Comment détecter un catfish sur les applis de rencontres

Une femme dehors

Près d’un quart de siècle après la création de la toute première plateforme de rencontres en ligne, les sites de « dating », comme on les appelle dans le milieu, continuent d’être alimentés par une source intarissable d’adeptes, de curieux, et de personnes toujours plus en mal d’amour. En seulement 10 ans, deux fois plus de Français reconnaissent s’être déjà laissés prendre au jeu de la drague par écrans interposés. Soit 26% de la population de l’Hexagone. Si la perspective de séduire depuis son lit intrigue et attire chaque jour davantage, le nombre de pièges destinés aux aficionados de cette pratique ne cesse de se multiplier. Parce que le diable se cache bien souvent dans les détails, sachez dès à présent comment repérer, gérer et éviter les « romance scams » qui pullulent sur Tinder, Meetic, Twoo, AdopteUnMec, Gleeden et tous les autres.

Parce que oui, les arnaques à l’amour sont l’apanage des sites de rencontres, n’en déplaise à ces derniers qui tentent de se défaire de cette mauvaise publicité.

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Rester sur ses gardes

Ce mannequin russe châtain aux yeux bleus est peut-être aussi réel que la voisine du 2e étage que tu croises le matin dans les escaliers. Au même titre que le beau brun aux cheveux ondulés, qui ressemble à une version vintage de Kit Harrington, existe bel et bien quelque part sur le globe. Mais là tout de suite, dans ton caddie ou dans tes matchs ? À ce moment précis, où tu es subjugué.e par tant de prestance et de beauté, qui sont d’ordinaire caractéristiques des postbad d’Instagram, tes barrières de sécurité tombent et tu en oublies qu’IRL cette personne serait probablement « out of your league ». Pourtant c’est là que tu devrais faire la moue et mettre à contribution le stalkeur qui sommeille en chacun de nous.

À en croire Kilian, RH pour un site de dating qui ne dit plus son nom, derrière un profil de ce type se cache bien souvent un hackeur de données russe, ou un brouteur ivoirien. Histoire d’en avoir le cœur net, quelques clics suffisent à enregistrer les photos de profil avant de les soumettre au test de la recherche d’image inversée. Si tu as connu les grandes heures de Skyrock dans les années 2000 et que tu écrivais les plus beaux poèmes pour faire partie des blogs à l’affiche, tu es probablement familier du concept. La barre de recherche de Google Images offre la possibilité de tracer la provenance d’une iconographie, ou à défaut de déterrer des contenus similaires, en l’important. En une fraction de seconde il est donc possible de retrouver l’intégralité du shooting de ton mannequin, et il est malheureusement fort probable que : non elle ne s’appelle pas Svetlana, n’a pas 21 ans et ne va pas à la fac de Nanterre

« Pourquoi quelqu’un aurait besoin de flouter l’arrière-plan de ses photos en extérieur ? Comment est-il possible d’avoir une photo à la sortie de la douche aussi dénuée d’imperfections alors qu’on a un Android de 2012 ? »

Si la recherche d’images ne donne rien, la personne de l’autre côté de l’écran est peut-être bien celui ou celle qu’elle affirme. Mais si le doute subsiste dans ton esprit (et il devrait), d’autres moyens existent pour déconstruire méthodiquement le personnage avec qui tu entretiens une conversation enflammée depuis deux jours déjà.

Faire attention aux détails

« Les fakes mettent souvent peu d’infos », affirme Kilian, mais ça n’empêche pas de prêter attention au moindre petit détail. Pourquoi quelqu’un aurait besoin de flouter l’arrière-plan de ses photos en extérieur ? Comment est-il possible d’avoir une photo à la sortie de la douche aussi dénuée d’imperfections alors qu’on a un Android de 2012 ? Autant que faire se peut, méfie-toi des photos en bonne qualité. Et puis en regardant bien, il n’était pas un peu plus bronzé sur la photo qu’il t’a envoyée hier ? Ses cheveux n’étaient pas plus courts ? Pour se rassurer, tu peux demander à ton interlocuteur de te faire parvenir quelques photos supplémentaires. À l’heure du selfie intempestif, cela ne devrait pas être bien compliqué. Pour Kilian, « une nana aujourd’hui qui te dit qu’elle n’a ni Facebook, ni Insta, c’est déjà étrange ». Quand on pense que nos parents utilisent les réseaux sociaux mieux que nous, il est de rigueur de douter que la personne en face ait échappé aux abysses de ce monde hyperconnecté. De même, quelqu’un qui déclare ne pas pouvoir communiquer son numéro de téléphone pour une raison qui n’est pas la simple envie de ne pas te voir t’introduire dans son intimité, ce n’est pas net.

Si ces quelques incohérences n’ont pas échappé à ton œil vif, sache que si ton interlocuteur n’est pas la personne sur les photos, il a tout de même souvent bien travaillé son personnage. Kilian surenchérit : « Ils sont très bons ». Mais fort heureusement, personne n’est infaillible, aussi doué soit un catfish, un fake ou un scammeur. S’il y a deux jours il t’a affirmé travailler dans la mode et être très potes avec feu Karl Lagerfeld (et que pour une raison qui échappe à l’entendement ça ne t’a pas paru un peu gros), n’hésite pas à revenir sur le sujet quelques jours plus tard, le plus innocemment du monde pour creuser un peu plus sur les coulisses de ce métier de rêve que les faux profils ont tendance à attribuer à leur personnage.

« Les personnes seules se font souvent avoir »

De même, si tu remarques des détails insidieux qui seraient susceptibles de lui avoir échappé (un grain de beauté sur le trapèze gauche, un tatouage flou sur l’avant-bras droit, un léger strabisme), garde-les en mémoire précieusement et tente, un jour aléatoire, d’obtenir des clichés qui se concentrent sur ce détail. Si la personne est incapable de t’en fournir un après avoir été silencieusement farfouillée dans ses archives et dans les méandres d’internet pendant 15 minutes, tu discutes bel et bien avec quelqu’un, mais il ou elle n’a probablement rien à voir avec les photos.

Tu l’auras compris, le temps est également un facteur déterminant. Si Svetlana répond extrêmement vite à tes messages, la probabilité qu’elle ne discute qu’avec toi sur cette plate-forme ou sur le compte Messenger qu’elle vient de créer n’est pas à éluder. Un catfish a tout le temps du monde à t’accorder. Et ce, peu importe les intentions qui l’animent à ce stade de la conversation. Par contre, si le rythme soutenu des échanges ralentit après une demande qui te semble pourtant des plus anodines, il est temps de refaire la moue. Prendre une photo de son chat tigré alors qu’il ou elle affirme qu’il dort sur son ventre ne devrait pas prendre 20 minutes.

Fuir les demandes incongrues

Les pros d’internet te le diront, il vaut mieux éviter de cliquer sur les liens reçus en message privé. « Ça peut sembler bateau, mais ça ne l’est pas toujours pour tout le monde » rappelle Kilian. Si les millennials et les gen Z se laissent moins appâter par un URL fallacieux, les plus âgés manqueront sans doute un peu plus de vigilance. Pour alerter sur les dangers que cela peut entraîner, il dénonce les pratiques courantes de personnes malveillantes sur les sites de rencontre. « Il y en a sur tous les sites, mais beaucoup plus sur les sites gratuits parce qu’ils s’en foutent » du RGPD (Règlement général sur la protection des données) et des mesures imposées par la CNIL sur le chiffrement des données. « Chez nous tout est crypté. Si on nous demande un mot de passe, on est incapables de le retrouver » rassure Kilian.

Mais ce n’est pas le cas sur tous les sites. Vol de données, chantage aux nudes ou encore extorsion d’argent sont les principales motivations derrière les faux profils. « Les personnes seules se font souvent avoir ». Par un amoureux nigérian qui feint d’éprouver des sentiments immuables pour obtenir un billet d’avion et un séjour tous frais payés de l’autre côté de la Méditerranée. Mais aussi par des maîtres chanteurs qui en usant de charme parviennent à soutirer des clichés dénudés et menacent de les dévoiler, sauf compensation financière. Il vaudrait donc mieux éviter de s’adonner à des strip-teases devant une webcam, quand la personne en face assure que la sienne est cassée, et de tomber amoureux.se d’une série de cinq clichés volés sur un compte Instagram privé.

Connaître ses options

Si après tout ça tu es prêt.e à accepter que l’éphèbe de l’autre côté de l’écran n’est qu’un marchand d’illusions, tu as une palette d’options qui s’offrent à toi. Tout d’abord, il est important de savoir que dans les mails qu’ils envoient à leurs utilisateurs, certains sites de rencontres préviennent et informent de la présence de ces faux profils. Il est important de les lire. Si le doute s’instille en toi, tu as la possibilité de le faire savoir à la plate-forme en signalant le profil qui te semble suspect. Auquel cas, le service fraude se penchera sur le ou les profils (à savoir que les fakes en ont souvent plusieurs) et, en constatant des anomalies telles qu’une même adresse IP pour plusieurs comptes ou des envois de liens en message privé, il se réservera le droit de bannir l’utilisateur de la plate-forme.

Si préjudice moral il y a, ou que tu as été allégé.e de quelques centaines d’euros de ton compte épargne, la justice est de ton côté. Laurent Badiane, avocat au barreau de Paris et expert en cybersécurité, rappelle que l’usurpation d’identité numérique est un délit pénalement répréhensible et sanctionnable d’une peine d’emprisonnement d’un an et d’une amende. La personne qui a été abusée peut faire appel à une procédure légale pour demander réparation. La justice peut alors retrouver la trace de l’usurpateur et le condamner en conséquence. Celui ou celle dont les informations et les clichés ont été dérobés pour constituer le faux profil peut également faire appel à la justice et faire appliquer la loi.

Les sites de rencontre, véritables nids à faux profils préfèrent dans leur grande majorité faire l’autruche devant ce phénomène qui ne s’épuise pas. « Communiquer là-dessus c’est se tirer une balle dans le pied, ça fait de la mauvaise pub ». Malheureusement le problème persiste, et l’arnaque à l’amour continue à avoir de beaux jours devant elle. Kilian insiste tout de même sur les bons côtés, « on reçoit souvent des faire-part et des annonces d’accouchements de la part de certains utilisateurs ». Des anecdotes qui font sourire et tentent tant bien que mal d’évincer celles qui figurent dans les dossiers de la police nationale.

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