Depuis la parution des livres de Pablo Servigne, la collapsologie fait grand bruit dans les médias et les discussions. Non pas de la part de prophètes illuminés mais d’universitaires et scientifiques de différentes disciplines qui annoncent l’effondrement de notre civilisation industrielle dans les prochaines années. Une analyse publiée récemment par le Breakthrough National Centre for Climate Restoration décrit le changement climatique comme « une menace existentielle à court et moyen terme pour la civilisation humaine » et affirme que nous courons à la catastrophe dans les 30 prochaines années si nous ne renversons pas le statu quo. En gros, nous serons probablement tous mort d’ici 2050.
Une partie de la jeunesse aspire pourtant à un avenir viable et fondé sur des valeurs non consuméristes. C’est dans cette optique que début décembre, je me suis mis en recherche de modèles de sociétés alternatives. C’est ainsi que deux connaissances parisiennes me parlent tour à tour d’un éco-village dans la région de Sao Paulo au Brésil : Source Temple Sanctuary (STS), découvert sur Workaway.com. Sur un site web soigné, STS se présente comme « une expérience de société alternative, centrée sur la transcendance et l’éveil spirituel », avec des projets de permaculture. Mis en confiance par les recommandations – ainsi que sa présence sur le site de réservation Booking.com –, je postule en tant que volontaire pour deux semaines.
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Deux mois plus tard, je suis accepté et je rejoins la communauté dans la foulée. Sur place, on y accède du village le plus proche après une heure de taxi sur des chemins sinueux. Situé dans le creux d’une petite vallée, Source Temple se compose de petits bâtiments (logements des résidents en bioconstruction, salles communes de réfectoire et de méditation, maison des volontaires, bibliothèque…) éparpillés sur plusieurs hectares de belle campagne tropicale. Une cinquantaine de personnes vivent ici, en comptant la demi-douzaine de volontaires allant et venant tous les quinze jours. Malgré ce cadre idyllique, je sentais dès à présent que quelque chose ne tournait pas rond.
« Une fille nous annonce que nous sommes invités au repas d’anniversaire de celui qu’ils appellent le “Captain”, le fondateur et dirigeant de la communauté »
Est-ce dû à la bibliothèque abritant uniquement les livres des enseignements délivrés ici, soit le fameux Cours En Miracle (ACIM, Bible new age dite « dictée par Jesus » à une psychologue et vantée par Ophrah Winfrey) et ceux d’Adi Da, un gourou mort voilà une décennie et dont des portraits photos trônent sur les murs de presque tous les logements, quand ce n’est pas en pendentif que portent les résidents ? Une rapide recherche sur Internet m’apprend que l’homme avait déclaré être l’incarnation actuelle de Dieu sur Terre et qu’il fallait le vénérer afin d’être assuré d’obtenir le salut. Sans surprise, ce messie avait eu des démêlés avec la justice, notamment pour accusations d’abus sexuels.
Autre élément de malaise à mon arrivée, la nouvelle fournée de volontaires comme moi est accueillie d’une curieuse manière. On nous salue avec de longs câlins et on ne tarde pas à nous appeler « my love », ou « darling » sans nous connaître – d’une façon étonnamment semblable à celle de gens défoncés à l’ecstasy. Ensuite, une fille nous annonce que nous sommes invités au repas d’anniversaire de celui qu’ils appellent le « Captain », le fondateur et dirigeant de la communauté. Nous patientons, affamés, jusqu’à la moitié de l’après-midi, quand finalement nous comprenons que nous ne sommes pas invités. Me revient alors en mémoire un cours sur les dérives sectaires que j’ai suivi à l’université il y a cinq ans. Parmi les critères d’une secte, la création d’une sorte d’élite autour d’un leader, en attisant le désir des nouveaux venus d’en faire partie.
Le lendemain est mon premier jour de travail. Je suis assigné en cuisine puis au jardinage. Mes gestes les plus banals, comme arracher des mauvaises herbes, sont qualifiés de « beautiful » par mes responsables et ces derniers sont emplis de sourires, d’amour et de bienveillance qui sonne faux. De quoi me donner envie de faire un peu d’humour noir pour compenser. Aussi, Harmony, une résidente (les habitants de STS se voient donner de nouveaux noms par « le Captain », afin de les aider à rompre avec leur identité passée) m’incite à assister aux enseignements du « Cours En Miracle ». Je ne peux pas m’empêcher de lui faire part de mes doutes quant à la validité de ce cours, ayant lu que l’auteur avait terminé en HP en maudissant son ACIM, la pire chose qui lui soit arrivée dans sa vie, selon ses déclarations. Ma remarque me vaudra, je l’apprendrai plus tard, être taxé « d’esprit obscur ».
« Ici, nous sommes une famille, on ne vit que pour l’amour, ce qui fait peur aux gens du monde extérieur qui sont effrayés de vraiment aimer et d’être aimé » – Aurea
L’un des dogmes principaux du groupe, c’est que nous sommes les créateurs de notre réalité, donc responsables de nos malheurs. Afin de transcender ensemble leurs égos illusoires, les membres du Source Temple viennent du monde entier : Amérique latine certes, mais aussi du nord, de différents pays d’Europe et même du Maghreb et du Moyen Orient. Beaucoup ont plus ou moins la trentaine, et les plus âgés sont des soixante-huitards grisonnants. En discutant avec eux, je comprends qu’une grande partie souffrait de troubles psychiques d’addictions aux drogues, ou de crises existentielles les ayant conduits à explorer divers enseignements spirituels avant d’atterrir ici, où ils se déclarent heureux, mais avec un regard vague, voire vide, pareils à des zombies sous Prozac.
À la pause déjeuner, Waldo, un jeune uruguayen maintenant résident, m’explique que pour habiter ici : « Ce n’est pas une question d’argent, il faut faire ses preuves, montrer qu’on est prêt à rompre avec le monde extérieur ». STS propose, en plus des enseignements spirituels, des cours de permaculture, de bioconstruction et d’agroforesterie. Mais il semble que ces cours soient une manière de fidéliser les nouveaux venus et de ne leur proposer des débouchés à ces compétences qu’au sein de la communauté.
L’après-midi est libre pour les volontaires. Andrée, un camarade allemand, a lui aussi flairé que l’endroit est louche. Nous tombons d’accord, derrière l’esthétique des lieux, dignes d’un café vegan branché et les démonstrations d’amour excessives des membres, se cache une réalité nauséabonde. « Ça pue l’ego », lâche-t-il. Aurea, une Brésilienne, ancienne volontaire et wannabee résidente prête l’oreille et s’invite dans la conversation. Elle dit comprendre nos appréhensions, car elle a vécu les mêmes au début, mais nous ne faisons que projeter nos propres névroses sur Source Temple, assène-t-elle. « Ici, nous sommes une famille, on ne vit que pour l’amour, ce qui fait peur aux gens du monde extérieur qui sont effrayés de vraiment aimer et d’être aimé ». Nous rétorquons qu’une des stratégies de manipulation consiste à jouer sur son besoin d’avoir une famille – ce qui se révélera exact, Aurea ayant perdu ses deux parents.
Une fois la certitude de me trouver dans une secte, j’ai fait le choix de m’abandonner à l’expérience du « karma yoga » proposé aux volontaires par les responsables. C’est-à-dire, accomplir les tâches demandées sans penser à autre chose, et détaché du résultat. Ce faisant, une immense sensation de bien-être et de joie m’envahit tandis que je coupais simplement des légumes, chassant toutes mes pensées critiques à propos de la communauté. L’instant présent était parfait et tout semblait magnifique. Une expérience qui n’a rien à envier à une montée de MDMA. Pourtant, pas l’ombre d’une drogue au Source Temple, mais l’attitude des gens, leurs câlins, les exercices psychiques et l’atmosphère inexplicablement chargée en énergie suffit à faire exploser votre sécrétion de serotonine.
Le trip dure toute la journée et Aurea revient vers moi, bien décidée à me faire des avances. Elle me drague mais, à travers elle, c’est comme si toute la communauté essayait de me séduire, afin de me retenir dans ses filets. Elle me fait l’éloge du maître, Josh, le captain, aussi appelé le Bien-Aimé, lequel a quatre épouses (évidemment les plus jeunes de la communauté, lui ayant plus ou moins 70 ans), et est le seul à posséder une voiture. Elle me dit qu’il est le seul Éveillé du groupe, qu’elle l’a aimé au premier regard, qu’il vient la visiter par télépathie la nuit, et qu’il me faut dépasser ma peur et accepter de m’abandonner à elle pour dépasser mon mental qui m’empêche d’accéder à l’amour vrai et à la transcendance.
« Dans un discours manipulateur, mais non dénué d’intelligence, elle me rétorque que ce que je décris correspond aux travers de la société moderne : tout serait secte au final »
Le lendemain, je me sentais profondément déprimé. Mon niveau de sérotonine, à son climax hier, était maintenant au plus bas. J’apprends de la bouche d’une volontaire que c’est une constante ici : beaucoup de résidents vivent des pics de bien-être et des descentes dépressives, et des personnes qui allaient bien auparavant connaissent ici des symptômes bipolaires. Les sectes mettent cet ascenseur émotionnel sur le compte du processus de guérison spirituelle. Tels des dealers, elles enferment l’adepte dans un cercle infernal, créant en lui une dépendance au groupe et aux sensations de communion et d’amour qu’il procure. Au contraire les sagesses authentiques mettent en garde contre les extases illusoires, invitant plutôt à l’équanimité.
Pendant un footing hors de STS, je décidais d’alerter un maximum de personnes sur la nature de la communauté. Le soir, je croise d’abord Aurea, que j’appelle à partir (de manière brutale, je le regretterai), mais elle répète inlassablement que je suis animé par la peur. Aurea se plaint ensuite à une responsable s’empressant de faire une mise au point avec moi. J’expose à celle-ci les dérives observées ici. Dans un discours manipulateur, mais non dénué d’intelligence, elle me rétorque que ce que je décris correspond aux travers de la société moderne : tout est secte, au final. Elle me laisse le choix : je me repens, ou je pars. Je coche la deuxième option.
Le lendemain, je gagne Rio d’où je resterai en contact avec Aurea. Après plusieurs semaines de conversations, elle choisit de quitter STS. Quant à moi qui recherchais des modèles de sociétés alternatives, je dois remercier Source Temple qui m’a fourni un splendide voyage merdique.
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