Sports

Comment le Paris Basketball tente d’envoyer ses jeunes pépites en NBA

Paris Basketball NBA

Fin janvier, le grand cirque de la NBA venait poser son chapiteau et tout son barnum médiatique dans la capitale française. Pour la première fois, la ligue américaine proposait un match de saison régulière dans l’Hexagone entre les Milwaukee Bucks et les Charlotte Hornets, propulsant ainsi tous les regards des fans de la gonfle orange vers Bercy. Mais en détournant un peu la focale en direction de l’arrondissement voisin de l’Accor Hotel Arena, il était sans doute possible d’apercevoir un ou plusieurs futurs joueurs made in France de la grande ligue. Dans un gymnase un poil plus modeste, coincé au fond du 13ème arrondissement, une poignée de jeunes Français répétait leurs gammes avec dans un coin de leurs têtes l’idée bien ancrée de rejoindre sous peu Giannis Antetokounmpo, Nicolas Batum et compagnie de l’autre côté de la Seine, puis de l’Atlantique.

Si la connexion entre la ville de Paris et la grande ligue s’est ouverte il y a bientôt vingt ans avec un certain Tony Parker – joueur du feu PBR (Paris Basket Racing) avant d’être drafté par les Spurs de San Antonio – le nouveau club de la capitale, le Paris Basketball, compte bien la remettre au goût du jour sous l’impulsion de son propriétaire yankee, David Kahn. Ancien General Manager des Minnesota Timberwolves (dont le bilan ne restera pas dans les annales), Kahn le francophile est arrivé à Paris en 2018 avec l’idée de faire du « Paris Basketball un club réputé pour développer de très jeunes joueurs jusqu’au plus haut niveau – donc la NBA. « Nous pensons que les jeunes joueurs et leurs familles seront plus à l’aise à Paris que dans d’autres coins du monde », explique Kahn, dont le club qui évolue actuellement en PRO B offre de copieuses minutes à ses jeunes dans un championnat rude qui laisse pourtant peu de place à la jeunesse. Pour Kahn, la méthode parisienne va finir par payer, et vite. « Je suis persuadé qu’au moins deux de nos jeunes joueurs actuels – ou peut-être plus – atteindront la NBA », prophétise le proprio, plutôt sûr de son plan.

Videos by VICE

1582221422070-Photo-07-02-2020-20-53-37
De gauche à droite : Ismael Kamagate, Juhann Bégarin et Milan Barbitch. (Photo: Yoann Guerini/@lebougmelo)

Il faut dire qu’après sa première saison d’existence, le Paris Basketball (PB) est allé chercher cet été la crème des jeunes joueurs français. Au Centre Fédéral de l’INSEP (le CFBB pour les intimes, où sont passés entre autre Boris Diaw, Ronny Turiaf ou Evan Fournier), le PB a choisi Milan Barbitch (18 ans) et Juhann Bégarin (17 ans). Au centre de formation d’Orléans, c’est Ismael Kamagate (18 ans) et ses 2 mètres 11 qui ont été rapatriés à Paris, où il est né. S’ils ne se sont pas concertés pour se retrouver ensemble dans la capitale, les trois compères se connaissent depuis plusieurs années à l’occasion notamment des rassemblements des équipes de France U16 et U18. Ce trio de prospects prometteurs venait ainsi rejoindre le jeune joueur le plus en vue de la première saison du club, Sylvain Francisco (22 ans) – fin connaisseur de la filière américaine dont il a essuyé les plâtres.

« Quand je les ai vus arriver, je me suis senti vieux tout d’un coup », rembobine Francisco sur le parquet de la Halle Carpentier, le modeste antre du PB, face aux trois rookies. À leurs âges, le Sevranais était déjà parti de l’autre côté de l’Atlantique, où il ponçait les parquets des lycées de Floride. Celui qui a toujours été « un peu cainri dans sa tête » selon ses potes d’enfance, avait préféré s’exiler dans le Sunshine State plutôt que de rester en France, où les centres de formation ne voulaient de toute façon pas de lui – car jugé « trop petit ». Bien mal lui en a pris, puisqu’en trois ans, Francisco devient un des meilleurs meneurs de l’État et une petite star locale, se souvient son coach à la West Oaks Academy d’Orlando, Kenny Gillion. « À chaque fois qu’il marquait un trois points, il faisait un mouvement de tir à l’arc, si bien que tous les kids de Floride se sont mis à faire la même chose, et continuent de le faire d’ailleurs », se rappelle Gillion.

Aller jouer en NCAA – l’antichambre classique de la NBA – fait saliver celui qui a mis Sevran sur la carte du basket, une ville pourtant plutôt portée sur le foot.

Alors que les highlights de celui qu’on surnomme « Frenchi » se retrouvent rapidement sur YouTube – notamment un savoureux duel contre Kevin Knox, qui joue désormais aux Knicks de New York –, des offres d’universités américaines commencent à arriver dans sa boite aux lettres. Aller jouer en NCAA – l’antichambre classique de la NBA – fait saliver celui qui a mis Sevran sur la carte du basket, une ville pourtant plutôt portée sur le foot. Les universités du Texas, de Virginia ou surtout de Kansas State le veulent, mais le dossier scolaire bringuebalé entre la France et la Floride ne passe pas les rugueuses fourches caudines des facs américaines et la NCAA s’éloigne. Retour au bercail, à Levallois qui évolue en Jeep ELITE. Mais l’appel de l’Amérique est trop fort. À l’été 2018, il repart aux US à la recherche d’une place en G-League, la ligue de développement de la NBA. Nouvel échec. Grillé à Levallois pour ne pas s’être représenté à l’entraînement (à cause de son trip américain et vexé d’avoir vu le club recruter d’autres meneurs de jeu), le PB flaire la bonne affaire et récupère Francisco, qui compte désormais bien faire du club un marchepied pour regoûter aux joies du basket américain.

1582221471335-Photo-07-02-2020-21-35-19
Sylvain Francisco. (Photo: Yoann Guerini/@lebougmelo)

Si Francisco a été quelque peu contraint de s’exporter pour continuer sa formation, ses trois jeunes coéquipiers ont selon lui tout intérêt à rester au pays pour espérer se frayer un chemin vers la NBA. « Eux, ils sont dans le droit chemin. Équipe de France, Centre Fédéral, PRO B… », explique Francisco. « Beaucoup de jeunes français sont partis aux US pour aller jouer en high school ou à la fac pour finalement ne rien avoir derrière. » Il est vrai que l’immense majorité des Français draftés en NBA ont connu une formation cent pour cent française. Déjà à son époque, Tony Parker que les prestigieuses universités de UCLA et Georgia Tech essayaient de récupérer, avait préféré rester à Paris en Pro A.

À part Joakim Noah (passé par des lycées de New-York et l’université de Floride), les Français draftés ont un parcours pré-NBA qui ressemble fort à celui des jeunes pépites du PB. Le dernier Français drafté en date, Sekou Doumbouya choisi par les Detroit Pistons l’été dernier, était passé par le Centre Fédéral avant de venir grappiller des minutes à Poitiers (PRO B), puis à Limoges (Jeep ELITE). « C’est plus valorisé de rester en France », décrypte Juhann Bégarin, dont le nom pourrait bien être appelé dès le premier tour de la Draft 2021. « Les Français pris en NBA le sont pour leur formation et la façon dont ils jouent », embraye Bégarin, « donc il ne faut pas perdre ça en allant jouer aux US, où on mettrait de toute façon du temps à s’adapter et à récupérer du temps de jeu. » Un point de vue partagé par Kamagate et Barbitch qui ne se voyaient pas si jeunes quitter la région parisienne dont ils sont originaires. « J’ai vu pas mal de potes partir aux US et en revenir. Et aujourd’hui je ne sais même pas s’ils ont un club », se demande Kamagate. Autre argument de choix pour séduire les scouts – recruteurs en VF – américains, les rookies du PB se confrontent chaque semaine à des joueurs professionnels et plus âgés, alors que leurs homologues américains continuent de se frotter à des adolescents qui finissent seulement leur éducation secondaire.

« La première, c’est de réussir à leur faire comprendre qu’il y a un niveau moyen d’intensité, de discipline et de concentration en dessous duquel ils ne peuvent pas tomber. Parce que le problème de la jeunesse, c’est l’inconstance »

Mais pour montrer ce que l’on vaut, encore faut-il gagner la confiance de son coach dans un championnat de charognards, la PRO B, où les jeunes de 17 ou 18 ans avec du temps de jeu ne sont pas légion. « Je pense que j’ai été recruté pour ça, pour mettre des jeunes sur le parquet, » explique Jean-Christophe Prat, le coach du Paris Basketball, qui vient de la filière des centres de formation, donc plutôt habitué à gérer de jeunes ouailles. En revanche, il n’avait jamais coaché de si jeunes joueurs en pro. Ce qui demande forcément quelques ajustements. « Faire jouer des jeunes nécessite deux choses », décrypte Prat. « La première, c’est de réussir à leur faire comprendre qu’il y a un niveau moyen d’intensité, de discipline et de concentration en dessous duquel ils ne peuvent pas tomber. Parce que le problème de la jeunesse, c’est l’inconstance. Ils peuvent faire dix très très bonnes minutes suivies de dix minutes excessivement mauvaises. Ce qui nous amène au deuxième ajustement : faire accepter aux joueurs cadres, qui ne commettent plus ce type de maladresses, que l’on va donner une marge d’erreur aux jeunes joueurs. »

1582221507751-Photo-07-02-2020-20-53-32-1
Ismael Kamagate. (Photo: Yoann Guerini/@lebougmelo)

Heureusement, il semblerait que les trois rookies se soient vite adaptés au niveau réclamé par le coach puisqu’ils ont depuis intégré la rotation – ce qui n’était pas vraiment prévu en début de saison, notamment pour Kamagate et Barbitch. Ce qui ravit le coach dont le but est toujours le même : « On veut faire progresser nos joueurs pour qu’ils atteignent leur meilleur niveau. Donc si le potentiel d’un joueur est la NBA, et bien on fera tout notre possible pour qu’il l’atteigne. Ils peuvent avoir la tête dans les étoiles tant qu’ils ont les pieds dans les basiques chaque jour aux entraînements. » Si le coach parisien ne s’étonne pas outre mesure de la capacité d’adaptation de ses jeunes recrues, le gap entre la Nationale 3 (où évoluait Kamagate) ou la Nationale 1 (où œuvraient Barbitch et Bégarin) et la PRO B est pourtant non négligeable. Le père de Barbitch, Yann, ancien joueur professionnel et actuellement manager sportif de l’Équipe de France s’étonne encore « de voir Milan s’adapter si vite aux nouvelles exigences qu’on lui fixe. » Même son de cloche pour Arthur Oriol, le président du Basket Paris 14, le club où a commencé Kamagate, qui est impressionné par le « pas de géant » franchi par le gamin de la Porte de Vanves entre la N3 et la PRO B, où il tourne déjà à 15 minutes de temps de jeu de moyenne. Chez les Bégarin, où tout le monde vit basket, les capacités d’adaptation du petit dernier de la fratrie impressionnent, mais ne surprennent plus. Il faut dire qu’à ses 14 ans, Bégarin jouait déjà contre des seniors dans sa Guadeloupe natale.

Alors que le club n’a pas encore fêté son deuxième anniversaire, la méthode parisienne et ses rookies commencent à intéresser aux États-Unis. Fin janvier, l’expert scouting d’ESPN, Mike Schmitz, passait à l’entraînement du Paris Basketball pour observer les progrès des jeunes joueurs que Schmitz suit depuis plusieurs années. Lors des championnats d’Europe U16 et U18, l’expert ès-draft du média américain avait pu apprécier les qualités de Barbitch, Kamagaté et Bégarin. Si les deux premiers sont des projets à long terme dont leur évolution va dépendre des progrès réalisés au cours des deux ou trois prochaines années, Bégarin est déjà bien intégré au cursus le menant vers la NBA. Ces deux dernières années, le Guadeloupéen a participé au camp Basketball Without Borders, où la NBA et la FIBA invitent les meilleurs jeunes joueurs non-Américains à jouer devant des scouts NBA très attentifs aux talents internationaux. En 2019, Bégarin en a fini MVP, et cette année il s’est retrouvé dans la team All-Star lors du camp qui se tenait à Chicago en marge du All Star Game. Un autre scout, du média spécialisé The Stepien, Ignacio Rissotto, s’est aussi amouraché de Bégarin depuis un match contre l’Italie à l’Euro U16 de 2018. « Juhann combine longueur, explosivité verticale et vitesse, ce qui le rend très efficace quand le court s’ouvre à lui pour aller finir en force au panier », analyse Rissotto. « Et défensivement, il a tous les outils nécessaires pour défendre les positions périphériques en NBA. Il me rappelle un peu Hamidou Diallo qui joue à Oklahoma et qui doit comme Juhann développer son shoot et affiner ses prises de décisions. »

1582221533583-Photo-07-02-2020-21-33-58
Juhann Begarin. (Photo: Yoann Guerini/@lebougmelo)

Si la route est encore longue vers la NBA pour le jeune quartet parisien, les deux ou trois prochaines années pourraient bien venir valider le programme de développement de jeunes joueurs du Paris Basketball avec Bégarin en tête de proue et ainsi rouvrir la connexion entre la capitale et la ligue américaine. Reste en revanche à savoir si cette stratégie assise sur la jeunesse permettra au club de remplir ses objectifs à long terme, à savoir monter en Jeep ELITE – ce qui ne sera sans doute pas pour cette année – et dans un deuxième temps rejoindre l’élite européenne pour coller avec l’arrivée du club dans une salle digne de ce nom, construite dans le nord de Paris à l’occasion des Jeux Olympiques.

VICE France est aussi sur Twitter, Instagram, Facebook et sur Flipboard.