Quand on parle de saucisse, il y a deux choses qui viennent immédiatement à l’esprit. La première est un pénis – et le nombre incalculable de blagues graveleuses qui l’accompagnent. La seconde est un aphorisme attribué par erreur à Otto von Bismarck qui dit que « les lois, c’est comme les saucisses, il vaut mieux ne pas être là quand elles sont faites ».
Et c’est vrai que regarder des gens en train de pousser des bouts de muscle et de gras en cubes dans un hachoir n’est pas l’activité la plus marrante. Si vous avez l’occasion de passer derrière le comptoir d’un boucher-charcutier, vous pouvez toujours mater le processus qui transforme de vieux intestins – ressemblant vaguement à des préservatifs usagés – en saucisse fumée, rôtie ou grillée.
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Malgré ces scènes un poil gores, la saucisse, c’est délicieux. Quiconque a pensé à l’inventer est une sorte de génie visionnaire – pour ne pas dire plus. Et si l’art de faire de la charcuterie échappe souvent à la plupart des gens, ce n’est pas pour n’importe quelle raison. Une saucisse mal préparée peut vous emmener directement à l’hosto sans passer par la case départ. Voilà pourquoi le consommateur moyen laisse les mystères de la confection des saucisses aux professionnels.
Chez MUNCHIES, on aime bien les défis. On a donc invité Elias Cairo, chef du restaurant Olympia Provisions à Portland dans l’Oregon, pour qu’il explique comment faire une saucisse estivale qui tue et ainsi conquérir le cœur des masses.
Il a débarqué tout sourire dans les cuisines et s’est placé derrière le hachoir, accompagné de « l’homme aux saucisses », Mike Manes, un ancien de l’Olympia qui bosse aujourd’hui dans la boucherie The Meat Hook.
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La première étape est un grand classique, c’est la même pour de nombreuses saucisses, la découpe de la viande – ici de l’échine de porc.
« Il y a une glande au milieu de l’échine de chaque cochon », précise Cairo qui retire au couteau une boule de chair de la taille d’un globe oculaire. « Le problème, c’est qu’elle a le goût de la pisse de chat. »
S’il vous plaît, enlevez-la.
Vous allez aussi avoir besoin de lard de cochon. Assez pour atteindre les 30 % de matières grasses que n’importe quelle bonne saucisse qui se respecte doit avoir. Ce n’est pas simplement pour la saveur, c’est aussi pour la fermentation et la solidité de la structure. Le sel permet de faire ressortir la protéine qu’on appelle myosine, qui relie le gras et crée la texture unique de la saucisse. « Ça la rend moelleuse comme il faut », raconte Cairo en ajoutant que la règle des 30 % fonctionne avec les saucisses chaudes et froides, quels que soient les ingrédients que vous utilisez.
« Quand on parle de graisse, on utilise un terme qu’on appelle ‘titre’ et qui correspond à la consistance du gras », dit-il. « Le lard a le titre le plus dur sur le cochon et (le gras de l’échine) a le deuxième plus dur. Ensuite, vous avez le gras du bide mais son titre est très bas – vous allez avoir un truc qui ressemble à de la bouillie. Ce lard, quand vous le liez et que vous le cuisinez, il va rester solide. »
Après que la viande et le gras ont été découpés en cubes, Cairo les fout dans le congélateur pour faire baisser la température de la viande. Une des règles cardinales de la confection de saucisse c’est de garder l’ensemble bien froid pour éviter que se développe ce qu’on appelle des « taches » de gras, qui donne une texture qui s’émiette.
Ensuite, l’élément qui déclenche la fermentation va faire baisser le pH de la viande à des niveaux sûrs.
« On utilise une levure lactique pour faire démarrer la fermentation », explique Cairo. « Généralement, je suggère aux gens d’utiliser de l’eau distillée. Parce que même si votre eau est super propre, il y a un risque que votre levure soit tuée et que le processus de fermentation soit stoppé. »
Alors que les levures commencent à faire leur taf, Cairo mélange les épices : poivre blanc, poivre noir, coriandre, flocons de piment, marjolaine, poudre de moutarde et poivre de cayenne au mortier et au pilon. Ensuite, il émince quelques gousses d’ail et ajoute quelques graines de moutarde dans un mélange de vinaigre passé à la poêle, histoire de donner un petit coup de boost à l’ensemble.
Puis Cairo sort la viande du frigo et balance tous les ingrédients – sauf la levure et les graines de moutarde – le sel de mer, le dextrose et le sel nitrité.
Attention : ce sel de salaison n’est pas facultatif, bande de hippies. Même si Cairo utilise un produit nitré « naturel », il ne le recommande pas si vous faites la saucisse chez vous. Beaucoup de nitrates naturels sont trop « incohérents » selon lui.
La viande retourne dans le congélo pour une nouvelle session « grand froid » au milieu des pièces détachées du broyeur – ainsi désinfectées. Pour conserver une température assez basse, Cairo a déposé le récipient sur un lit de glaçons.
Cairo mélange la levure avec les graines de moutarde, la viande hachée et le mélange de graisse. Avec le batteur du mixeur, il transforme l’ensemble en une émulsion plutôt solide.
Cairo et Manes travaillent en tandem. Ils enfilent les intestins de porc sur la machine à saucisse et commencent à pousser consciencieusement la viande, évitant avec dextérité les potentielles petites poches d’air tout en faisant régulièrement des nœuds.
Une fois la viande correctement saucissonnée, il est temps de passer à l’étape de la fermentation. Cairo suggère de placer une casserole d’eau bouillante dans le four en mode veille pour garder la chaleur et permettre aux bactéries lactiques d’agir. Après environ 12 heures de bain, les saucisses doivent avoir une légère teinte orangée. Le pH ne doit pas dépasser 5,3 sur le pH-mètre. (Ouais, vous aurez besoin d’un truc de ce genre)
À ce moment-là, votre saucisse est déjà comestible. Mais si vous la fumez, vous pourrez obtenir un niveau supplémentaire de saveur. Cairo fume ses saucisses pendant environ deux heures à 80 °C sur des copeaux de pommiers jusqu’à ce que la température interne atteigne environ 70 °C. Laissez ensuite refroidir votre petit chef-d’œuvre au frigo, puis tranchez et servez.
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Alors OK, c’est plus compliqué que de descendre à la boucherie et de s’engager dans une transaction financière pour remonter avec une belle saucisse préparée par quelqu’un de qualifié. Mais pour ceux qui se sentent à la hauteur du défi, Cairo promet du fun : « Je dis toujours aux chefs de faire des saucisses d’été. Surveiller le pH, regarder les ingrédients sécher et fermenter – tous ces trucs sont vraiment amusants ».
Et compte tenu de la saison, il n’y a pas de meilleur moment que maintenant pour se lancer dans un premier face-à-face avec une saucisse d’été.