Crime

Comment la méthamphétamine, la cocaïne et l’héroïne circulent aux quatre coins du monde

Suivez nous sur Facebook :


Des diplomates et des représentants des gouvernements du monde entier se sont rassemblés à New York il y a quelques jours pour un débat d’une petite semaine sur le problème mondial de la drogue. Au fil des discussions, les dignitaires réunis se sont engagés à construire une approche plus compréhensive pour faire face au problème, tout en continuant à mener la lutte contre les stupéfiants.

Videos by VICE

Le « texte final » adopté lors de cette Session Extraordinaire de l’Assemblée Générale de l’ONU (UNGASS) exhorte les pays à « prévenir et combattre » la criminalité liée aux drogues, et à « empêcher la culture, la production, la fabrication et le trafic illicites » de la cocaïne, de l’héroïne, de la méthamphétamine, et des autres substances interdites. Le document confirme également « l’engagement inébranlable » de l’ONU au niveau de la « réduction de l’offre et des mesures connexes. »

Pourtant, d’après les données de l’ONU, l’approche actuelle, axée sur la diminution de l’offre, est complètement inefficace. Dans son rapport annuel mondial sur les drogues, publié en mai 2015, l’Office des Nations Unies Contre la Drogue et le Crime (UNODC) a démontré que, malgré les millions de dollars alloués à l’éradication des cultures illicites et à l’arrestation des trafiquants, de plus en plus de personnes dans le monde se défoncent.

D’après des estimations prudentes de l’UNODC, 246 millions de personnes dans le monde — c’est-à-dire, une personne sur 20 — entre l’âge de 15 et 64 ans ont consommé une drogue illicite en 2013. Ce chiffre représente une augmentation de 3 millions de personnes par rapport à l’année précédente. Plus inquiétant : 27 millions de personnes sont considérées des « usagers à problèmes ». Seulement un toxicomane sur six a accès aux traitements appropriés.

« Les avancées en matière de technologie, de transit et de transport ont amélioré la vitesse et l’efficacité de l’économie mondiale. Elles amènent également la même efficacité au commerce des réseaux de trafiquants. »

À lire : L’histoire du mystérieux accord signé entre la DEA et « l’homme le plus dangereux du monde »

Autrement dit, la mondialisation a encouragé l’essor du trafic de drogue. Plus de 420 millions de conteneurs parcourent les océans chaque année, transportant plus de 90 pour cent du fret mondial. La plupart acheminent des marchandises autorisées, mais les autorités ne sont pas à même d’inspecter chaque conteneur. Certains servent donc à transporter soit la drogue, soit les produits chimiques utilisés pour fabriquer la méthamphétamine, transformer les feuilles de coca en cocaïne et le pavot à opium en héroïne. Avions, sous-marins, hors-bord, camions et tunnels assurent ensemble l’acheminement de la drogue aux quatre coins du monde, grâce à un réseau de livraison qui dépasse la prestation combinée d’Amazon, de Fedex, et d’UPS.

Les méthodes de transport évoluent en permanence. Les routes elles-mêmes évoluent au gré des efforts de répression des autorités, des réformes juridiques, des guerres qui éclatent et du changement climatique. Lors de l’UNGASS, VICE News s’est entretenu avec des représentants de l’UNODC du Mexique et de l’Asie du Sud-Est, ainsi qu’avec des experts indépendants sur les réseaux criminels d’Amérique latine, pour en savoir plus sur les nouvelles tendances en matière de trafic de drogue.

Pour cet article, nous avons également travaillé avec des données figurant dans le rapport mentionné ci-dessus, ainsi que dans le rapport annuel sur la stratégie internationale de contrôle des stupéfiants du département d’état américain, et dans le rapport sur la stratégie nationale de lutte contre la drogue de la Maison Blanche.

Voilà ce que nous savons sur le trafic de drogue à l’âge d’or du commerce des stupéfiants.

La Cocaïne : l’or et les guérillas

L’objectif de la dernière session extraordinaire sur la politique internationale de lutte contre les drogues, en 1998, était « d’éliminer ou de réduire considérablement la culture illicite de la coca, des plantes de cannabis et du pavot à opium d’ici 2008 ». Une poignée de nations andines — la Colombie, le Pérou, et la Bolivie — assurent plus ou moins l’approvisionnement mondial en cocaïne

Financés en partie par les États-Unis — le plus grand consommateur mondial de cocaïne — la Colombie et le Pérou ont investi beaucoup de temps et d’argent dans la destruction des champs. Beaucoup d’agriculteurs pauvres — les « campesinos » — se tournent vers la culture de la coca, qui rapporte bien plus que les autres récoltes.

La production de coca a également exacerbé les conflits au sein des deux pays. Au Pérou, les guérillas du Sentier Lumineux contrôlent toujours les territoires riches en coca dans la région isolée de la VRAE. En Colombie, les guérillas des FARC (Forces Armées Révolutionnaires de Colombie) ont investi les bénéfices du trafic de stupéfiants dans la plus longue insurrection de la région.

Il y a quelques années, le Pérou est devenu le premier producteur mondial de cocaïne, devant la Colombie. Mais le pays natal de Pablo Escobar est redevenu premier du classement en augmentant de 44 pour cent sa production de poudre blanche en 2015. L’une des raisons de cette croissance est l’accord de paix historique entre le gouvernement et les FARC. Un autre facteur est le prix de l’or en Colombie.

L’Initiative Mondiale Contre la Criminalité Transnationale a publié un rapport en début de mois, démontrant un lien entre le Plan Colombie, subventionné par les États-Unis, et la croissance de l’exploitation illégale des richesses aurifères. Le Plan Colombie mobilise des forces paramilitaires pour détruire les cultures de coca et pour lutter contre les FARC et les rebelles de l’Armée de Libération Nationale (ELN). D’après Global Initiative, la lutte contre le narcotrafic a créé de nouvelles opportunités économiques pour les rebelles, les narcos et les campesinos, qui se sont tournés vers l’exploitation aurifère — plus rentable et moins risquée que la production de coca.

« Ces groupes ont vite réalisé que prendre le contrôle de vastes étendues de territoires, loin de l’attention du gouvernement, et de contrôler les sociétés d’exploitation minière leur permettrait de dégager des bénéfices plus importants, avec beaucoup moins de risques, » explique le rapport. « Ce changement de stratégie au sein des réseaux de trafic de drogue s’est avéré tellement efficace qu’au Pérou et en Colombie — les premiers producteurs de cocaïne du monde — le commerce illégal de l’or rapporte plus que le commerce de la cocaïne. »

James Bargent, un journaliste de Medellin et un expert en crime organisé en Colombie, pense lui aussi que l’or et la coca sont liés. Dans un entretien avec VICE News à la suite d’un séjour à Antioquia, une région riche en coca de la Colombie, Bargent nous a expliqué que la chute des prix de l’or et la démobilisation projetée des rebelles ont entraîné une récolte exceptionnelle de coca.

« Lorsque l’éradication a atteint son paroxysme et que les avions détruisaient les récoltes et que les fermiers étaient arrêtés, le prix de l’or a explosé, et beaucoup de fermiers se sont tournés vers l’exploitation minière, » explique Bargent. « Aujourd’hui, c’est le contraire. L’État s’attaque aux exploitations minières et les prix ne sont plus aussi élevés, alors c’est moins risqué d’investir dans la coca. »

Les guérillas s’investissent particulièrement dans le commerce de la coca : en novembre, l’armée colombienne a fait une descente sur un camp de l’ELN dans la jungle. Le camp était doté d’un laboratoire capable de produire sept tonnes de poudre par mois. D’autres rapports suggèrent que la plus grosse organisation criminelle du pays — les Urabeños — sont prêts à reprendre la production de cocaïne quand les guérillas auront déposé les armes dans le cadre de l’accord de paix. Mais les guérillas ne vont pas céder le marché aussi facilement que ça… Les rebelles des FARC et de l’ELN se sont récemment affrontés avec les Urabeños lors de disputes territoriales au sujet de champs de coca.

« L’ELN et les Urabeños commencent à s’affronter sur la question de qui va reprendre les opérations lorsque le FARC s’en ira », nous dit Bargent. « Ce que j’entends dire c’est que les Urabeños encouragent les gens à [laisse tomber l’or et] reprendre [la culture] de la coca, et qu’ils payent plus pour le kilo de feuilles que les guérillas. Ils essayent de s’organiser pour [être prêts] lorsque le FARC commencera à se retirer. »

La cocaïne colombienne est généralement acheminée vers le nord, vers l’Amérique centrale et le Mexique, par les routes maritimes. Elles sont souvent transportées par les « sous-marins narcos », des sous-marins semi-submersibles capables de transporter jusqu’à 6,5 tonnes par voyage. Les hors-bord, eux, transportent la drogue vers la région des Caraïbes ou la République Dominicaine — qui est devenue une plaque tournante du trafic de la cocaïne vers l’Europe et les États-Unis.

La pâte de coca péruvienne est souvent transformée en poudre en Bolivie. Depuis deux ans, les autorités de ces deux pays tentent d’interrompre le pont aérien qui relie les deux pays à l’aide de petits avions qui voyagent entre les deux pays et atterrissent dans la jungle.

La cocaïne péruvienne destinée à l’Europe passe généralement par le Brésil et l’Argentine, et fait souvent escale en Afrique de l’Ouest. L’UNODC note également que la cocaïne colombienne voyage parfois vers l’Europe depuis l’Afrique de l’Ouest, après avoir transité par le Venezuela. En Italie, une grande partie du commerce de la cocaïne serait contrôlé par la mafia ‘Ndrangheta.

«De 2004 à 2007, au moins deux endroits d’Afrique de l’Ouest sont devenus des lieux de transbordement : l’un est axé sur la Guinée-Bissau et la Guinée, l’autre sur le Golfe du Bénin, qui s’étend du Ghana au Nigeria. Les trafiquants colombiens transportent la cocaïne en Afrique de l’Ouest à bord d’un vaisseau mère, avant de la décharger sur des plus petits bateaux », explique l’UNODC. « Une partie de cette cocaïne repart ensuite par la mer vers l’Espagne et le Portugal, mais une partie revient aux [intermédiaires] en Afrique de l’Ouest, en guise de paiement. »

D’après la DEA, 90 pour cent de la cocaïne à destination des États-Unis passe par le Mexique et l’Amérique centrale. Le rapport de l’UNODC note que la demande de cocaïne aux États-Unis a baissé de près de moitié depuis 2006. Mais le rôle de l’Amérique Centrale comme point de transbordement a entraîné l’émergence de marchés domestiques de la coca au Honduras et à El Salvador. Steven Dudley — l’un des fondateurs de InSight Crime, une fondation qui surveille le crime organisé en Amérique latine — explique que le phénomène est en partie dû au fait que les trafiquants paient les intermédiaires avec de la cocaïne plutôt que de l’argent.

« En Amérique Centrale, dans les quartiers très pauvres de San Pedro Sula [au Honduras], on a vu des gens vendre de la cocaïne en poudre », explique Dudley. « À première vue, ça ne semble pas être important, mais on n’a jamais vu ça ici. Cela illustre bien la disponibilité accrue des drogues dans ces régions. Je ne veux pas défier la logique économique en disant que l’offre stimule la demande, mais dans une certaine mesure, on dirait que c’est le cas. »

Descente de la police colombienne sur un laboratoire de production de cocaïne des guérillas FARC en janvier 2012 (Photo de Mauricio Duenas/EPA)

Une fois que la coke atterrit au Mexique, des réseaux comme le cartel du Sinaloa la transportent par voie terrestre jusque dans les territoires appelés « plazas », et jusqu’à la frontière avec les États-Unis. Antonio Mazzitelli, représentant de l’UNODC pour le Mexique, explique que le nombre de saisies de cocaïne dans le pays a commencé à baisser en 2009, lorsque la violence liée à la guerre entre les cartels et le gouvernement a atteint un véritable pic.

« La cocaïne n’était pas acheminée vers le nord par le Mexique, parce que c’était trop risqué », nous a dit Mazzitelli. « Ces itinéraires suivis par les trafiquants n’étaient plus sûrs. »

Mazzitelli explique que les saisies de cocaïne ont augmenté au cours des huit derniers mois, une avancée en partie due à la destruction de Los Zetas — un groupe qui a fait couler beaucoup de sang dans la guerre de la drogue au Mexique. L’autre raison est la consolidation du pouvoir par le cartel du Sinaloa, menée par le baron de la drogue Joaquin « El Chapo » Guzman, capturé il y a quelques mois, et par son collègue Ismael « El Mayo » Zambada, qui, lui, est toujours en fuite.

« En gros, le commerce de la drogue a été interrompu par la violence », explique Mazzitelli. « C’est un facteur économique — plus de violence, ça veut dire un plus grand risque économique pour les opérateurs qui transforment la marchandise. Aujourd’hui la situation est stable. »

« Le Cartel Pacific (du Sinaloa) au beau milieu de la violence a proposé aux autres cartels de rejoindre une fédération », a-t-il ajouté. « Ils étaient dans une logique commerciale, ils disaient, ‘On arrête et on reprend les affaires’.”

Une fois que la cocaïne a atteint la frontière avec les États-Unis, les cartels ont recours à un impressionnant dispositif pour la faire passer de l’autre côté. La drogue est soit dissimulée parmi des marchandises légales, transportées par des petits passeurs qui traversent le désert à pied, ou bien acheminée par un réseau de tunnels longs et sophistiqués. Les trafiquants jouent en permanence au chat et à la souris avec les policiers.

« C’est clair que les trafiquants sont toujours en train de réfléchir à de nouvelles méthodes pour déplacer la marchandise », explique Mazzitelli. « Dès qu’ils commenceront à se concentrer sur les tunnels, les trafiquants vont trouver une nouvelle méthode — des hors-bord, des drones, ou des petits avions, des camions, des voitures — peu importe, ça dépend de la capacité de l’organisation de narcotrafic.”

L’Héroïne : le pavot afghan et les Triangles d’Or

Tout comme la cocaïne, l’approvisionnement mondial en héroïne est assuré par une poignée de pays. Un pays en particulier se démarque des autres. D’après l’UNODC, l’Afghanistan « détient plus ou moins le monopole de la production illicite de l’opium, produisant 6 900 tonnes [d’opium] en 2009 — soit 95 pour cent de l’approvisionnement mondial. »

Cela fait longtemps que l’Afghanistan fournit de l’héroïne à la planète, mais la poussée remarquable de la production d’opium est directement liée à l’invasion conduite en 2001 par les États-Unis. Cette année-là, les agriculteurs afghans ont fait pousser environ 8 000 hectares de plantes de pavot. En 2014, ils sont passés à 224 000 hectares. Auparavant interdite par les Talibans, la culture du pavot finance aujourd’hui leur combat contre le gouvernement de Kaboul, soutenu par les Américains.

« Il existe un rapport de symbiose entre l’insurrection et les réseaux de narcotrafiquants », explique le Département d’État des États-Unis dans son rapport de 2015 sur le commerce international de la drogue. « Les trafiquants fournissent les armes, le financement et les autres équipements pour soutenir l’insurrection en échange de la protection des couloirs du trafic, des champs de culture, des laboratoires et des organisations qui soutiennent le trafic.”

L’Afghanistan est le premier fournisseur d’héroïne pour l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique, et contrôle également une importante part du marché en Asie, dans la région du Pacifique et en Amérique du Nord. L’UNODC estime que l’héroïne représente un chiffre d’affaires annuel de 55 milliards de dollars. Toujours selon l’agence, l’Afghanistan produirait environ 340 tonnes d’héroïne chaque année. C’est beaucoup plus que les deux autres plus grands producteurs — le Mexique (qui produit 23,5 tonnes par an, selon les États-Unis), et la Birmanie (qui produit environ 45 tonnes par an, selon l’UNODC).

Traditionnellement, l’héroïne afghane est acheminée vers l’Europe par « la route des Balkans », un couloir qui traverse l’Iran, la Turquie, la Grèce, la Serbie, la Hongrie, et d’autres pays de la région des Balkans. L’UNODC note que cette route est « extrêmement bien organisée et bien huilée par la corruption ». Une autre route, surnommée « la route du Nord », achemine l’héroïne vers la Russie par le Tadjikistan, l’Ouzbékistan et le Kazakhstan.

« Environ un tiers de l’héroïne produite en Afghanistan est transporté vers l’Europe par la route des Balkans, et un quart est transportée vers le nord en Asie Centrale et dans la Fédération de Russie le long de la route du Nord », explique l’UNODC. « L’héroïne afghane satisfait également de plus en plus la demande asiatique. D’après les estimations, entre 15 à 20 tonnes sont transportées vers la Chine, et 35 tonnes vont vers les autres pays d’Asie du sud et du sud-est ».

Récemment, les trafiquants ont commencé à envoyer plus d’héroïne afghane vers Afrique de l’est et l’Afrique du sud par voie de mer. D’après l’UNODC, de plus en plus de trafiquants d’héroïne utilisent leurs réseaux pour introduire illégalement du haschich, de la méthamphétamine et d’autres substances interdites.

« Dans une certaine mesure, il y a eu une réorientation au niveau des circuits eux-mêmes », note l’UNODC. « On s’aperçoit de plus en plus que certaines routes qui sont traditionnellement utilisées pour faire entrer un type de drogue servent aujourd’hui à faire entrer d’autres types de drogues. »

D’après la Gendarmerie Royale du Canada, environ 90 pour cent de l’héroïne saisie au Canada entre 2009 et 2012 vient d’Afghanistan. Aux États-Unis, l’héroïne provient principalement du Mexique. Pour l’UNODC, l’augmentation du nombre d’héroïnomanes aux États-Unis est due aux changements au niveau de la formule de l’OxyContin, l’un des principaux opiacés sur ordonnance à être surconsommés, ainsi qu’à une plus grande disponibilité de l’héroïne qui coûte de moins en moins chère dans certaines régions du pays.

Le pavot à opium pousse un peu partout dans le monde, mais il a été introduit au Mexique à la fin du XIXe siècle par des immigrés chinois. La plante est aujourd’hui cultivée par les agriculteurs appauvris dans les régions montagneuses de l’État de Guerrero et de l’État de Nayarit, et dans le Triangle d’Or — une région sans loi à l’intersection du Sinaloa, du Durango et du Chihuahua. Le cartel Sinaloa contrôle une grande partie de la production d’héroïne, et l’organisation a commencé à abandonner la production d’héroïne « goudron noir » bas-de-gamme, au profit d’une héroïne de bien meilleure qualité, la « blanche chinoise » — bien plus prisée par les Américains.

Pendant des années, la Colombie était le principal fournisseur de « blanche chinoise » des États-Unis, mais la culture du pavot a diminué au cours des cinq dernières années. Bargent, spécialiste du crime organisé en Colombie, explique que les Mexicains ont intensifié leurs activités pour répondre à la demande en Amérique.

« Tous les indices laissent croire qu’il y a une baisse considérable [au niveau de la production d’héroïne en Colombie], et c’est en partie dû au fait que les Mexicains satisfont le marché », explique Bargent. « Il semblerait que les Mexicains fabriquent un produit de meilleure qualité et qu’ils sont en train de s’établir sur les marchés auparavant dominés par les Colombiens, et je ne crois pas qu’ils se mettent en travers de leur chemin. »

Un enfant extrait l’opium brut utilisé dans la production de l’héroïne dans un champ de pavot à Nangarhar, en Afghanistan, en avril 2016. (Photo par Ghulamullah Habibi/EPA)

L’autre région principale de production d’héroïne est un autre Triangle d’Or, situé, lui, à l’intersection de la Birmanie, du Laos et de la Thaïlande. La culture du pavot est en baisse dans la majeure partie de la Birmanie, mais a augmenté dans les régions qui sont toujours sous le contrôle des chefs de guerre et des groupes rebelles comme l’Armée Unie de l’État Wa — une armée de 20 000 guerriers qui est profondément impliquée dans le trafic de drogue.

D’après Tun Nay Soe, coordinateur du programme UNODC pour l’Extrême-Orient, environ 90 pour cent de l’héroïne produite en Birmanie finit sur le marché chinois. Les 10 pour cent qui restent sont acheminés vers les autres pays d’Asie du Sud-Est.

Jeremy Douglas, représentant régional de l’UNODC pour l’Asie du Sud-Est, explique que les frontières mal protégées du Triangle d’Or facilitent la circulation des drogues. La marchandise est soit acheminée par voie terrestre vers la Chine, soit transportée par bateau le long du fleuve Mékong.

« On peut plus ou moins faire passer n’importe quoi entre le Laos et la Thaïlande », nous dit Douglas. « Ce n’est pas sorcier. C’est la même chose avec la Thaïlande et la Birmanie — la circulation [des stupéfiants] n’est pas vraiment stoppée par les mécanismes de contrôle qui sont généralement en place aux frontières, parce qu’ils n’ont souvent pas les moyens de protéger [les frontières]. »

Des responsables politiques de la Chine, du Laos, de la Birmanie, de la Thaïlande et du Vietnam se sont réunis il y a quelques jours aux Nations Unies pour un « événement parallèle » visant à mettre sur pied une « réponse régionale coordonnée [au problème de] la production de stupéfiants ». Pour Douglas, qui a animé le débat, la rencontre a été plutôt positive. En plus de s’engager à améliorer la sécurité aux frontières, les représentants ont dit favoriser une approche plus « équilibrée » au problème du trafic de drogue dans la région.

La plupart des pays de la région ont des politiques antidrogues particulièrement strictes. En Chine, les auteurs d’infractions liées à la drogue encourent la peine de mort, et les programmes de réadaptation pour les toxicomanes sont rares.

« Ils doivent s’occuper du problème de la demande, qui est constante », explique Douglas. « Tant qu’il y aura la demande, les réseaux criminels seront là pour y répondre. »

La Méthamphétamine : profits énormes et « super-laboratoires »

La demande pour la méthamphétamine a véritablement explosé depuis le dernier sommet anti-drogue des Nations-Unies, en 1998. La méthamphétamine est aujourd’hui l’une des substances illicites les plus populaires du monde. C’est également l’une des drogues les plus rentables pour les trafiquants. De l’Australie à l’Asie, de l’Afrique à l’Amérique du Nord, la méthamphétamine est aujourd’hui la drogue préférée des narcotrafiquants.

Les quantités de méthamphétamine saisies par les autorités au cours des dix dernières années reflètent cette poussée. D’après l’UNODC, les saisies de méthamphétamine ont presque quadruplé entre 2008 et 2012, passant de 22 à 104 tonnes. Au Mexique, les saisies sont passées de 341 kg en 2008 à 40 tonnes en 2012. En Australie, elles ont augmenté de plus de 400 pour cent en un an, passant de 426 kg en 2011, à 2 269 kg en 2012.

La méthamphétamine que l’on trouve en Asie est principalement produite en Chine, où les précurseurs chimiques utilisés dans la fabrication des stupéfiants sont facilement accessibles, ainsi que dans la région du Triangle d’Or de Birmanie et au Laos. Douglas, représentant régional de l’UNODC pour l’Asie du Sud-Est, nous dit que « l’usage du crystal meth a explosé au sein de la région ». D’après les premières estimations de l’UNODC, les autorités ont saisi 23 tonnes de méthamphétamine dans la région en 2015.

Douglas explique que la production de méthamphétamine est particulièrement intéressante pour les trafiquants parce que les coûts de démarrage et le coût des opérations sont peu élevés. Pour l’héroïne, il faut payer des centaines de fermiers pour des récoltes qui, au final, ne produiront qu’une quantité limitée de gomme d’opium. Pour fabriquer de la méthamphétamine, il suffit de se faire livrer des produits chimiques qui sont plutôt faciles à obtenir et d’avoir quelques connaissances scientifiques. Il suffit ensuite d’envoyer la drogue en Australie, où le prix au kilo est le plus élevé au monde, pour générer des profits énormes.

« Pas besoin d’employer des milliers de fermiers juste pour produire les matières premières », note Douglas. « En gros, il faut juste pouvoir avoir accès aux précurseurs [chimiques]. Pour les réseaux criminels, c’est un modèle commercial bien plus restreint et plus rentable que celui de l’héroïne.”

Selon Douglas et Soe, les entreprises pharmaceutiques indiennes ont commencé à fournir des ingrédients aux laboratoires de méthamphétamine de la Birmanie. Récemment, les autorités ont saisi des millions de comprimés de pseudoéphédrine à la frontière entre l’Inde et la Birmanie. Selon l’UNODC, les comprimés avaient été fabriqués récemment, indiquant qu’ils avaient été fabriqués sur commande pour un usage illicite, et non détournés à cet effet.

La plupart des composants chimiques de la méthamphétamine sont fabriqués en Chine, où l’industrie pharmaceutique (un secteur en plein essor) produit les substances chimiques qui servent à produire la version cristalline de la méthamphétamine — un produit d’une grande pureté appelé « ice », ou « crystal meth ».

D’après les données présentées au gouvernement chinois par l’UNGASS, les autorités auraient saisi 18 450 tonnes de précurseurs de crystal meth entre 2009 et 2015. Certains villages sont de véritables usines à méthamphétamine. En 2013, les autorités ont saisi 2,7 tonnes de méthamphétamine et plus de 90 tonnes de précurseurs à Boshe, un village au nord-est de Hong Kong.

« [Dans le cas] du crystal meth, la Chine semble être au premier rang [de la production], mais les Philippines et l’Indonésie produisent également des quantités importantes, et dans une certaine mesure, la Birmanie aussi », nous dit Douglas. « Mais au cours des dernières années, on a remarqué que quelques labos en Chine en produisent à échelle industrielle. »

D’après la DEA, les cartels mexicains produisent 90 pour cent de la méthamphétamine consommée aux États-Unis. La plupart des laboratoires artisanaux du Midwest américain ont dû cesser leurs opérations à cause des lois limitant l’accès aux médicaments contre la toux et le rhume contenant de la pseudoéphédrine — un précurseur utilisé dans la fabrication du crystal meth. Un produit d’une grande pureté produit dans les « super-laboratoires » mexicains à partir de produits chimiques fabriqués en Chine comble aujourd’hui ce vide.

Un policier aux Philippines tient dans ses mains du crystal meth d’une grande pureté — surnommé « shabu » — après une descente au sud de Manille en janvier 2014. (Photo par Dennis M. Sabangan/EPA)

En 2009, un homme d’affaires mexicain d’origine chinoise, Zhenli Ye Gon, a été arrêté lorsque la police a découvert 207 millions de dollars en argent liquide dans sa résidence à Mexico City. Ye Gong a par la suite admis avoir vendu des tonnes de précurseurs de méthamphétamine au Cartel de Sinaloa. Le cartel des Chevaliers du Temple envoie en Chine des quantités importantes de minerai de fer provenant d’exploitations illégales, contre des précurseurs chimiques. Et les fabricants de crystal meth sud-africains, eux, troquent apparemment des ormeaux de contrebande (très prisés en Chine) contre des précurseurs.

Les liens entre les groupes mexicains — en particulier le Cartel de Sinaloa — et les réseaux criminels asiatiques sont bien connus. Début 2015, un membre présumé du Cartel de Sinaloa nommé Horacio Hernandez Herrera a été arrêté à Manille, accusé par les autorités locales de vouloir s’implanter dans le marché local de la méthamphétamine. Peu de temps après l’arrestation de Herrera, la police aux Philippines a mis la main sur 84 kg de crystal meth haut de gamme, dit « shabu », d’une valeur de 9,4 millions de dollars. Elle a également arrêté trois suspects pour leurs liens présumés avec le Cartel de Sinaloa.

Mazzitelli, le représentant de l’UNODC au Mexique, explique que le Cartel de Sinaloa est également soupçonné d’avoir des liens avec des fabricants de méthamphétamine au Nigeria. Le mois dernier, les autorités à Asaba, au Nigeria, ont arrêté quatre Mexicains et démantelé un « super-laboratoire » capable de produire jusqu’à 3,6 tonnes de méthamphétamine par semaine.

Les membres du Cartel de Sinaloa « sont partout », dit Mazzitelli. « Ils sont capables de négocier avec des réseaux criminels nigérians, européens — ils approvisionnent tout le monde. Ce sont des hommes d’affaires. »

Il a ensuite comparé le cartel à une entreprise « multinationale », soulignant « l’esprit d’entreprise » des membres du Cartel de Sinaloa et leur « longueur d’avance au niveau technique » sur leurs concurrents.

« Au cours des 15 dernières années, ils ont fait du commerce illégal de la drogue un commerce mondial », a-t-il conclu. « Ils sont partout. Ils savent profiter de la mondialisation de la demande de drogues illicites. Ils sont capables de fournir n’importe quelle drogue, n’importe où. »


Suivez Keegan Hamilton sur Twitter: @keegan_hamilton

Cet article a d’abord été publié sur la version anglophone de VICE News

Suivez VICE News sur Twitter : @vicenewsFR

Likez la page de VICE News sur Facebook : VICE News FR

Regardez notre documentaire Le piège du Shabu : crystal meth et cartels aux Philippines