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Comment la F1 a arrêté la clope (et s’est ruiné la santé)

Vers le milieu des années 90, la F1 et les marques de cigarettes étaient devenues indissociables. Sur les dix meilleurs pilotes de la saison 1995, neuf conduisaient des voitures couvertes du logo d’une marque de clopes. Même leurs combinaisons en étaient couvertes. A vrai dire, il y a des chances que ces mecs aient carrément porté des caleçons Marlboro, Rothmans etc.

Vingt ans plus tard, toutes ces marques ont disparu, chassée par les règlements européens interdisant la promotion du tabagisme. Et il y a de bonnes raisons de penser que ça a fait beaucoup de mal à la Formule 1. En tout cas, que ça a ruiné sa santé.

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Je ne nie pas que, d’un point de vue éthique, l’interdiction des pubs pour le tabac est une bonne chose. Je n’ai aucune sympathie pour les cancers des poumons et les infarctus, et franchement, les photos de poumons noircis et d’excroissances rosâtres qui ornent actuellement tous les paquets me font pas mal ramasser.

La légendaire équipe Lotus fut la première à être sponsorisée par une marque de tabac. Photo via Wikipedia

Surtout, je sais à quel point ces pubs sont efficaces. Elles ne poussent peut-être pas les gens à commencer à fumer, mais elles influencent clairement leur choix de marque préférée. J’ai grandi en regardant des grands prix dans les années 90, et c’est donc tout naturellement que quand j’ai commencé à fumer, à l’adolescence, je me suis précipité sur les Rothmans, Benson & Hegdes et autres Silk Cut, tout simplement parce que ces marques sponsorisaient des voitures incroyablement belles et rapides. Quand je suis allé en France, j’ai acheté des Gitanes, et des West en Allemagne. Encore aujourd’hui, ça m’énerve de ne jamais avoir trouvé de Mild Seven, cette marque japonaise dont le logo ornait la voiture de Fernando Alonso quand il a remporté le titre mondial en 2005 et 2006. Même maintenant, en tant qu’ex-fumeur, j’ai toujours de l’affection pour ces marques. A une époque, les sports mécaniques les adoraient aussi, mais ils ont dû couper les ponts. Comme moi.

Ce n’est même pas une histoire de nostalgie esthétique. Et pourtant, elles étaient belles, ces caisses. La Jordan de 1997, avec le serpent au bout du nez, ou celle de la saison suivante avec le motif frelon. Le rouge & blanc de Marlboro sur les mythiques McLaren-Honda, le bleu azur de Mild Seven, le célèbre noir & or des Lotus version JPS, le jaune Camel de la Williams championne du monde de Mansell… Je pourrais en parler pendant des heures.

Ayrton Senna a remporté 3 titres sous les couleurs de Marlboro et sera toujours associé à la marque. Photo via Wikipedia

Mais bon, tout ça c’est de la cosmétique pure, et pourtant on ne peut pas dire que le tabac rende franchement beau.

Par contre, ce qui est certain, c’est que les marques de cigarettes avaient résolu le plus gros problème de la F1 : elles payaient pour que les meilleurs pilotes puissent courir. Et quand elles sont parties, personne n’a pris leur place. Elles ont embarqué le paquet de clopes du paddock sans même lui laisser une e-cigarette, si je puis me permettre de filer la métaphore.

Quiconque connaît un peu la F1 sait combien l’argent joue un rôle vital dans son existence. C’est la perfusion qui maintient Berne Ecclestone en vie ; on se baigne dedans autour des circuits glamour de Monaco et Singapour ; et c’est ce qui permet à tout ce cirque absurde de faire le tour du monde chaque année pendant 9 mois. Par essence, la F1 est extraordinairement coûteuse : chaque année, vous devez bâtir une voiture encore plus performante que la précédente, puis la trimballer un peu partout dans le monde tout en continuant à l’améliorer en permanence dans une course effrénée à la performance. Et l’année suivante, il faut tout recommencer. C’est pas donné.

Les marques de clopes, ces infâmes vampires aux doigts crochus teintés de marron, permettaient à tout cela d’exister. Elles ont investi des millions, et tout ce qu’elles demandaient en retour, c’étaient que les écuries collent quelques logos sur les voitures et que les pilotes serrent la main d’un mec important de temps en temps. Les équipes pouvaient embaucher les pilotes qu’elles voulaient, c’est-à-dire les gars les plus rapides du monde.

Marlboro a payé une fortune pour amener Michael Schumacher chez Ferrari, où il a remporté 5 titres. C’était de l’argent bien investi. Photo via Scuderia Ferrari

Parce qu’en fait, tout ce importait pour les marques de tabac, c’était de gagner. Elles se foutaient de savoir qui montait sur le podium, tant que le type en question était entièrement sapé aux couleurs de la marque. Et elles avaient des montagnes de fric à mettre là-dedans. Vers le milieu des années 90, Marlboro sponsorisait deux des plus grosses équipes de F1 (Ferrari et McLaren), mais aussi des équipes de rallye, de moto, de Nascar, et bien d’autres encore. Mais ça valait le coup. Après tout, Michael Schumacher a bien fini par remporter cinq titres de champion du monde avec un gros logo Marlboro sur sa voiture.

Pour bien comprendre combien la perte de l’argent du tabac a changé les choses, il suffit de jeter un œil à l’écurie Jordan, qui fut pendant longtemps sponsorisée par Benson & Hedges. Même si Jordan était une équipe assez moyenne, l’argent de B&H leur permettait de recruter à peu près n’importe qui. Ils ont donc pu embaucher des mecs comme Damon Hill, Giancarlo Fisichella ou Heinz-Harald Frentzen pour piloter leurs machines. Et tous ces mecs sont parvenus à remporter quelques courses au volant des flèches jaunes de Jordan. Et cette concurrence de tous contre tous était très saine pour la F1, même si l’argent ne venait pas des sources les plus propres.

L’argent de Benson & Hedges a permis à Jordan de recruter des pilotes talentueux comme Jarno Trulli (ci-dessus). Photo via Wikipedia

Aujourd’hui, les équipes moyennes sont obligées de choisir leurs pilotes en suivant une logique purement commerciale. Du coup, Lotus a confié un volant à Pastor Maldonado, qui apporte l’argent d’une compagnie pétrolière vénézuélienne, alors que Force India fait courir Sergio Perez, dont la fortune vient d’un conglomérat mexicain. Ce sont de bons pilotes, rapides, mais irréguliers et dotés d’une certaine tendance à exploser leur voiture contre un mur de pneus. Ces mecs-là n’auraient jamais piloté une Jordan. Pendant ce temps-là, d’excellents pilotes dotés de moyens plus modestes se voient chassés de la F1.

Et ça, c’est aussi malsain pour le sport que deux paquets de Gitanes par jour pour votre corps. Certes, la F1 a toujours compté dans ses rangs des pilotes “payants”. Il y en aura certainement toujours, et ce n’est pas franchement grave. Mais quand la moitié des mecs présents sur la grille de départ ont payé pour être là, la course risque fort de ressembler à une vaste blague. C’est censé être le championnat de course automobile le plus prestigieux de la planète, qu’est-ce que des pilotes médiocres mais blindés foutent sur la grille ?

Et donc, la F1 perd en crédibilité, les audiences baissent, et les sponsors se barrent. Le cercle vicieux parfait.

Jordan s’appelle désormais Force India, et aligne Sergio Perez. Il est talenteux, but c’est surtout grâce à ses sponsors qu’il est en F1. Photo via Sahara Force India

Mais d’ailleurs, les sponsors, ils sont où au juste ? McLaren, l’une des toutes meilleures équipes, n’a même plus de sponsor principal. Dans certaines équipes, seuls les pilotes ont ramené leurs sponsors. On nous avait pourtant expliqué que, dès que les marques de cigarettes partiraient, plein de marques plus “propres” prendraient leur place. Des géants super sympa tels que Coca-Cola, McDonald’s ou Adidas n’attendaient que ça, répétait-on. Et puis finalement, rien. Les plus grandes marques ne montrent aucun intérêt pour la F1.

Et c’est en partie pour ça qu’elle disparaît peu à peu. Il ne reste que dix équipes en F1, dont l’une survit à peine après avoir connu de gros soucis. Trois autres font face à d’importantes difficultés financières. Toutes ont au moins un pilote “payant”.

Les problèmes de la F1 vont bien au-delà de ça. Ils mériteraient plusieurs articles, plutôt que ces quelques considérations. On pourrait même dire que ces problèmes ont toujours existé, et qu’ils ont juste été masqués pendant quelque temps par l’argent venu du tabac. Peut-être bien, oui. Mais ce qui est sûr, c’est que depuis que la Formule 1 a arrêté la clope, sa santé a pris un sacré coup.