En 1986, Tom Hazelmyer sort lui-même le premier single de son groupe Halo of Flies dans une édition limitée à 200 exemplaires. Hazelmyer espérait que ce single permettrait au groupe de signer sur un « vrai » label. Il n’a jamais atteint son but. Mais son label est, lui, devenu un des structures les plus influentes des années 80 et 90.
The Color Of Noise, un documentaire produit et réalisé par Eric Robel, raconte l’histoire de ce label, qui a démarré alors que Hazelmyer était engagé dans les Marines et que son catalogue sé résumait à une poignée de disques stockés dans une caisse à grenades. Mais le label a fini par se développer et grossir, signant des dizaines de groupes qui allaient marquer les années 90, parmi lesquels Helmet, Chokebore, les Melvins, Unsane, Hammerhead, Boss Hog, Surgery et Today is the Day.
En plus de la musique, Hazelmyer a également enrôlé des artistes comme Chris Mars, Frank Kozik, Derek Hess, et Coop, pour dessiner les pochettes et les posters des groupes signés sur Amphetamine Reptile.
Sub Pop, Dischord, Matador et Touch and Go étaient peut-être plus populaire qu’Amphetamine Reptile, mais étaient-ils vraiment meilleurs? Ou plus excitants ? Carrément pas. Si vous vouliez une vraie mandale visuelle et auditive, c’était sur AmRep qu’il fallait miser. Comme le dit Long Gone John de Sympathy For The Record Industry dans le film, AmRep « correspond à tous ce que Tom aime faire dans la vie : bouffer de la viande, picoler et utilser des armes à feu. »
Hazelmyer, qu’il le veuille ou non, est une icône. Son label est légendaire. Chris Spencer de Unsane le dit encore plus clairement dans le documentaire : « AmRep, c’était LE truc ».
The Color Of Noise commencera à être projeté aux États-Unis à partir de demain, 17 septembre. En attendant son arrivée en France, Noisey a interviewé son réalisateur, Eric Robel, pour en savoir un peu plus sur le film.
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Noisey : Pourquoi Tom Hazelmyer et Amphetamine Reptile et pourquoi maintenant ?
Eric Robel : Quand j’ai commencé à réfléchir à cette idée de faire un docu sur Amphetamine Reptile, j’en ai d’abord parlé à quelques collègues et amis. Leur réaction était globalement positive, mais leur enthousiasme venait surtout du fait qu’ils pensaient que le documentaire allait porter sur leurs artistes favoris du label. Quand j’ai mentionné Tom, c’était plutôt du genre « Hein? C’est qui, Tom ? » Mais je savais que je tenais un scénario intéressant. En combinant une histoire personnelle avec celle de tous ces musiciens ultra influents et de tous ces illustrateurs, ça allait forcément défoncer.
Comment tu as découvert AmRep ? C’est quoi ce qui t’as attiré en premier, les artworks ou la musique ?
Je suis de Baltimore, il y avait un magasin de disques, Reptilian Records, qui appartenait à Chris X. Je me suis pointé sur les conseils d’un pote qui m’avait filé le premier album d’Helmet, et l’ambiance m’a branché tout de suite. Chris est le genre de personne qui s’insère dans ton cerveau, cerne tes goûts et t’aiguille dans la bonne direction. D’ailleurs, c’est l’un des trucs qui me manque quand je vais dans un magasin de disques aujourd’hui. Bref, après un moment, je débarquais sans prévenir et à chaque fois il criait : « Eric ! Tu vas adorer ce truc ! », et voilà. J’étais surtout à fond dans Touch And Go et AmRep, du coup il a commencé à m’appeler AmRep Eric. J’aimais la musique heavy, mais pas le Heavy Metal en soi. La combinaison du punk rock et de ces sons distordus et lourds m’a vraiment retourné. J’étais attiré en priorité par les Cows, Hammerhead et Helmet. Les artworks venaient en second, mais voir un poster de Coop ou Derek Hess avec tous mes groupes préférés dessus ressemblait à un genre de plan marketing dont j’aurais été la cible désignée. Le contenu visuel reflétait parfaitement le délire du label.
Tu penses que certaines personnes étaient intéressées par un seul de ces deux aspects d’AmRep, ou alors c’était toujours le mélange des deux qui les attirait?
Ce que peu de gens savent, c’est que Tom a parfois aidé ces gens dans leur carrière de manière personnelle. C’était une bonne connexion pour moi en tant que cinéaste. Plus je faisais de recherches sur Tom, plus je découvrais qu’il était souvent responsable de certains accomplissements dans la vie de ces artistes.
Dans certains cas, comme avec Derek Hess par exemple, Tom n’étais pas trop impliqué, mais ce qu’il l’a poussé à booker des artistes à Cleveland et à s’occuper des posters pour ces concerts, c’était tout ce nouveau son qui arrivait à la fin des années 80 et au début des années 90. C’était un nouveau genre de musique heavy, un peu noise, mais toujours punk rock. Le premier vrai poster de Derek, c’était pour les Cows.
Le projet du film a démarré en 2011. Tu as eu du mal à le terminer? C’était devenu un fardeau ?
C’était un peu un fardeau que j’ai fait par amour, dès le départ et jusqu’à la fin. Mon plus gros obstacle a été le découpage, l’histoire est longue et elle inclut beaucoup d’artistes et de musiciens. Il fallait assembler ça pour que le résultat soit nickel. On a restructuré le tout une ou deux fois. Notre échéance initiale, c’était 2 ans, mais ça en finalement pris 3, après quoi on a attendu le temps qu’il fallait pour que les festival le sélectionnent. Le film était en lice pour SXSW jusqu’à la semaine dernière, et il s’est retrouvé dans un ou deux autres festivals. Mais c’est l’invitation de Third Man Records qui a tout débloqué. Je ne remercierai jamais assez Jack White et son équipe pour m’avoir laissé faire l’avant-première du film là-bas. Tom trouvait que ça collait. Le fait de ne pas faire l’avant-première dans une grande ville était plus cohérent avec la manière dont AmRep opérait.
Est-ce que les groupes/artistes ou même Hazelmyer étaient flippés à l’idées de s’investir dans le projet ?
La plupart des gens étaient surexcités à l’idée de faire partie du documentaire. 99 % d’entre eux n’avaient que des choses positives à raconter sur leur expérience avec le label et avec Tom. Quand je rencontrais des artistes et des groupes pour les interviewer, ils montraient à chaque fois beaucoup de respect et d’humour.
Tu as réussi à obtenir des interviews de tout le monde ou tu as du en abandonner certaines ?
Je voulais interviewer deux ou trois personnes qui n’ont pas pu se libérer, mais dans l’ensemble, les intervenants les plus importants étaient dispos. J’aurais quand même bien voulu avoir Corey Parks de Nashville Pussy, John Mohr de Tar et John Bigly des U-Men. Mais j’ai chopé TOUS les mecs des Thrown Ups – le reste n’a pas d’importance.
Tom Hazelmyer et Eric Robel
Tu as interviewé combien de personnes en tout ? Tu avais beaucoup d’heures de vidéo ?
Plus de 50 personnes ! J’avais 2 caméras, pour des sessions de 2 ou 3 heures à chaque fois. Ça fait une sacrée dose de fichiers à transférer sur disque dur. J’ai enregistré chaque interview et fait un back-up supplémentaire sur du Blu-Ray, donc rien n’a été perdu. Je pense que je me suis un peu emballé, mais je voulais vraiment avoir les histoires complètes de tous ces mecs, pour pouvoir faire un tri plus tard. Quand j’ai démarré le projet, il y avait plein d’options possibles, ce qui peut vite devenir angoissant. Mais finalement, pendant le découpage, tout est rentré en place, tout a été assemblé à partir d’un contenu assez large, ça m’a aidé.
C’était quoi l’interview la plus mémorable de tout le projet ?
Franchement, le simple fait d’avoir pu interviewer tout le monde était déjà un plaisir. C’était beaucoup de boulot, mais c’était top. J’ai traversé le pays plusieurs fois avec Michael Dimmitt pour des « tournées d’interviews », et à chaque fois c’était une aventure complètement différente. On aime faire la fête, donc c’était comme être en tournée. Mais il y a eu certains moments où on était carrément dans un état de béatitude totale.
Interviewer Jello Biafra chez lui, au milieu de la nuit, était une expérience que je n’oublierais jamais. On a été super pros, et ça a été dur d’arriver jusqu’à lui, vu qu’il fait pas souvent ce genre de choses -des documentaires à propos de quelqu’un d’autre, je veux dire. Ce qui me fait penser à un truc : les gens étaient honorés qu’on leur pose des questions pour un documentaire sur Tom. Il prend une place particulière dans leur coeur, ils l’admirent et ils respectent ce qu’il a fait pour eux. Jello, lui, nous a carrément montré sa collection de disques, nous a joué des morceaux, un hôte génial. Il a même fait une voix off pour l’intro du film, via Skype. C’est le meilleur.
Avec tout le matériel que tu n’a pas utilisé pour la version finale, tu comptes sortir des extras sur le DVD ?
J’ai quelques extras assez spéciaux en tête, sur lesquels je suis en train de bosser. Je peux pas trop en parler, mais ce ne sera pas juste des morceaux rallongés ou des interviews bonus. J’ai quelques bonnes histoires dans les tuyaux, avec des personnages qui ne sont pas dans le film. Il y aura aussi des concerts complets et des surprises !
Quels mots les gens qui ont bossé avec Hazelmyer ont le plus utilisé en parlant de lui ?
« Viande », « flingues », « alcool »… Peut-être qu’il aurait dû choisir ça comme nom pour sa série de 45 tours, au lieu de « Dope, Guns N’ Fucking-In-The-Streets »
C’est quoi, le truc plus surprenant que tu as découvert à propos de lui ?
Que ce type avait toujours un oeil et une oreille infaillible pour découvrir des nouveaux talents. Il y a des gens qui ne sont plus dans le coup après tant d’années, mais Tom aime vraiment la musique et l’art, et il a la faculté étrange de reconnaître le potentiel chez quelqu’un au tout début de sa carrière. Ah, et ça m’a aussi surpris de le voir rouler en vélo ou manger une salade.
Comment tu décrirais Hazelmyer à ceux qui le connaissent juste par des rumeurs ou des allusions ?
Je leur dirais que tout est vrai.
Maintenant que le film est bouclé et que la première a eu lieu, c’est quoi tes plans pour The Color Of Noise ?
Partout dans le monde, des gens m’ont contacté pour des projections. Mais dans l’immédiat, je suis en train d’organiser moi-même des mini-tournées sur lesquelles Tom m’accompagnera de temps à autre. Ça l’air bien parti pour fin Septembre sur la côte Est, puis on enchaînera avec le Midwest et l’Ouest tout l’automne. Et un DVD/Blu-Ray est prévu pour la fin de l’année.