouvaient de la poésie s’imaginant que c’était un texte de Christine, ceux qui étaient outrés qu’elle cite du Vald et la grande majorité qui ne comprenait strictement rien.
Avec le feat de Booba, on passe illico au niveau supérieur : la traditionnelle foire aux mongols. Face à cette collaboration, leur tolérance est proche du négatif, inversement proportionnelle à celle des auditeurs du MC du 92. Attention, personne ne leur reproche de ne pas apprécier le morceau ou le couplet du rappeur. Seulement, certains semblent ne pas l’aimer uniquement par principe, parce que c’est Booba, et que ce genre de feat ne peut être qu’une relation contre-nature, s’apparentant à de la zoophilie. Ce qui nous donne des commentaires très, très savoureux. Deux mondes se croisent, et ne se comprennent pas. Mais alors, pas du tout.
Entre les vierges effarouchées, les fanatiques ulcérés voire déprimés, les génies qui repoussent les limites du manichéisme en décrivant les 2 artistes comme « la chanteuse féministe et le rappeur machiste », les incrédules et ceux qui tentent de sortir leurs références en matière de rap mais qui cumulent goûts de merde et énormes difficultés à écrire correctement le nom des rappeurs, on assiste à un véritable choc des civilisations. À noter que ce genre de raisonnement d’experts ne se limite pas qu’aux commentaires YouTube, le Figaro est également de la partie, parce que ce serait con de ne pas s’afficher comme tout le monde.
Partant de là, deux constatations s’imposent :
1/ Une partie non négligeable des fans de Christine and the Queens ne comprend apparemment que très vaguement la démarche de celle qu’ils adulent.
2/ Ils sont beaucoup moins ouverts que les fans de Booba – et quel que soit le contexte, cette phrase est particulièrement accablante.
On se rappelle que lorsque les fans de Selena Gomez période Disney Channel avaient découvert Gucci Mane via Spring Breakers, les commentaires étaient intégralement idiots mais mimi tout plein, comme cette jeune fille qui trouvait que le rappeur « était une sorte de Winnie L’Ourson Noir ». De là à dire que les fans de Christine sont plus crétins et primaires que ceux de Disney Channel, il y a un pas – qu’on aimerait ne pas franchir, mais qu’on pourrait quand même.
Enfin, restons positifs, tout ceci ne reste que du divertissement, et c’est pourquoi je vous invite à signer dès à présent cette pétition réclamant un featuring entre PNL et Christophe Maé. 2016 en force.
Yérim Sar est sur Twitter.