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complotisme

Comment j’ai quitté la secte des théories du complot

Stephanie Wittschier a essayé de convaincre le monde entier de l'existence des Illuminatis et des extraterrestres. Puis, elle a commencé à douter.
Illustration : Sarah Schmitt
Illustration : Sarah Schmitt

Cet article a été initialement publié sur Broadly.

Stephanie Wittschier a cru à de nombreuses choses au cours de sa vie : que des extraterrestres étaient coincés dans la Zone 51 ; que le Troisième Reich était toujours en place et se portait plutôt bien ; de même que les Illuminatis – et enfin, que les élites de ce monde se servaient des chemtrails pour empoisonner l'humanité.

Cette Allemande de 35 ans est partie assez loin dans le délire des théories conspirationnistes, avant d'y renoncer et de se donner pour mission de lever le voile sur la sinistre réalité des « chemmies » – ces gens qui pensent que le gouvernement essaye de répandre des produits chimiques via les traînées d'avion. Aujourd'hui, elle et son mari, Kai, gèrent une page Facebook et un compte Twitter appelé Die lockere Schraube (La vis desserrée). Ils se sont depuis attiré les foudres de leurs anciens copains complotistes.

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Wittschier a plongé dans le monde de la théorie des complots le jour où elle a regardé un documentaire sur le manque de cohérence des attaques du 11-Septembre. « Après cela, elle a immédiatement tapé "complot" et "9/11"sur Internet », nous a raconté son mari. Wittschier s'est fait enrôler. « Elle a commencé à parler des élites et des Illuminatis. Cela a pris beaucoup d'ampleur. Elle n'écoutait plus personne et refusait toute discussion sensée. »

Sur Internet, Wittschier a rencontré des personnes qui partageaient ses convictions. « À l'époque, je suis devenue amie avec une fille qui avait les mêmes idéologies conspirationnistes que moi. Nous nous sommes très bien entendues. Nous croyions aux mêmes choses, nous allions sur les mêmes forums, nous abordions beaucoup de sujets différents et la plupart du temps, nous étions du même avis », nous a écrit Wittschier par mail. Elle s'est sentie acceptée par cette communauté qui était dans le même état d'esprit qu'elle et qui se moquait des personnes qui essayaient de les rééduquer : « Ces gens sont représentatifs du système ou sont payés ; ce sont des moutons, des gens qui ne réfléchissent pas. »

Au sommet de son obsession pour les chemtrails,Wittschier était membre de plusieurs groupes Facebook, participait à un forum appelé Allmystery, et était active sur YouTube. Mais en août 2012, sa meilleure amie complotiste a commencé à remettre en question certaines théories et à prendre ses distances du monde des complots.

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« Elle a retourné sa veste du jour au lendemain. Toutes ses opinions ont radicalement changé », déclare Wittschier. Elles ont discuté de la légitimité des théories du complot pendant des semaines, voire des mois, jusqu'à ce que Wittschier devienne sceptique à son tour. « C'était ma meilleure amie, je ne pouvais pas faire autrement. » Wittschier a commencé à se poser des questions ; à avoir des opinions moins radicales. Enfin, en 2013, elle a « renoncé à toutes ces conneries. »

De prétendus chemtrails en Catalogne. Photo via l'utilisateur Flickr Anna

Wittschier a passé des mois à s'interroger sur les théories du complot et a mené ses propres recherches : « Au bout d'un moment, j'ai compris que mon amie avait raison. J'étais choquée. J'ai réalisé que j'avais perdu énormément de temps et d'argent à me ridiculiser. C'était horrible. Je me sentais honteuse, idiote. J'ai repensé à tout ce que j'avais dit à ma famille, ma sœur et mon mari. »

Wittschier voulait partager le nouveau savoir qu'elle avait acquis sur ses anciens forums. « Je voulais les sortir de leurs illusions, mais j'ai vite compris qu'ils ne voulaient pas être éclairés. Au-delà du forum Allmystery, les petits groupes de partisans de la théorie des chemtrails sur ces pages Facebook préféraient rester entre eux », déclare-t-elle. « Quand j'ai essayé de leur faire comprendre que quelque chose clochait, ils sont devenus vraiment agressifs. Chez eux, les contradictions ne sont pas bienvenues. Étant donné que certains étaient de vieux amis à nous, ils savaient qui j'étais, qui était Kai, et où nous habitions. Nos noms complets et notre adresse circulaient sur Internet et je me faisais traiter de salope, de pute, de conne. Ils disaient que j'étais devenue un pion de l'élite dirigeante. »

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Ce qui est particulièrement frappant, c'est quand Wittschier raconte comment la scène conspirationniste tente de recruter de nouveaux alliés. « Quand on rencontrait un non-croyant ignorant, on lui envoyait des vidéos YouTube de traînées blanches excessivement longues en lui disant : "Regarde le ciel! C'est évident!" On n'entrait même pas dans les détails des incohérences techniques, on lui donnait juste une explication à peu près raisonnable, cohésive et informée – en un mot, scientifique. Puis, on laissait l'idée faire son chemin dans sa tête. »

Les anciens amis de Wittschier n'ont pas vraiment apprécié qu'elle lance un blog dans lequel elle mentionnait les grands noms de la scène. Elle a également écrit un livre et a répondu à des interviews pour la presse. Wittschier déclare qu'ils se sont sentis mis à nu. Elle a même reçu des menaces de mort en ligne, et ne pouvait pas les prendre à la légère simplement parce qu'elles étaient limitées à Internet.

« Nous savons qu'il y a une menace potentielle », a déclaré Bernd Harder, lorsqu'on l'a interrogé sur le danger que représentaient les théories du complot. Harder est auteur, journaliste et porte-parole du GWUP (La société pour les enquêtes scientifiques des parasciences), une organisation publique qui mène des enquêtes scientifiques et, si nécessaire, discrédite des phénomènes comme les chemtrails. Il y a près de 3 000 complotistes en Allemagne, bien que selon Harder, « les membres se décrivent comme un mouvement mondial. »

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Selon Harder, les complotistes n'interagissent qu'avec leurs semblables, évitant ainsi tout contact avec la réalité. Cela ne fait que les rendre plus radicaux et agressifs. « Cette radicalisation dépend aussi du degré d'implication de la personne », ajoute-t-il. « Les chemtrails représentent un danger immédiat pour la vie – les partisans de cette théorie s'imaginent lutter contre un complot à grande échelle, tandis que les partisans de la théorie de la Terre plate croient plutôt à un scandale scientifique. »

Selon Wittschier, le problème va au-delà des partisans des chemtrails qui menacent la presse et les anciens croyants. « Avec le recul, c'était une secte », déclare-t-elle. « Au début, c'était excitant de connaître des secrets et de pouvoir en faire part aux ignorants. Il y avait une communauté avec des règles, des hiérarchies etc. Jusqu'à ce que je ne me rende compte de la pression qu'ils exerçaient – toute personne qui ne partageait pas leur point de vue était systématiquement attaquée, bloquée ou radiée en quelques minutes. Tout ce que je faisais en ligne était enregistré, collecté et noté. Je trouve que cela ressemble beaucoup à la Scientologie. Pour moi, c'est la même chose. »

Le sociologue et scientifique cognitif Andreas Anton travaille à l'Institute for Frontier Areas of Psychology and Mental Health à Freiburg, en Allemagne, et a coécrit un livre intitulé Sociology of Conspiracy Thinking. Il a refusé de comparer les théories conspirationnistes à une « secte ». « Nous ne devrions pas les considérer comme malades et les qualifier de tarés », déclare-t-il. « C'est ce qu'il s'est passé avec les théories du 11-Septembre, et ce débat est trop souvent orienté vers la stigmatisation. »

Si la scène complotiste a une certaine hiérarchie et des objectifs, Anton déclare que le contact entre les membres est avant tout virtuel – contrairement aux véritables sectes, il y a un vrai manque de contact physique.

« Il est important de noter que moins une théorie a de partisans – et les partisans des chemtrails représentent un petit groupe –, moins elle est susceptible de provoquer un débat factuel ouvert », explique Anton. « Les membres d'une théorie de niche ont tendance à se montrer plus résistants et intransigeants. Leur peur est réelle. En fait, ils ne font pas ça pour s'amuser, ils sont vraiment effrayés – ils sont très sérieux. »

Stephanie Wittschier prétend en savoir long sur le sérieux de leurs peurs. « Certains conspirationnistes disent vouloir mourir car ils ne supportent plus cette situation – ils deviennent suicidaires. Sur son mur, l'un d'eux demande même aux Illuminatis de le tuer. La peur prend le dessus. Ce n'est plus qu'une simple opinion, ils se mettent en danger. Ce ne sont pas simplement des personnes qui expriment leurs croyances de manière pacifique, ce sont des fous. »

Si, par le passé, elle tentait de convaincre les non-croyants de l'existence des chemtrails, elle fait désormais du prosélytisme auprès de ses anciens amis. « Mais c'est toujours pareil – je parle à un mur. D'abord, c'était mes parents qui ne voulaient pas croire à mes théories, maintenant ce sont les partisans. Bien sûr, à l'époque je pensais connaître des faits que les autres ne connaissaient pas, mais maintenant, je le sais : ces faits-là sont vrais pour tout le monde ».