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Coline Ballet-Baz : de Sciences Po aux podiums de slopestyle

Rien ne semblait prédestiner Coline Ballet-Baz à embrasser une carrière de skieuse pro. Contrairement à la plupart des autres compétiteurs de sa discipline, elle n’a pas grandi dans une station de montagne et n’a pas enfourché les skis avant même de savoir marcher. Contrairement à tous les autres, elle a véritablement commencé le freestyle un peu par hasard, à l’âge de 17 ans. Pourtant, la jeune Française est désormais une championne. À son palmarès, figurent notamment une troisième place – et première Française – au classement général de la Coupe du monde de ski slopestyle 2017 et plusieurs podiums. Mi-mars, elle participait aux Championnats du monde à Sierra Nevada, en Espagne, où elle a terminé neuvième, aux portes de la finale. Quelques jours plus tard, peu avant le dernier gros contest de la saison, le Nine Royals, organisé à Watles, en Italie (qu’elle a remporté !), VICE Sports l’a rencontrée et suivie à l’entraînement dans la station de Chamrousse, à quelques dizaines de kilomètres de Grenoble, où elle vit désormais.

Ce jour-là, le soleil se cache sur la station iséroise. La fin de saison se fait sentir et les dernières neiges ne permettent plus de profiter pleinement du snowpark. Pourtant, comme à son habitude, Coline garde le sourire en pensant à ses prochains voyages et projets. Quelques jours avant son départ pour l’Italie, elle est venue s’entraîner. Rapidement, la jeune skieuse touche par sa simplicité, son talent, sa douceur malgré les tricks qu’elle sait envoyer et son parcours singulier. Elle qui a grandi à Vienne, en Isère, une ville qui n’est « pas vraiment tournée vers la montagne », semble la première surprise de ses récents exploits sportifs.

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« Quand j’étais jeune, j’ai fait du judo, du volley et un peu de roller et de skate dans les skateparks de Vienne et de Lyon, explique-t-elle, aujourd’hui âgée de 24 ans. Je faisais aussi du ski une semaine par an avec ma famille et j’adorais ça ! Je ne suivais jamais mes parents ou les moniteurs, j’étais toujours sur les bords des pistes, à sauter les petites bosses. Néanmoins, je ne connaissais pas encore les snowparks : on allait dans des petites stations où il n’y en avait pas forcément. J’ai vraiment commencé à skier quand j’ai déménagé à Grenoble pour mes études à Sciences Po, grâce à la structure étudiante qui proposait des cours de freestyle. Mes premiers “entraineurs” étaient donc les étudiants qui organisaient ça. Je voulais juste m’amuser et je ne pensais pas du tout à la compétition. Quand j’étais avec des filles qui étaient plus fortes – nous n’étions pas encore nombreuses à l’époque –, ça me donnait encore plus de motivation, même si je ne me comparais pas vraiment à elles ! Je n’avais jamais imaginé que ça deviendrait aujourd’hui si important pour moi. »

À la fin de son master en Politiques et pratiques des organisations internationales et après avoir dû combiner études et ski pendant plusieurs années, Coline se retrouve face à deux options : travailler – de préférence « dans l’humanitaire » – ou skier. « La décision a été très vite prise, dit-elle. Faire du ski n’aurait pas été forcément possible deux ans plus tard, alors que trouver un job sera toujours une chose que je pourrais faire quand j’aurai 30 ou 35 ans ! Ma passion était trop forte et j’avais trop de projets pour abandonner. Travailler dans la branche dans laquelle j’ai étudié m’aurait intéressée, mais je garde ça pour plus tard. »

Coline se professionnalise en 2011 en participant à son premier contest, l’ATR Session à Val Thorens, qu’elle remporte. De là, Mathieu Mazuel, monteur vidéo, lui propose de tourner de courts films afin de trouver des sponsors – une entreprise couronnée de succès, même si elle n’y croyait pas vraiment. Depuis, les exploits se sont enchaînés et sa motivation n’a jamais cessé d’être de plus en plus forte : « Plus tu t’investis dans le ski, plus tu as de nouveaux projets et de nouveaux objectifs. Mon esprit de compétition, que je n’avais pas au début, s’est lui aussi développé. »

L’an dernier, elle devient membre de l’équipe de France de slopestyle. « La saison de compétition avec l’équipe s’est très bien passée, que ce soit avec Sylvain Lombard, notre coach, ou les autres riders. On voyage tous ensemble, on s’encourage pour les compets, on se supporte quand il y a des coups durs… C’est un peu comme une famille dont la présence est très utile, surtout quand il y a plein d’évènements à enchaîner. Faire ça tous ensemble donne de la force. »

Cette saison d’hiver, accompagnée de cette nouvelle “famille”, Coline a notamment terminé à la deuxième place de l’épreuve de Coupe du monde de Seiser Alm, en Italie, et à la première place de celle de Stubai, en Autriche, qui comptait pour la Coupe d’Europe. « Mon podium en Italie reste un très bon souvenir car j’avais besoin de me prouver à moi-même que je pouvais faire de bons résultats à l’international et non plus seulement sur des petites compets françaises. J’étais plutôt dans le doute et ce podium m’a soulagée ! » Plus généralement, Coline se dit contente de sa saison écoulée : « Je ne m’étais pas donnée d’objectif chiffré, mais je voulais donner mon maximum. Ça a été ma meilleure saison, même s’il y a plusieurs compets où j’aurais pu mieux faire, notamment à Sierra Nevada et à Font-Romeu, dans les Pyrénées, en janvier, où la météo a été épouvantable. Là-bas, nous avons pu faire seulement un run qui a à la fois compté pour les qualifs et les finales. Je me suis pris une rafale de vent, je suis tombée, c’était donc perdu. J’ai encore cette compétition en travers de la gorge, mais ça m’a donné les crocs pour les suivantes ! »

Même en cas de mauvais résultats, Coline estime que les compétitions lui apportent toujours mentalement. « On sait déjà faire nos tricks, mais on apprend à mieux gérer notre stress, on comprend quelles erreurs on peut faire, pourquoi on a raté une figure, ce qu’on pourrait mieux faire la prochaine fois, etc…Il y a un équilibre à trouver. Je suis encore en phase d’apprentissage sur ça, ce qui est assez excitant ! »

Grâce à ces compétitions, elle se réjouit également d’avoir pu se faire de nombreux amis étrangers. « Il y a une super ambiance sur les compets entre les différentes équipes, raconte-t-elle. Aujourd’hui, surtout au niveau de la motivation et de l’investissement, je me sens inspirée par certains de ceux avec lesquels il m’arrive de rider. Il y a notamment Lisa Zimmermann, qui fait beaucoup de vidéos, qui pousse constamment ses limites et qui apprend toujours de nouveaux tricks. Pour moi, c’est l’une des plus fortes actuellement au niveau technique. Elle a en plus su garder un esprit très freestyle. J’aime aussi beaucoup le d’Emma Dahlsrom. Chez les gars, il y a Henrik Harlaut, qui reste passionné comme s’il avait toujours 15 ans. »

Parmi ses souvenirs marquants de la saison écoulée, Coline cite aussi un voyage de quelques jours en Bulgarie, où elle s’est retrouvée à sillonner le pays dans un bus avec d’autres riders et à faire du backcountry – du freestyle sur des itinéraires hors-pistes. Par manque de temps et de neige cet hiver, elle regrette néanmoins de ne pas avoir eu l’occasion de faire davantage de street – du freestyle en environnement urbain –, une discipline « beaucoup plus exigeante et plus créative que le slopestyle » à laquelle elle a consacré sa vidéo “Playground”.

Quand il s’agit d’apprendre une nouvelle figure ou d’essayer quelque chose de nouveau, la visualisation est « très importante » selon Coline. « On essaye de comprendre comment on va faire techniquement et on demande au coach ou aux amis quelles sont les clés pour réussir. En général, en regardant des vidéos ou en regardant les autres rider, on a plein d’idées. Pour s’essayer à de nouvelles figures, on attend d’avoir de bonnes conditions : pas trop de vent, de la bonne neige… Et il n’y a plus qu’à se lancer ! Cette saison, j’ai appris pas mal de nouveaux tricks que j’ai pu placer dans mes runs ! Aujourd’hui, parmi ceux que je fais souvent, on retrouve des unnatural cork 7, des switch cork 5 ou 7 ou des cork 9 tail. Ça fait beaucoup de cork. J’aimerais donc apprendre d’autres axes ou rajouter des rotations. Il y a plein d’autres figures que j’aime beaucoup faire, comme par exemple des backflips, mais on n’en fait pas vraiment en compétition ! Mes runs dépendent des modules : quand c’est classique, on fait ce qu’on sait faire, mais on peut essayer d’être créatifs quand le parcours le permet. En fait, la créativité se fait surtout sur les rails. Mais dès qu’il y a un truc original à faire, j’essaye de le faire. Ça permet d’avoir des runs qui changent de ce que je fais habituellement, ce qui plaît aux juges dans les compétitions. »

Coline, qui a eu la chance de ne jamais être confrontée à de graves blessures, explique faire attention « surtout en fin de journée, quand on sent la fatigue monter ». « On pense bien sûr à la blessure avant une nouvelle figure. Ce n’est néanmoins pas une véritable appréhension ; il s’agit plutôt d’une légère montée d’adrénaline. En revanche, quand les conditions météo sont dégueulasses et qu’on est obligé de se lancer car c’est un run de compétition, une vraie appréhension peut survenir. »

Bien qu’elle a commencé sur le tard, Coline a assisté à l’émergence puis l’explosion du slopestyle au cours de ces dernières années. « Il y a encore peu, tu commençais le freestyle avec tes potes. Aujourd’hui, il y a de plus en plus de structures et de clubs. Les jeunes peuvent s’y mettre dès 10-12 ans. Si avant c’était un peu perçu comme une discipline dangereuse, aujourd’hui ce n’est plus vraiment le cas et les parents n’ont plus de problème à encourager leurs enfants dans la discipline. Il y a aussi de plus en plus de filles et de plus en plus de niveau ! On voit davantage de gros tricks. Le freestyle féminin prend une bonne direction, même s’il y a toujours une grosse différence entre hommes et femmes – d’autant plus que le niveau chez les hommes explose aussi. »

Alors qu’elle termine une semaine d’entraînement avec l’équipe de France à Laxx en Suisse – l’un de ses snowparks préférés avec celui de Kläppen en Suède –, Coline s’apprête à partir avec Emma Dahlsrom à Mammoth, aux États-Unis, pour le tournage d’une vidéo. Si, pour certains sportifs, ce rythme et ces nombreux voyages sont épuisants, Coline se dit « ravie » de pouvoir bouger autant. Une fois sa saison définitivement terminée, elle entamera sa préparation physique estivale, avec « de la randonnée, des trips en vélo, de la slackline, du volley, etc… » Des disciplines qui lui permettent de profiter tout en « joignant l’utile à l’agréable ». « Je suis aussi une préparation plus ciblée donnée par le coach de la Fédération française : du trampoline, de l’airbag, etc… Une préparation autant physique que technique, explique-t-elle. L’hiver, avec les compétitions, on n’a pas du tout le temps de s’entraîner : il est donc primordial de bien le faire durant l’été. La période pendant laquelle on ne skie pas est néanmoins assez courte : il s’agit surtout de mai-juin. Dès fin juin, je retourne sur les glaciers des Deux Alpes. Après une certaine période sans chausser les skis, il y a toujours une petite période d’adaptation, en particulier le premier jour. »

Dans quelques mois, Coline reprendra le chemin des épreuves de Coupe du monde, avec un premier arrêt en Nouvelle-Zélande. Elle espère aussi pouvoir participer aux X Games, un contest sur invitation, et pense déjà aux prochains Jeux olympiques, qui auront lieu l’année prochaine à Pyeongchang, en Corée du Sud. « On va s’y préparer de la même façon que pour les autres compets, explique-t-elle néanmoins. Chaque journée au ski est une préparation pour les JO (si elle était sélectionnée pour Sotchi en 2014, elle n’a pas pu y participer après s’être cassée la clavicule, ndlr). D’ici là, je vais essayer d’apprendre de nouvelles figures, travailler mes appuis et être en forme ! » Que ce soit sur les kicks et modules néo-zélandais, américains, coréens, italiens ou français, il ne fait aucun doute que la jeune championne se trouvera toujours accompagnée de ses meilleurs alliés : son talent, sa motivation, sa simplicité et son sourire.

Photos de David Malacrida , lors du Nine Royals 2017 à Watles, en Italie, et de Glenn Cloarec, à Chamrousse, en Isère