Après 6 ans d’un silence tout relatif – on a tout de même eu un film, une émission télé avec son pote Gringe, un album des Casseurs-Flowters – Orelsan revient avec un album solo extrêmement attendu, La Fête Est Finie. Un titre sombre et fataliste qui s’inscrit dans la grande tradition de titres sombres et fatalistes du rappeur caennais. L’occasion de discuter en profondeur de ses doutes, de ses peurs, de ses choix, de James Blake, de Maître Gims, du temps qui passe et des commentaires qui défilent. Le tout sur un gros canapé en cuir. Et sans payer.
NOISEY : Ton album s’appelle La Fête Est Finie. Ça sous-entend que tu as eu une période festive. Ce n’est pas forcément évident quand on connaît tes paroles.
Orelsan : Ça correspond à la fin de l’adolescence. Cette période dont je parlais sur Le chant des sirènes. C’est surtout en opposition avec ma vie d’aujourd’hui. Prendre ses responsabilités, se dire qu’on grandit et que ce n’est plus trop la fête. Après, il faut prendre ce titre dans deux sens différents. C’est vrai, la fête est finie, c’est mort. Mais elle est aussi finie et j’arrive. Le titre aurait presque été plus cool avec un point d’interrogation. Dans le morceau « La fête est finie », je parle du fait de devoir changer ses habitudes, de faire d’autres choses car ce que tu faisais ne te fait plus d’effet.
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As-tu déjà consulté un psy ?
Pas du tout. J’y pense parfois. Dans les séries américaines, t’en vois toujours. Je me dis que ça pourrait être pas mal, alors que c’est chelou. J’aimerais bien en voir un et prendre des notes. Ça m’aiderait peut-être à écrire. Ou à aller chercher le fin fond du truc. On va souvent voir les psys quand ça va mal. Ce serait bien d’y aller quand ça va bien. Parfois, tu te retrouves tous les 2 jours devant 10 000, 50 000 personnes. Ça fait beaucoup d’émotions. Peut-être faudrait-il aller vérifier que tout roule une fois de temps en temps ? Mais on a tous un peu ce complexe du psy, c’est pas toujours bien vu d’y aller.
Il y a eu un moment où tu as senti que tu pouvais péter un plomb ?
C’est dur. Tout le monde t’aime, te déteste. Ce qui me fait péter les plombs, c’est quand j’arrive pas à produire. La grosse tête, ça peut aussi vite arriver si t’es mal entouré. T’es jamais à l’abri de ça. C’est des rouages psychologiques compliqués, mais concrètement au début, le fait de juste te demander si la personne qui te parle t’a reconnu, ou si elle te parle parce qu’elle t’a reconnu, c’est chelou. Maintenant, je suis habitué. Ça ne me dérange pas que les gens viennent me parler. Je prends le métro, je vais partout à pieds. J’ai aucune peur pour l’instant. Je suis pas non plus ultra-populaire. Je ne me fais jamais insulter, peut-être parce que je prends le temps de parler.
Ton premier LP racontait les années de galère, le second les côtés noirs du succès et d’une célébrité que tu assumes mal.
Ce nouvel album est une forme de bilan, un mélange du premier et du deuxième. Il y a mes premières chansons positives et optimistes, j’en avais jamais vraiment fait avant. « Si seul », « Mauvaise idée », « Suicide social », « Perdu d’avance » , c’était pas vraiment la joie de vivre. En même temps il y a aussi des morceaux sur cet album qui montrent que je ne sais pas trop où j’en suis dans ma life. Je me suis rendu compte d’une chose, c’est que contrairement à ce qu’on te montre dans les films américains, il n’y a aucun moment dans ta vie où t’es sûr de tout. Même d’un choix.
Tu doutes, mais le succès est là. Tu balances « Basique » sur YouTube, et un mois plus tard t’en es à 18 millions de vues. T’as pas peur du retour des haineux après ça ?
Grave. C’est la règle. Quand t’as la médaille, le revers suit très vite derrière. Quand t’as le buzz, t’as le retour de buzz. Franchement, « Basique » a marché 3 fois plus que ce que j’espérais. Je ne pensais pas que ça prendrait autant. Je ne savais pas ce que les gens allaient penser de la chanson parce qu’elle a quand même un parti pris fort. C’était un choix qui m’apparaissait comme risqué. Je savais que le clip était bien, mais je ne savais pas si ça allait marcher. La sortie de « Basique » m’a plus stressé qu’autre chose. Ça marche bien, donc il y a énormément de commentaires dessus. Et donc aussi des commentaires négatifs.
A quoi attribues-tu le succès du clip ? Ton passage par la case cinéma a-t-il modifié ta façon d’aborder cet exercice ?
Je m’investis toujours dans mes clips. Je suis arrivé dans le cinéma par là. C’est Greg&Lio qui l’ont réalisé et qui en ont écrit le concept. On a fait des réunions ensemble pour le booster au maximum. Je pense qu’il a marché pour plein de raisons, à commencer par la prouesse technique. Les plans séquence, ça buzz toujours un peu. J’en avais déjà fait et ça avait marché. Je suis pas mal les blogs et je sais que les gens aiment bien les prouesses techniques. Maintenant que tout le monde peut filmer, les gens s’intéressent plus à la réalisation. C’est une des clefs. La date à la fin du clip a aussi beaucoup joué. Et le fait que le morceau soit un peu Twitter-ready. C’est des phrases courtes, simples, avec un gimmick. Ce qui est dingue, c’est que c’est déjà en train de devenir une expression. Plein de gens commencent à dire « basique » ou « simple » pour qualifier des choses. Quand un mec balance le mot basique sur Twitter, un autre lui répond rapidement simple. Ça, j’y avais pas pensé. Ça fait aussi 6 ans que j’ai pas sorti d’album solo, j’ai rien publié durant les deux mois qui ont précédé la sortie de « Basique » . Ça crée un peu d’attente. On a fait tout ça à l’instinct, mais au final ça marche bien.
Tu donnes quand même le bâton pour te faire battre par les haineux. Dans tes featurings, on trouve Maître Gims, Stromae.
Je suis fan d’eux. Et je pense pas être le seul, ils ont une audience. Humainement, c’est des mecs que je connais depuis longtemps et que j’adore. À l’époque de « Perdu d’avance », j’avais demandé à Gims de poser sur un remix de « No Life ». J’étais tombé sur lui sur internet. Il venait de poster « 30 % », un freestyle qui m’avait retourné. Je le voulais sur l’album parce que c’est quelqu’un dont je me sens proche. Parfois il est marrant, parfois il fait des grosses chansons pop, limite c’est le Johnny Hallyday de maintenant. Aucun rappeur ne te dira qu’il rappe mal. Et Stromae, j’avais bossé avec lui sur l’album Racine carrée. Pour moi, c’est l’artiste de la décennie. Il écrit bien, il fait des instrus de ouf et a un concept qui ressemble à aucun autre. Lui et moi, on a un peu les mêmes influences donc je comprends ses choix artistiques.
T’as pas pensé à appeler Christophe Maé ou Keen V ? Tu les chambres méchamment dans « Christophe » ?
Non… Ça aurait été moins marrant. Je ne suis pas un enculé, j’ai pas envie qu’ils soient totalement vexés. Pour moi c’est pas un clash. C’est plus de l’ordre du rigolo, du petit foutage de gueule. Et encore… Ce sont des artistes populaires. Je sais que cette chanson est marrante, parce que ça fait rire ceux qui l’ont écouté, mais ils sont tellement populaires que c’est le fait que je me compare à eux dans le morceau qui rend le morceau rigolo. C’est pas un clash. Plus une taquinerie.
Vu les polémiques dont tu as été l’objet, hésites-tu parfois à sortir certains morceaux ? « Défaite de famille » par exemple, ça ne te pose aucun problème de conscience?
J’ai jamais vraiment hésité. Le taff d’auteur, c’est faire ces choix là. Il faut juste que les choses soient au bon endroit. J’ai un tas de notes dans des tas de dossiers chez moi. Tout est en vrac. Quand t’écris « Défaite de famille », tu sais que ça va être dur derrière. J’ai prévenu ma famille mais je ne leur ai pas fait écouter le morceau. Après, ils commencent à me connaître. Ils vont se poser des questions, se demander si je parle d’eux ou de quelqu’un d’autre. Ce que je veux dire, c’est que la même phrase ne sera pas perçue de la même façon dans « San » ou dans « Défaite de famille ». Être auteur, c’est savoir où tu dois ranger chaque phrase. C’est comme quand t’écris des dialogues au ciné. Ta phrase a pas le même impact si tu la mets dans la bouche d’un nazi ou d’un mec lambda. Ecrire, c’est faire du rangement. Une fois que c’est bien rangé, il n’y a pas de raison de se censurer.
T’as jamais peur d’une mauvaise interprétation de tes textes ?
Si c’est mal interprété, c’est probablement parce que c’est pas suffisamment bien écrit. C’est ça qui peut parfois provoquer une polémique. Pour une fois, j’ai l’impression que tout est clair dans l’album. Quand on écrivait « Bloqué » avec les Casseurs Flowters, on était un pool de 6 auteurs. Je me suis rendu compte à ce moment là que chacun a ses barrières, sa sensibilité. C’est inné, on n’y peut rien. L’un n’aimait pas les blagues communautaires, moi et Gringe, on n’aime pas les blagues sur les maladies. On avait un sketch sur le cancer. Les mecs étaient mort de rire mais moi j’étais mal à l’aise. On l’a jamais sorti. Je déteste aussi les blagues scato. Si j’en croise une dans un film, ça me gâche complètement le plaisir du truc. Alors que j’ai des potes qui adorent. Chacun ses limites. T’y peux rien. C’est ce qui explique qu’un même sujet en choque certains, et d’autres non.
Tes paroles sont désenchantées, presque nihilistes. Tu viens pourtant de la classe moyenne, tu as eu une vie classique et sans encombres. Pourquoi cette noirceur quasi misanthrope ?
Déjà, j’ai toujours aimé les morceaux sombres. J’aime les belles ballades bien dark. Par exemple, James Blake, ça me touche en plein coeur. À chaque fois. Bon Iver, je vais préférer ses morceaux un peu chelous dark. Lana Del Rey, c’est pile ce que je kiffe. J’y peux rien, c’est comme ça. Ca fait marrer plein de gens, mais voilà. Et puis c’est aussi une question de caractère. Si je suis seul pendant une heure, je pars vite dans la parano complète. Au début, je voulais que cet album soit ultra positif, ultra assumé. Arrivé à mi-album, j’arrivais plus à rien écrire. Je voulais pas parler du fait d’être connu. Dès que t’entends un mec connu se plaindre, t’as envie de sortir les crocs. Mais au final, je me suis dit que puisque je vivais ça, et donc que j’allais le raconter.
La célébrité, c’est pas forcément un truc super cool. Surtout si on te prend pour Nekfeu dans la rue.
Ça pourrait être pire. Nekfeu est beau gosse et il rappe bien. Plus sérieusement, il y a une forme de responsabilité qui va avec la célébrité. T’es toujours sous les feux. T’es obligé de gérer des gens, en fait. Et pour moi, c’est dur. Parce que j’arrive pas à en avoir rien à foutre, si tu vois ce que je veux dire. Pourtant j’habite à Paris, puisque j’ai des rendez-vous tout le temps ici. Je pourrais plus vivre à Caen, je crois.
Tu fracassais cette ville dans ton premier album. Là tu lui rends hommage dans « Dans ma ville, on traîne ». T’as relativisé ?
Vivre à Paris m’a permis de prendre du recul. Quand je retourne à Caen, je vois que la ville change. Ça me rappelle des souvenirs, des délires, et je finis par voir les trucs de façon différente. Là, je suis trop immergé dans Paris pour pouvoir écrire dessus. Faudrait que je me barre. Parce que cette ville n’est pas encore en moi.
Les prods sont plus variées que sur tes deux autres albums. Quelles consignes as-tu donné à Skread ?
Skread et moi on bosse ensemble. Comme un groupe normal. Il me recadre beaucoup. C’est lui a réalisé l’album. Il se met au service de ce que je kiffe tout en apportant ses influences. J’ai toujours aimé le rap anglais, je suis un gros fan de grime. J’ai toujours aimé la musique anglaise, le rock anglais. Même dans mes mélodies on retrouve un peu ça. Certaines ressemblent presque à du « lointain » Arctic Monkeys. Je voulais retrouver un peu cet esprit. J’aime aussi la musique électronique. Alors on s’est fixé ce cadre là. Sur les albums d’avant, c’était très varié mais on voyait les coutures. Genre « ok, ça c’est la chanson machin », « ça c’est la chanson bidule ». Par exemple « Le pire » sur le premier album, c’était notre morceau « à la Supertramp ». Je caricature un peu. Les artistes que je respecte le plus sont ceux qui ont leur propre style. Un style qu’on peut facilement parodier. Un MHD, un Stromae…
Ou un Daft Punk et un PNL comme sur « La lumière » ?
Exactement. Mais adaptées à ma sauce. J’ai pris les trucs que j’aimais chez eux et j’en ai fait ce que je voulais. J’ai aussi voulu faire un album qui ressemble à ce que j’écoute. Beaucoup de rap américain actuel, par exemple. Pendant un moment, j’étais complètement bloqué sur Travis Scott et Post Malone. Un peu comme tout le monde, quoi. Le vocoder en intro de « La lumière », ça vient plus de Bon Iver. J’écoutais aussi beaucoup Francis and The Lights. J’ai voulu mélanger tout ça en gardant une cohérence. On va dans différentes ambiances, mais sans sortir du cadre. Il n’y a pas un morceau piano-voix comme il pouvait y avoir sur Le chant des sirènes.
Depuis tes débuts, le rap blanc a explosé. Columbine, Vald, Hyacinthe, etc. T’as suivi ça je suppose ?
Je suis tout. Tout. Je suis fasciné par les nouveaux qui arrivent. Je suis toujours en train de me dire « putain, c’est cool, il se passe des choses ». Je suis assez indulgent en règle générale, je vois plus les côtés positifs que les points négatifs. Après, rap blanc, ça veut rien dire je trouve. J’aime bien dire que dans NTM et IAM, il y avait quand même plus ou moins des blancs dans le groupe. C’est une blague, mais bon… Aujourd’hui, tout est mélangé et c’est très bien. À chaque fois qu’il y a un nouveau courant, ça me frustre un peu au début. Je me dis que les mecs sont plus stylés que moi, plus frais, et qu’ils arrivent sans complexe sur des grosses prods de trap alors que moi, j’ai pas osé y aller. Et puis arrive un moment où je bosse et où je me dis que puisque c’est comme ça, j’y vais aussi mais à ma façon. Pas pareil. En ce moment j’aime vraiment bien Lomepal. J’ai kiffé son album, je trouve qu’il a la bonne vision dans tout ce délire. Comme ceux de la scène belge, ou les suisses.
Comment tu te tiens au courant ?
Je suis Noisey et tous vos concurrents. Et parfois, je rencontre directement les mecs. C’est assez fun. En festival, je vois tout le monde en général.
Que penses-tu de l’ère du clash ?
Pas grand-chose. Je préfère l’âge du feat. Quand j’avais sorti « Suicide social » en stop motion, on s’est rendu compte que Youssoupha sortait le même jour que moi « Menaces de mort », également en stop motion. On ne se connaissait pas trop à l’époque. On en a rigolé un peu en MP sur Facebook, et au final, plein de blogs ont comparé les deux trucs, les ont mis ensemble. Ça a fini par plus buzzer que si on s’était clashé.
On parle rarement de ta capacité d’analyse. Tu observes beaucoup les gens ?
Je réfléchis surtout beaucoup. J’intellectualise tout, c’est infernal. Même pour un instru, je vais toujours dire qu’il faut faire ça là parce que ça. Un exemple tout con. En ce moment je suis à fond sur les MC brésiliens. Je me rends compte que les mecs portent tous du Quiksilver dans les ghettos brésiliens. A partir de là, j’échafaude 10 000 hypothèses. Skread se fout souvent de ma gueule. A partir d’un sweat dans un clip, j’élabore une toute une théorie. Souvent merdique d’ailleurs.
En parlant de sweat, tu as monté ta marque de fringues il y a quelques années. Tu ne voulais pas t’habiller en Unkut ?
Rien à voir. Le rap et les fringues, c’est vachement lié. J’ai toujours eu envie de ça. Je viens du roller et du rap, deux cultures où les fringues sont essentiels. On passait notre temps à regarder les vitrines des magasins, à regarder ce que les mecs portaient dans les groupes. Avec mes potes on analysait les magazines, on les désossait. On adorait ça. Quand Pharell a commencé à porter du Bape ou a bossé avec Nigo sur les baskets Ice Cream, je me disais qu’il avait tout compris. A l’époque j’avais les mêmes goûts. Le mélange de fringues de skate et de hip-hop. Quand je dessine des fringues avec Seb, mon associé, c’est la même démarche. Les mecs qui font du rap sont souvent des dingues de fringues.
Comme les fringues, le rap est aussi en parti un business. Plus jeune, t’as fait quelques années dans une école de management. Ça te sert dans le rap ?
Non, pas du tout. Déjà, on est très indépendant. Et puis j’étais pas très assidu. On dit souvent que rappeur = businessman. C’est surtout que les rappeurs de mon âge et les plus jeunes sont plus indépendants qu’avant. Ça veut dire gérer tes trucs. Tu te rends compte que tu peux faire plein de choses seul. Tout s’empile. Dès le début, je faisais mes clips à l’arrache et au bout d’un moment on m’a dit « va falloir payer les mecs qui bossent dessus ». Alors j’ai monté une boîte de prod pour pouvoir les payer parce qu’on m’a dit que c’est ce qu’il fallait faire. Au bout d’un moment avec la boîte, je me suis dit que ce serait bien de faire des tee-shirts. Tu réfléchis, t’analyses, et tu vois ce que tu peux faire.
Tu te dis indépendant mais l’album sort chez Wagram, pas sur ton propre label.
Oui il sort chez Wagram. J’ai mon propre label mais il n’y a aucun artiste dessus. Et puis depuis le début, j’ai le même contrat. J’avais signé pour 3 ou 4 albums, je sais plus. Et je m’entends bien avec eux. C’est pas une major, on reste sur un label indépendant. Je fais ce que je veux. C’est moi et Skread qui établissons les stratégies de sortie par exemple. On est très très loin du mythe de la maison de disques qui t’impose des trucs. Faut dire que ça existe de moins en moins. Au-delà de ça, les gens du label sont cool. Je peux faire un clip à 10 000 boules, leur apporter la facture et ils nous font confiance. C’est une liberté géniale.
Tu parlais de stratégie. Comment faire en sorte que l’album ne leake pas ? On est à 72 heures de la sortie et l’album est toujours tenu secret.
C’est la grande question. Je me demande si ça n’a pas commencé. Je vois des gens qui postent des photos avec l’album. Il est arrivé dans les Fnac. Pour éviter que le truc ne sorte, on a embauché des mecs qui vérifient tout le temps le net, qui surveillent, et qui suppriment les liens dès que ça leake.
C’est ton côté control freak qui prend le dessus ?
Grave. Et on kiffe ça. Quand tu bosses depuis un an et demi sur un album et que tu dois gérer sa sortie pendant un mois, t’as envie que tout se passe comme tu le souhaites. J’ai envie que les gens l’écoutent bien, qu’ils soient dedans et qu’ils l’entendent dans sa globalité. C’est pour ça que j’ai sorti un seul titre avant sa parution. La première écoute, c’est vachement important. Je détesterai que les gens le découvrent dans une qualité toute pétée. La présentation d’un projet, c’est super important. Skread et moi, on aime piloter tout ça. Quand on a sorti « Basique », on l’a fait un peu en mode évènementiel. J’ai toujours aimé ça chez les autres artistes. J’ai le souvenir de Mickaël Jackson qui sort un nouveau clip qui passe en boucle en télé. Tout le monde était à fond dessus. J’ai un peu ce côté geek, fanboy. Le fait que ça n’ait pas leaké, ça augmente l’attente et c’est trop bien. Quand un Kanye West sort, je suis le premier à gratter le fond du fond d’internet pour le trouver. C’est naze. J’aime bien quand c’est un peu compliqué. Tout à l’heure j’écoutais un vieil album de Sade. Je me suis forcé à l’écouter en entier même si certains morceaux avaient super mal vieilli.
T’as l’air très fort pour générer et gérer le buzz. Avec l’affaire Cantat/Inrocks qui t’a un peu éclaboussé, t’as pas craint de perdre le contrôle ? On devait se rencontrer il y a quelques jours et ça a finalement été décalé.
Le seul contrôle que je peux avoir, c’est d’en parler ou pas. Le délire, c’est que je sors un album et que j’ai envie de parler de ma musique. Tout ce qui vient autour, ça ne m’intéresse pas. Je fais très peu d’interviews. À la limite, je préfère ne pas en faire que d’en faire où je ne parle pas de ma musique. Le problème maintenant, c’est qu’avec les réseaux sociaux, la presse adore sortir des petites phrases. C’est pour ça qu’on bosse avec les médias qui me donnent envie. Parce que c’est compliqué de ne pas être piégé dans une interview. La seule façon de contrôler, c’est de ne pas s’exprimer. J’ai toujours fait gaffe de ne pas m’exprimer sur tous les sujets.
L’album sort le 20 octobre. Ce jour là, tu seras invité sur France Inter et dans Quotidien de Yann Barthès. Tu te doutes que tu vas être interrogé là-dessus. As-tu là aussi embauché des mecs pour te préparer quelques éléments de langage ?
Non, bien sûr. J’ai réfléchi à ce que je vais dire. Ce qui est compliqué parfois, c’est que t’as beau avoir réfléchi et savoir ce que tu veux dire, ça ne sort pas comme tu veux. Et puis la télé c’est un exercice difficile. De toute façon, je veux pas spécialement parler de ce qui n’est pas en rapport avec ma musique.
Dans le morceau d’ouverture San, tu annonces que cet album est le dernier volet de la saga. Et après ? Tu continues, t’arrêtes, tu te mets au reggae ?
J’aime bien le reggae [ Rires]. Le délire, c’est que quand j’ai écrit cette phrase ou même maintenant, je ne me voyais pas partir dans un album aussi perso l’année prochaine. Si je refais un album dans un an, il aura pas cette forme là. Si je devais faire un truc de suite, ce serait un 808 & Heartbreak à la Kanye. Après, il n’y avait que 3 Star Wars au début et regarde où on en est aujourd’hui… J’ai aussi envie de me remettre au cinéma.
T’as l’air de quelqu’un de très modeste, pas vraiment le genre à bomber le torse comme d’autres rappeurs. Tu te situes où dans le palmarès du rap français ?
J’en sais rien… J’aimerais bien qu’on me situe dans l’histoire du truc. Qu’un mec dise dans quelques années « Plusieurs artistes m’ont influencé, Orelsan en fait parti ». Être inclus dans le délire ça me suffira. Le reste, c’est une question de goût. Même moi, selon mon humeur, mes goûts changent tellement. J’aime bien le rap qui se la raconte parce que ça me donne une confiance en moi que j’ai pas spécialement. J’essaye parfois d’en faire, mais c’est pas crédible. Plein de gens écoutent Mobb Deep parce que ça leur donne de la confiance, et j’aime assez ce truc là. Un peu comme quand tu regardes un film de baston. Un Van Damme par exemple. Sans juger la qualité cinématographique de la chose, tu trouves cool le moment où le mec gagne le tournoi. J’aime bien ce sentiment parfois généré par le rap. En France, on a tendance à s’intéresser beaucoup aux paroles, à tout disséquer. Quand j’écoute du rap, j’ai pas envie d’entendre une dissertation à chaque instant.
Terminons sur « Zone », le morceau avec un double featuring (Nekfeu et Dizzee Rascal). Pourquoi ces deux mecs sur le même morceau ? T’avais pas envie de capitaliser sur deux feat différents ?
Ça s’est vraiment fait de manière spontanée. Nekfeu m’avait invité au dernier moment sur l’album Cyborg. Genre une semaine et demie avant sa date limite pour rendre les bandes. C’était à l’arrache. En 3-4 jours, j’avais fait mon couplet et Skread la prod’. Il y avait un trou pour Nekfeu. Mais on a pas eu le temps de le finir, alors on a gardé le morceau pour plus tard. Un jour j’étais parti à Los Angeles bosser avec Skread et Ablaye, et rencontrer des producteurs. Le pote d’un pote était avec Dizzee, dont je suis fan depuis Boy In Da Corner. Pour me faire une surprise, ils l’ont invité lors d’une soirée à la maison sans me dire. Je l’ai bien « fanboyé » pendant 10 minutes. Et ensuite on a discuté normalement. Au bout d’une heure, je lui ai proposé de lui faire écouter un de mes morceaux. Sans idée derrière la tête. Juste peut-être avoir son avis sur les instrus. Il savait pas que je rappais. Je lui fais écouter « Basique », « La fête est finie » et « Paradis ». Puis je passe le truc avec Nekfeu et là, il pète un plomb. Il me demande de la remettre 10 fois, dit que ça ressemble à du grime sans en être. Normal, le morceau est à 117 bpm alors que le grime tourne généralement à 140. Il a fini par poser sur le morceau une semaine après. J’ai quand même demandé à Nekfeu d’ajouter son couplet parce que je voulais conserver le refrain « Nekfeu-Orelsan, Orelsan-Nekfeu ». Et voilà.
Au fait, sur « Paradis », pourquoi avoir utilisé ce sample de Stevie Wonder usé par tout le monde, même Coolio ?
Ah, ça y ressemble de ouf, mais c’est pas un sample. C’est une coïncidence, j’ai jamais percuté que ça évoquait ça. À la base, j’avais composé le piano et la mélodie dans mon bain. Je fais souvent des bouts de prods mais je les emmène rarement au bout. Là, je me suis dit que Guillaume de The Shoes pourrait rebooster ce truc, donc je lui ai envoyé le tout. Et un jour, au mix, un mec nous dit « Putain, ça ressemble quand même vachement à « Gangsta Paradise » ». On se regarde, et on se dit, « Merde, c’est vrai ». C’est quelque chose qu’on a tellement écouté gamins, ça doit relever de l’inconscient.
Albert Potiron est sur Noisey.