Illustration : Chris Harward
Je me rappelle exactement du moment où j’ai réalisé que quelque chose n’allait pas dans notre relation. Quand je lui ai montré la couverture du Guardian, laquelle représentait l’extérieur du Dale Farm en feu, elle m’avait nonchalamment répondu : « Ils devraient brûler les gitans aussi. »
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Elle ne montrait aucune empathie à la vue d’une femme en pleurs ou d’enfants sur le point d’être déracinés. Elle s’en foutait royalement.
Cette nuit-là, je lui ai posé toutes les questions que je remettais à plus tard par peur de découvrir la vérité. J’ai vite découvert qu’elle ne connaissait rien du racisme en Grande Bretagne, ni de l’immigration au XXième siècle. Et rien non plus sur la manière dont les Noirs, les Asiatiques et les Irlandais étaient arrivés en Grande-Bretagne. J’ai passé des heures à lui expliquer pourquoi le racisme était une mauvaise chose, mais, à 28 ans, elle ne comprenait pas et ne s’y intéressait pas non plus. C’était une Anglaise au visage pâle et constellé de tâches de rousseur, froide et indifférente.
D’une certaine manière, j’ai découvert que j’étais tombé amoureux d’une conservatrice particulièrement salée.
J’aurais pu rompre avec elle après la dispute qui s’est ensuivie, au cours de laquelle j’ai découvert qu’elle était incapable de ressentir la moindre compassion. À la place, je me suis persuadé que notre relation pourrait marcher, malgré nos nombreux points de désaccord. J’ai lu des articles sur des couples qui entretenaient une relation solide en dépit de leurs divergences politiques. Il y a même des couples célèbres, comme John et Sally Bercow (respectivement Conservative et Labour), ou Nicolas Sarkozy et Carla Bruni (du moins avant qu’elle ne dise « non » à l’intimidation).
Je me suis dit qu’elle et moi, nous pourrions être les John et Sally du nord de Londres. Je m’étais trompé. C’était des conneries. Mon ex n’était pas particulièrement ouverte à la discussion. Elle n’était pas Michael Heseltine, elle était conservatrice. Elle tenait des propos qui sonnaient comme des titres du Daily Express.
J’ai su dès notre premier rendez-vous qu’elle votait Tory – j’avais exprimé ma sympathie pour Gordon Brown, et elle, son dégoût. Quand j’y repense, peut-être que je trouvais ça un peu excitant – c’était comme faire quelque chose de défendu – en considérant que j’allais toujours voter Labour, et que je voterais toujours Labour, malgré la manière inacceptable dont ils se comportent en ce moment.
Elle avait étudié à l’université dans une ville du nord de l’Angleterre qui fût profondément affectée par la politique de Thatcher. Je lui ai parlé de mon dégoût pour cette époque, mais elle s’en fichait.
Nos divergences politiques étaient infinies :
Elle pensait que les bénéficiaires d’allocations sociales étaient des parasites. Je pense que couper les vivres des pauvres et des gens sans pouvoir est abominable.
Elle pensait que les banquiers étaient formidables et méritaient des salaires excessifs et des primes à cause de la pression qu’ils subissent, alors que les infirmières et les professeurs méritaient des salaires peu élevés. Je voudrais nationaliser les banques et augmenter de manière significative les salaires des professions médicales et des enseignants.
Elle pensait que le NHS était épouvantable et souhaitait son démantèlement. Ma mère et ma sœur travaillent toutes les deux au NHS.
Elle n’aimait pas les autres femmes – surtout celles qui étaient brillantes, belles ou intelligentes. Je suis féministe.
Elle n’aimait pas les immigrés et pensaient qu’ils étaient surtout ici pour avoir accéder gratuitement à un logement, aux soins et à l’assistance publique, et qu’ils ne faisaient rien de leurs journées à part faire des enfants. Elle pensait que s’ils ne pouvaient pas parler anglais, ils ne devraient pas être là. Je viens d’un des quartiers les plus multiculturels de Grande Bretagne, et j’adore l’immigration pour la diversité et la force de travail supplémentaire qu’elle apporte.
Je suis fermement opposé au fascisme. Elle prônait le sectarisme. Au cours d’une discussion sur le Moyen-Orient, elle m’a déclaré : « Dieu déteste les juifs ». Une autre fois, elle m’avait demandé de laver une salade du Tesco parce que « des Indiens y avait touché ». En vacances au Maroc, on était en pleine conversation quand un local s’est montré malhonnête avec nous. Elle m’a dit : « Bien sûr qu’il ment, c’est un arabe. »
En dépit de cela, je me suis convaincu qu’elle n’était pas raciste, puisqu’elle sortait avec moi, un métis.
Alors, pourquoi ai-je continué ? Pourquoi suis-je sorti une année entière avec une conservatrice fanatique ?
La première raison est vraiment prévisible, et j’en ai même un peu honte. En entendant parler de cette histoire, ma nouvelle copine m’a demandé : « Est-ce que tu as été superficiel au point d’ignorer tout ça, juste parce qu’elle était jolie ? »
« Oui, c’est essentiellement pour ça », ai-je répondu.
Elle a levé les yeux au ciel, de la même manière que mes amis l’avaient fait pendant l’intégralité de notre relation.
Mais la deuxième raison, c’est que j’étais en quelque sorte amoureux d’elle.
Je pense surtout que nous avons continué parce que c’était excitant. Nous n’étions pas censés être ensemble. Le sexe nous maintenait ensemble. À part ça, nous nous détestions. C’était une relation amour-haine : rupture puis sexe en guise de réconciliation, plus de gaine, et ainsi de suite. C’était marrant, mais j’ai été vraiment idiot.
Quand notre relation s’est terminée – après que la police soit intervenue à plusieurs reprises, après que nous ayons bloqué et changé nos numéros de portable – elle a commencé à me manquer. Elle avait eu une vie difficile avant de me rencontrer et je voulais l’aider du mieux que je pouvais.
Quelqu’un m’a dit un jour : « Certaines personnes sont trop torturées pour pouvoir être sauvées. » Mais je n’ai pas voulu y croire. Je pensais que j’aurais pu l’aider et la rendre plus heureuse, plus confiante, et moins haineuse. Mais j’ai échoué.
Après notre rupture, j’ai passé un été à attendre. J’ai rôdé dans mon petit appartement, hanté par le fantôme de notre relation, tout en espérant qu’il ressuscite. Dieu merci, ça n’est jamais arrivé, sinon je n’aurais jamais rencontré la femme que j’aime aujourd’hui et que je m’apprête à épouser.
Elle et moi, nous sommes égalements différents. Elle est catholique et je suis athée. Mais nous n’avons pas peur de cette différence parce que notre relation est basée sur des principes fondamentaux : nous nous aimons, nous avons confiance et nous nous respectons l’un et l’autre. Nous tenons l’un à l’autre et plus important encore, nous sommes les meilleurs amis du monde.
Cette relation toxique m’a appris beaucoup de choses, mais je ne crois pas que ce soit un mal d’entamer une relation avec une personne qui a des croyances différentes. Ces relations peuvent tout à fait fonctionner, du moment où tu respectes les valeurs de l’autre – tant que ces valeurs ne sont pas aussi épouvantables que celles de mon ex. Cela dit, peut-être qu’un jeune Enoch Powell attend encore de rentrer dans sa vie.
Peu importe ce que le futur lui réserve, j’espère sincèrement qu’elle est heureuse et qu’elle a laissé sa colère et sa rancune de côté. J’espère que quelqu’un a réussi à lui faire comprendre pourquoi ses convictions politiques étaient dangereuses. Et j’espère surtout qu’elle sait désormais faire preuve de compassion.