Les Alouettes de Montréal ont invité VICE à passer la saison 2018 au sein de l’équipe. Notre dossier spécial sur la culture du football est disponible ici.
Fabien Abejean est un des rares à pratiquer le métier de préparateur mental pour athlètes au Québec. À l’inverse du psychologue sportif, un préparateur mental suit d’abord une formation d’activité physique avant de se spécialiser en psychologie. La mission de Fabien est d’aider les athlètes à gérer leur stress dans le but d’optimiser leurs performances. Et préparateur mental, c’est d’abord un métier de terrain. « L’image qu’on se fait des longues séances sur des chaises en cuir, c’est pas tout à fait ça. Oui, parfois on rencontre les athlètes dans des séances traditionnelles du genre. Mais plus souvent qu’autrement, ça se passe sur le terrain, ou alors j’amène les athlètes jaser en longboard ou dans des galeries d’art. »
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L’objectif est de mettre l’athlète à son aise, dans un environnement plus dynamique que la petite pièce à la lumière tamisée, pour qu’il soit plus porté à s’ouvrir sur ses défis psychologiques.
Et le besoin est grand. Hugo Richard, quart-arrière pour le Rouge et Or de l’Université Laval, est porte-parole depuis sa création en janvier 2018 d’ISMÉA, qui vise à promouvoir la santé psychologique des athlètes étudiants. Hugo n’a pas eu personnellement recours à un service de préparateur mental, mais il sait qu’un grand nombre de ses coéquipiers en profitent. Même si, selon lui, certains athlètes n’oseraient pas parler de leur besoin de soutien psychologique avec leur entraîneur de peur d’avoir l’air vulnérable.
Combattre ce préjugé associé aux troubles de santé mentale, c’est une cause qui lui tient à cœur. « On perçoit les athlètes comme des armoires à glace, des personnes fortes physiquement et très bien encadrées. On ne voit pas ce qui se cache en dessous. On se pose pas de question sur leur santé mentale. Pourtant, plus j’avançais dans ma carrière, plus j’étais témoin du besoin criant en matière de soutien psychologique. »
Selon Fabien Abejean, le stress chez les athlètes est toujours généré par le même principe : le désir de bien faire.
Cette volonté s’accompagne nécessairement d’une certaine pression, qu’on se met soi-même, ou qui vient de l’extérieur. Et quand on est quart-arrière pour le Rouge et Or de l’Université Laval, équipe hautement médiatisée, on n’a pas besoin de chercher bien loin pour la trouver. « Il faut composer avec, admet Hugo. Mais pour ne pas perdre ta concentration, tu dois choisir où diriger ton attention. Après une série de défaites, tu peux pas te mettre à scruter sur les médias sociaux ce que tout le monde dit de toi. Tu dois pas t’attarder à l’opinion d’un fan au coin de la rue, qui ne joue aucun rôle dans ta préparation. »
Et lorsque l’équipe essuie une série de défaites, le stress se fait plus intense encore. « C’est difficile, je le cacherai pas, raconte Hugo. En 2015, après notre deuxième défaite en deux ans à la Coupe Dunsmore, j’ai eu une période creuse. Il ne faut pas négliger l’importance du soutien de l’entourage. T’as beau avoir des mots encourageants de tes coachs après une défaite, si tu arrives chez toi et que tes parents te tombent dessus, t’es pas plus avancé. Ça alimente un certain stress. »
Ce stress peut se manifester de façon physique – mains moites, cœur qui débat, vision trouble – ou psychologique, par l’anxiété. « Et il y a deux façons de réagir, explique Fabien. Soit on le bloque, soit on fait face. Mon rôle est d’aider l’athlète à se mettre en mode solution pour vivre son stress, c’est la première étape pour le diminuer. »
À long terme, une anxiété mal gérée peut entraîner des séquelles graves. « Si le stress perdure, ce n’est plus juste sur le terrain que les effets vont se faire ressentir, mais dans la vie en général. La passion qui unit l’athlète à son sport est mise en danger, et met en danger tous les autres aspects de sa vie. »
Les effets ne tardent pas à se faire sentir, même à court terme. « Typiquement, le champ de vision va se rétrécir. C’est un symptôme courant. Le corps sera plus tendu et la concentration sera réduite parce que le joueur entre dans en mode hyper analyse. »
Un piège dans lequel les joueurs de football risquent particulièrement de tomber, selon Fabien.
« La conclusion à laquelle on arrive souvent en jasant avec les athlètes, c’est que le stress nuit d’abord à leur concentration. C’est ce qui peut être le plus embêtant. Le football par exemple, c’est un sport de concentration, mais aussi un sport au rythme saccadé. Il y a des pauses à peu près au sept, huit secondes. C’est une arme à double tranchant, pour un joueur. »
Une sensation qu’Hugo connaît bien, d’autant plus qu’il évolue comme quart-arrière, un rôle particulièrement stratégique. « La gestion du temps et des pauses entre les jeux est primordiale. Il faut apprendre à développer une mémoire courte et passer au prochain jeu, et surtout être capable d’effacer l’erreur que tu viens de commettre. »
Si le niveau de stress est trop élevé, il poussera le joueur à réfléchir aux mauvaises choses, à porter son attention sur les mauvais détails, confirme Fabien. « Quand il y a une pause de vingt secondes entre chaque jeu, la prise d’information s’altère. Imaginez ça dans un contexte de pression, de spectateurs bruyants, dans un match extrêmement physique… »
L’aspect violent du jeu et la peur d’une blessure sont également des facteurs de stress, selon Hugo Richard. « On pense aussi à notre après-carrière. Est-ce qu’une blessure va raccourcir ma carrière? Il va se passer quoi après? Quand on revient d’une blessure, inévitablement, on y pense. »
De son côté, Fabien Abejean a remarqué que cette appréhension ne joue pas un si grand rôle chez la plupart des athlètes. « Cette peur du dernier jeu, celui qui va mettre fin à une carrière, à cause d’une blessure ou d’un contact trop violent, je ne l’observe pas vraiment, ni chez les footballeurs, ni chez les athlètes en général. Au contraire, dans des questionnaires que j’ai passés récemment, je dénotais une absence de peur. Je rencontre plus souvent des athlètes qui se plaisent dans un sentiment d’invincibilité. »
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Malgré cette sensation de puissance, dans une situation de retour de blessure, l’effet sur les performances se fait sentir. « Mais plus souvent qu’autrement, c’est un blocage psychologique plus que physiologique, précise Fabien. Mon exemple préféré, c’était quand je travaillais avec une athlète qui se disait physiquement incapable de descendre son genou à tel degré d’amplitude, à la suite d’une blessure. Mais on se disait, avec son entraîneur, que c’était peut-être parce qu’elle était stressée d’exécuter le mouvement. Donc on a joué, elle et moi. Elle devait plier un genou en même temps qu’elle attrapait un ballon que je lui lançais, tout en me disant la couleur du ballon… Et là, puisqu’elle était concentrée à une autre tâche, plutôt que d’avoir le focus sur son genou, son geste à repris sa forme initiale! J’ai eu l’air d’un magicien… Mais ce que ça démontre en fait, c’est que le stress, c’est possible de le déjouer. »