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Ciel gris et eau froide : 15 ans avec les surfeurs de Bretagne

Cet article a initialement été publié sur VICE

« Le surf en Bretagne, c’est loin, froid et compliqué », embraye Ronan Gladu. Pour autant, cela n’empêche pas le photographe et réalisateur brestois de sillonner les côtes de l’ouest de la France depuis une quinzaine d’années, accompagné de « joyeux compagnons surfeurs », à la recherche des meilleures vagues de la région. « Cela m’a emmené des rochers les plus à l’est de l’Ille-et-Vilaine jusqu’aux tréfonds du Morbihan, en passant par beaucoup d’îles, îlots et autres cailloux surfables », explique-t-il.

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Fils d’Yves Gladu, photographe spécialisé dans les prises de vue sous-marine, Ronan a commencé sa carrière en traînant avec ses amis skateurs. « Comme le surf, le skate est une activité où l’image est primordiale, avance-t-il. J’ai donc vite commencé à prendre mes potes en photo. Je taxais les vieux boitiers argentiques de mon père, qui me donnait pléthore de conseils et critiques. Puis, le surf – enfin d’abord le bodyboard – est venu naturellement : en Bretagne, skate et surf sont intimement liés. Quand il pleut et vente, partir se réchauffer dans l’eau est tellement plus cool que de galérer à trouver un bout de trottoir sec à rider ! »

Connu de tout le milieu du surf breton, le photographe collabore régulièrement avec les magazines et revues spécialisés. En 2008, il sortait Barravel (tempête en breton), le premier film de surf en Bretagne. En 2016, il a décidé de reprendre le même concept et d’en faire un livre de 224 pages dans lequel seront imprimées ses plus belles images. Sa campagne de crowdfunding a été un succès, le livre a été publié et vous pouvez vous le procurer.

Si le surf en Bretagne est resté très confidentiel jusqu’au début des années 1990, le succès du bodyboard, plus facile d’accès, et la naissance de clubs, d’écoles et de surfshops feront finalement de la région un endroit réputé pour la discipline. Selon le photographe, qui conseille le livre Kornog quand on l’interroge sur l’histoire de ce sport dans l’Ouest, les avancées technologiques réalisées dans le domaine des combinaisons en néoprène ont également permis à la pratique de s’y développer. « Ce qui est unique à la culture surf bretonne, des prémices jusqu’à aujourd’hui, c’est que le surfeur local est avant tout un marin, avance-t-il. Le surf est un des contacts avec la mer, parmi d’autres activités, et peut être considéré comme un véritable atout pour affronter l’environnement breton. »

Marqué par plusieurs tempêtes, il se souvient surtout de celle de l’hiver 2010, de laquelle il a ramené une incroyable photo (ci-dessus) du surfeur Thomas Joncour, qui saute depuis la digue de Lesconil, dans le Finistère. « Dès qu’il y a une grosse dépression hivernale, avec plus de 100 de coefficient de marée et un phénomène de surcote [un dépassement anormal du niveau de la marée haute], c’est hallucinant partout sur la côte bretonne ! La tempête qui m’a le plus marqué est Xynthia, qui était pourtant une “petite” dépression, mais exceptionnelle car située au sud de la région – presque dans le golfe de Gascogne –, alors qu’on est habitués à se prendre des tempêtes sur le coin nord-ouest de la pointe ! »

S’il a côtoyé la plupart des surfeurs bretons – et notamment les emblématiques Gaspard Larsonneur et Ian Fontaine –, rares sont les pros internationaux qu’il a eu l’occasion de photographier. En raison des conditions souvent compliquées et de l’éloignement géographique de la région, « la “star” arrive souvent forcée par son sponsor », explique Ronan. « J’ai surtout vu des mecs emmitouflés dans des combinaisons intégrales de snowboard, au fond d’un magasin, à attendre que le cauchemar passe, raconte-t-il. J’ai quand même croisé quelques exceptions, des bons souvenirs : Edouard Delpero, Tristan Guilbaud, Simon Marchand, Éric Rebière (dans le “top 44” à l’époque, que j’ai juste vu faire un haut/bas sur la vague d’Annaëlle, dans le Finistère Nord, avant de sortir de l’eau !), mais aussi la légende du bodyboard mondial, Pierre-Louis Costes, ou encore le Tahitien Michel Bourez (actuellement 13ème mondial), motivé à surfer (des vagues de merde !) à Penhors et à partager des bons moments avec les kids du quartier. » Bien que les « conditions de surf en Bretagne ne soient pas toujours exceptionnelles pour la performance », Ronan estime qu’une nouvelle génération de jeunes surfeurs locaux est à suivre de près, avec parmi eux les Morbihannais Titouan Boyer, Théo Julitte et Aurélien Buffet et les Finistériens Hugo Tosetti et Titouan Canevet.

Malgré la popularité qu’a désormais acquis ce sport, le photographe ne perçoit pas de grande différence de fréquentation sur les spots bretons depuis ses débuts. « Je suis sûrement trop jeune pour avoir connu l’époque où il n’y avait encore quasiment personne dans l’eau. En quinze ans, je ne vois pas trop la différence, à part dans les petites conditions, où tout le monde s’entasse sur quelques spots. Cela a toujours été “la Chine” à certains endroits, en fonction des effets de mode… Mais si “invasion” il y a eu, certains grincheux sont persuadés que c’est de ma faute, à cause de mes photos ! De mon côté, je ne vais jamais sur les spots blindés ; je préfère surfer sur le pic, le spot ou l’île d’à côté, où c’est tranquille, même si les vagues semblent moins bien et que c’est beaucoup plus compliqué. J’ai surtout besoin de l’aventure et du “bowl d’air” que cela apporte. Je pense qu’on ne sera toujours que quelques-uns à apprécier cette pratique du surf, surtout en hiver qui, je le rappelle, dure huit à dix mois en Bretagne ! »

Pour ses images aussi, Ronan admet éviter quelques spots « comme la peste » car « [il ne sait pas] les prendre en photo ». « Les quelques grandes plages qui offrent de belles vagues mais aucune ambiance, lumière ou cadre intéressant me saoulent, explique-t-il. En revanche, il y a certaines vagues que je rêve encore de bien immortaliser, dans de bonnes conditions. En photo – très différent de la vidéo –, j’ai vraiment du mal à refaire des images “plein cadre”. Si je ne peux pas “placer” la vague et/ou le surfeur dans un contexte, je n’aime plus la photo de surf. Sauf bien sûr si la lumière, le surfeur ou les conditions sont exceptionnels. »

Afin d’être toujours en bonne condition physique, le photographe essaie d’enchaîner les sessions. « En général, je manque de me noyer à chaque fois que je vais dans l’eau avec mon caisson étanche, admet-il. Je fuis les sessions trop grosses ou avec trop de courant et je privilégie les vagues de shorebreak (les spots où les vagues déferlent à faible profondeur, au bord du rivage, ndlr) ou de récif pour faire des photos dans l’eau. Au moins, on a pied dans les cailloux ! »

Bien que son métier soit resté le même, Ronan regrette l’époque où « les photographes de surf pouvaient “vivoter” grâce à leurs publications dans les magazines ». « C’était passionnant de trouver un sujet, un angle, un surfeur et une destination et de monter un projet autour de ça, explique-t-il. Aujourd’hui, si c’est toujours passionnant, le matériel coûte plus cher et tu publies toi-même ton sujet, en numérique, sur les réseaux sociaux… Le métier est devenu amateur, avec du matériel toujours plus pro. Aujourd’hui, ceux qui vivent encore de la photo de surf travaillent pour la communication des marques. J’ai fait ça pour Kanabeach pendant quelques années, le job le plus cool du monde, même si c’était nettement moins créatif. »

Outre ses traversées de la Bretagne – devenues plus irrégulières faute de temps –, l’homme se consacre à de nombreux autres projets. Avec ses amis Ewen Le Goff et Aurel Jacob, il rentre d’un surftrip de trois mois en Afrique, entrepris dans le cadre de leur web-série Lost in the Swell – dont la diffusion de la nouvelle saison est prévue pour le printemps prochain. Auparavant, ils s’étaient déjà rendus tous les trois dans les îles Salomon et sur un archipel désert de l’océan Indien. Lors de leur récent voyage dans le bassin du Congo, ils ont notamment été confrontés à une attaque d’éléphants et ont rencontré requins et crocodiles. Trouver et capturer la vague parfaite, que ce soit dans les eaux froides de sa Bretagne natale ou sur les spots hostiles d’Afrique centrale, telle est la mission que s’est donnée ce photographe passionné par la mer.

Retrouvez Ronan Gladu sur son site.

@GlennCloarec