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Comment le kimchi a servi de levier politique pendant la guerre du Vietnam

Le kimchi connaît actuellement son heure de gloire à l’international. Cela fait bien entendu des milliers d’années que ce plat est populaire en Corée mais depuis ces derniers temps, cette denrée à base de chou fermenté est venue garnir les grilled cheese, les quésadillas et pratiquement tous les rayons de supermarchés aux États-Unis.

Mais la plupart des gens ne savent pas que dans les années 1960, le kimchi a connu une heure de gloire largement plus importante : il a servi de levier politique pendant la guerre du Vietnam.

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Bien que les États-Unis fournissent une aide stratégique et financière au Vietnam du Sud depuis le début des années 1950, le nombre de soldats envoyés sur le terrain augmente de manière significative tout au long de la première moitié des années 1960. Pendant cette période, d’autres puissances étrangères se joignent au combat, dont la Corée du Sud en 1965. Notamment à la demande du président américain Lyndon B. Johnson, les Sud-Coréens finissent par devenir la seconde plus grande force non vietnamienne de cette guerre, derrière les Américains.

Les gouvernements américains et sud-coréens restent alors en contact étroit pendant la guerre. Le 14 mars 1967, le Premier ministre de la Corée du Sud Chung Il-kwon rend visite au président Lyndon Johnson à la Maison-Blanche, et lui remet une lettre du président coréen Park Chung-hee. En plus d’autres sujets essentiels comme la modernisation des équipements militaires coréens, la lettre soulève ce que le président considère comme un problème clé freinant la participation de son pays à la guerre : la pénurie de kimchi.

Le Premier ministre Chung Il-kwon accorde même encore plus de poids aux préoccupations de son président exprimées dans la lettre, en confiant à Lyndon Johnson que le kimchi lui avait encore plus manqué que sa propre femme pendant son entraînement militaire aux États-Unis. Sans kimchi, dit-il, les troupes coréennes stationnées au Vietnam souffrent alors d’une dangereuse baisse de moral. Le président avait lui-même financé de sa poche l’envoi de kimchi à destination de ses troupes au cours du Noël précédent, mais il avait besoin de l’aide des États-Unis – une source clé en matière d’armes et de ravitaillement – pour mettre en place une infrastructure durable permettant de fournir du chou fermenté à des soldats coréens démunis. Le programme, d’après le Premier ministre, est censé coûter entre trois et quatre millions de dollars par an.

Dix jours plus tard, Lyndon Johnson lui répond avec une lettre où il écrit ceci :

« Je comprends parfaitement le désir de vos hommes sur le terrain de profiter d’une nourriture familière. C’est ainsi qu’il en a toujours été avec les soldats, tout au long de l’histoire. Par conséquent, j’ai demandé au secrétaire McNamara de trouver une solution avec vos officiels afin d’accéder à votre demande d’approvisionnement des forces coréennes en “kimchi”.

Ce n’est qu’après ces quelques phrases que la lettre s’occupe de traiter des hélicoptères et des armes à feu. En mai, le McNamara en question – le secrétaire à la Défense Robert McNamara – approuve un programme pour fournir les troupes coréennes en kimchi et en poivrons une fois par jour, pour un coût d’environ deux millions de dollars par an.

En décembre 1967, le Premier ministre australien Harold Holt disparait pendant une baignade et est présumé mort. Lors de ses funérailles à Canberra, les présidents américains et coréens se rencontrent et en profitent pour discuter du Vietnam ; Park Chung-hee ne perd alors pas de temps pour aborder le sujet du kimchi. D’après les notes issues de cette conversation, Lyndon Johnson a révélé que les bureaucrates de Washington lui avaient plus reproché cette histoire de kimchi que la guerre du Vietnam en elle-même, mais qu’il avait réussi à les convaincre. Le processus de mise en conserve aura beau retarder la livraison, les soldats pourront compter sur leur nourriture favorite au début des années 1968.

À cette époque, la guerre ne se déroule alors pas sans heurts pour la coalition entre le Vietnam du Sud, les États-Unis et leurs alliés. Pour ne rien arranger, l’opinion publique américaine vient de se retourner violemment contre la guerre ; après tout, cela arrivait tout juste quelques mois après le « Summer of Love », lorsque le mouvement hippie s’était en quelque sorte consolidé de manière formelle, avec l’opposition à la guerre comme principal point de ralliement. Lyndon Johnson estime qu’il a besoin de plus de troupes sur le terrain, mais il sait qu’il serait politiquement peu judicieux de faire appel à encore plus de jeunes Américains. Il imagine donc comme solution de demander des renforts auprès des pays alliés, et principalement la Corée du Sud. Le président américain profite donc de la conversation en Australie pour convaincre Park Chung-hee d’envoyer des dizaines de milliers de soldats supplémentaires – multipliant par deux la présence militaire coréenne au Vietnam – le plus vite possible.

Sans façon pour le président coréen, qui lui détaille les nombreux obstacles législatifs l’empêchant d’envoyer des renforts. D’après les notes officielles, son homologue américain lui a alors répondu que « c’est le travail d’un président de faire l’impossible ». Lyndon Johnson met le sujet du kimchi sur la table, pour lequel il s’était mis en quatre concernant son approvisionnement. Park lui répond qu’il y réfléchira.

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Le général Lee Sae Ho, officier supérieur coréen au Vietnam, fait ses adieux aux spectateurs vietnamiens brandissant des drapeaux sud-vietnamiens et coréens à l’aéroport de Tan Son Nhut en mars 1973. Photo de Bettman/CORBIS via Flickr.

Au cours des mois suivants, il semble quasiment certain que le président coréen enverra des renforts. Mais le 21 janvier, les choses se gâtent en Corée. Un groupe de 31 agents nord-coréens hautement entraînés se faufile à travers une clôture de la zone coréenne démilitarisée et se dirige vers la Maison Bleue – la résidence du président sud-coréen et de sa famille – pour tenter de décapiter le président Park Chung-hee et tuer sa famille et ses fonctionnaires. Bien que les Nord-Coréens ne réussissent pas à tuer le président, au moment de faire les comptes, 79 personnes ont trouvé la mort.

À la suite de ces tensions avec la Corée du Nord, la Corée du Nord ne se concentre plus du tout sur le Vietnam. Au moment de reprendre les négociations, la préoccupation du président coréen est de défendre son propre pays, conduisant à une réduction significative du nombre de soldats qu’il est prêt à envoyer. Mais peu importe. Ni l’oncle Sam et ni même les Coréens et leurs estomacs remplis de kimchi ne sont en mesure de vaincre le Vietcong. La guerre traîne pendant encore quelques années et le 30 avril 1975, il y a 43 ans, les derniers marines quittent Saigon à bord de leurs hélicoptères. Les États-Unis ont perdu.

Bien que l’utilisation du kimchi comme levier politique dans ces négociations concernant le Vietnam constitue un événement historique bien précis, les besoins des Coréens en kimchi hors de leur pays n’ont pas diminué. En 2008, quand Ko San devient le premier Sud-Coréen à aller dans l’espace, il emporte du kimchi avec lui ; ce kimchi est spécialement conçu pour l’espace, où les bactéries normalement impliquées dans la fermentation du chou peuvent éventuellement muter et causer des problèmes à bord d’un vaisseau spatial. Cette fois, cette nation asiatique aujourd’hui économiquement robuste n’a pas besoin de l’aide des États-Unis.

Alors que certains patriotes ne peuvent s’empêcher de critiquer la perte de domination des États-Unis sur la scène internationale, dans des cas comme celui-là, c’est en fait très certainement une bonne chose. Car le kimchi des Coréens est meilleur de toute façon.


Cet article a été initialement publié sur Munchies US.