Culture

Comment les fanfictions sur Justin Bieber ont fait naître des vocations

Justin Bieber fanfiction

Il y a plus d’une dizaine d’années, en pleine puberté, j’étais impatiente de rentrer chez moi après chaque journée de cours, pour lire les nouveaux chapitres de fanfictions sur Skyblog

C’est comme ça que j’ai rencontré Candice et Kim, parce qu’on lisait les mêmes fanfictions… sur Justin Bieber. Ça peut paraître anecdotique, d’autant plus que ces relations virtuelles ont perduré plus d’une dizaine d’années. Pour mon seizième anniversaire, Candice avait même loué une camionnette avec des copines et avait débarqué en faisant un Paris-Liège, alors qu’on ne s’était jamais rencontrées IRL… Mais je m’égare. Pour revenir aux Skyblogs,  ces fameuses lectures nous ont marquées non pas seulement parce que ce sont des souvenirs d’adolescence mais bien parce qu’elles nous ont construites toutes les trois. Les fanfictions ont fait naître chez nous des vocations. Candice et Kim ont poursuivi l’écriture à travers les romans, je tente de devenir réalisatrice et scénariste

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Sous le pseudonyme de May Otto, Candice a publié en 2018 le tome 1 de Fragments, l’histoire de Rosanna, une jeune femme atteinte du syndrome de La Tourette et de sa difficulté à entrenir des relations. Quand je lui rappelle nos années sur Skyblog, Candice rit de gêne : « Je suis arrivée sur Skyblog quand j’avais 11 ans si je me souviens bien. D’abord pour des blogs classiques comme on avait tous ! C’était courant dans notre génération, c’était même quasi obligatoire d’en avoir un. Puis, ensuite est arrivé Juju [Justin Bieber, NDLR] et toute la hype autour de lui, et donc le début des fanfictions sur lui. Et j’ai suivi. Bien sûr que j’ai suivi. Ça me permettait de me sentir proche de lui, de nourrir mon imagination et de rencontrer des gens. »

Comme chacune d’entre nous, Kim a quant à elle débuté en tant que lectrice durant ses années collège. « Je suis arrivée sur Skyrock en 6eme j’imagine. Alors, comme pour Candice, au départ j’y étais pour avoir un blog personnel ou je postais des photos de moi avec des grosses franges horribles devant mes yeux, avec des citations telles que “Only god can judge me”,  je pleure ! Je m’en servais pour stalker mon crush du collège aussi. Un peu après, j’ai commencé à découvrir les fictions. Je me suis d’ailleurs souvenue qu’au tout début, je lisais des fictions spécial Sims – mais qui fait ça ? Genre la nana qui écrivait mettait des images de Sims et c’était ses personnages. » Par la suite, Kim a commencé les « blogs source », des blogs qui consistaient à partager l’actualité des stars. À l’époque, c’était notamment Vanessa Hudgens, Ashley Tisdale, le couple Vanessa/Zac Efron, puis Nina Dobrev, l’actrice de la série The Vampire Diaries.  « C’est à partir de là que petit à petit, je tombe sur les fanfictions. Je lis principalement celles sur Vanessa Hudgens et Zac Efron ou même Ashley [Tisdale] et Zac. Et enfin, la fameuse vague des fictions Justin Perfect Bieber – purée, on disait ça – arrive. Et c’est elles qui m’ont vraiment donné envie d’écrire. »

« L’impact a été considérable sur moi, pose Candice. Je passais des heures à imaginer des histoires (d’ailleurs j’ai encore un carnet à la maison avec toutes mes idées de fictions). La construction des phrases, la grammaire, l’orthographe, les dialogues… J’ai tout appris sur Skyrock avec les fanfics. Ç’a été ma meilleure école. Et si je n’avais pas eu ça, je n’aurais, je pense, jamais écrit. Du moins jamais aussi sérieusement. » Aujourd’hui, Candice continue à écrire ce qui est appelé la « New Romance », un genre littéraire qui met en scène les romances de personnages entre 18 et 30 ans qui ont souvent un passé tortueux. Et ça, c’est grâce aux skyblogs.  « Je dis toujours que ça fait 15 ans que j’écris. 15 ans que je bosse mon style. Parce que pour moi, Skyrock, c’était pas juste un divertissement. Avec Skyrock, je me rapprochais de mon rêve. Ma plume, ma façon de m’exprimer, d’imaginer les persos, de les décrire, tout ça vient de mon éducation skyrockienne. » Si pour Candice, les fanfictions ont été le fondement de son écriture actuelle, c’est parce que finalement, on écrivait la majorité du temps que des romances complètement saugrenues. Selon Blythe Robserson dans How to Date Men When You Hate Men, l’autrice explique que cette projection pour des jeunes adolescentes envers les boys band ou les “celibrity crushes” est saine car elle nous permet d’imaginer ce qu’on aime ou n’aime pas avant même d’avoir nos premières réelles relations amoureuses. Je vous jure que Justin Bieber était à la tête d’un cartel de drogue ou il était père de 3 enfants, grosso modo il n’était pas Justin Bieber. Il n’était qu’une image qu’on utilisait comme prétexte pour raconter une histoire d’amour. 

À une époque, l’attente semaine après semaine ou chaque mois des aventures fictives d’un Justin Bieber qui revenait vivre dans une petite ville pour retrouver l’anonymat en suivant les cours dans un lycée comme un ado comme les autres, qui tombait amoureux de cette fille invisible du fond de la classe, alors qu’il était convoité par tout le lycée, nous faisait frémir. 

Kim se rappelle : « Je me souviens de l’addiction que c’était. Petite anecdote, à l’époque ma mère avait coupé internet à la maison – je ne sais plus pourquoi – et la seule qui avait internet sur son téléphone coulissant c’était ma sœur. Je savais que plusieurs semaines étaient passées et que donc je devais avoir des chapitres à lire sur les différentes fictions que je lisais. J’avais donc supplié ma sœur de me prêter son tel pour une heure au moins pour pouvoir lire. C’était une question de vie ou de mort. Quand tu recevais un petit commentaire : Chapitre 15 de ‘JBLoveStory’ en ligne ! C’était la folie. »

On débriefait sur Twitter à chaque sortie de chapitre et à un moment donné, lire ne nous a plus suffi. Pour les adolescentes qu’on était, les fanfictions ont nourri de réelles ambitions et nous ont fait grandir très vite. L’idée de créer, d’écrire, d’imager des personnages nous permettaient d’élargir nos horizons. ​​

Candice le verbalise très bien : « Encore maintenant, alors que j’écris des romans, je sens bien la patte. Ça m’arrive d’ailleurs de relire des anciennes fanfics quand j’ai du temps juste pour retrouver ces impressions, par nostalgie et pour revenir “à la source”. Et je peux directement remarquer les écrivains qui ont écrit/lu des fanfics. Ça se sent, il y a une certaine rigueur dans l’écriture et dans le style qui est totalement différent des autres ! »

On avait entre 12 et 15 ans à l’époque et la lecture de ces fanfictions ont fait de nous les meilleures élèves en rédaction en cours de français, c’est sûr, mais au-delà de ça, comment une simple envie de nous échapper de la réalité en pleine crise d’adolescence a fait naître en nous une réelle envie de raconter des histoires des années plus tard. Kim me confie que l’écriture sur Skyblog lui a surtout donné confiance en elle. 

« C’est ma mère qui m’a communiqué le réflexe de lire et d’aimer le faire. L’écriture est venue après. Quand j’ai décidé d’écrire j’avais peur, et encore maintenant, parce que j’ai connu un petit “couac” dans ma scolarité en primaire”. Les absences répétées d’un professeur de français dans sa scolarité ont impacté son apprentissage sur les bases de grammaire, conjugaison et orthographe, impactant grandement sa scolarité. « C’est grâce à Skyrock que j’ai gagné en assurance dans le fait de pouvoir écrire. A force de bouffer des histoires, lire des livres que petit à petit j’ai soigné mes lacunes ». Grâce aux fanfictions, j’ai su que je pouvais vraiment faire ce que moi je voulais, que ça dépendait de personne d’autre que moi. Et finalement ça m’a impacté à une échelle bien plus large. Je réalise que j’ai tout osé sur Skyrock. Chose que je ne fais plus maintenant et que je cherche à retrouver. Cette audace, cette spontanéité et même ce culot, j’ai envie de dire, de t’exposer. De dire : écoutez, moi mon truc c’est ça ! »

L’une des baronnes à l’époque était Marina. Marina a 28 ans aujourd’hui. Ses fanfictions sur Justin Bieber cumulaient des milliers de lectures. Elle en a écrit trois : thanks–to–her en 2012, the-pact de 2012 à 2013 et love-of-a-father de 2012 à 2013 et ce jusqu’au bout – ce qui était impressionnant. Extrêmement impressionnant. Pour beaucoup d’entre nous, nos fanfictions demeuraient inachevées à jamais par manque de temps, d’inspiration ou peut-être de rigueur… Faut vraiment se dire que seule la passion guidait Marina et que chacune de ses fictions étaient composées d’environ cinquante chapitres. 

Très humble, Marina a conscience que ses écrits étaient énormément lus mais elle raconte aussi l’envers du décor de la violence sur internet : « C’était pas toujours simple. J’ai jamais ressenti de pression pour écrire ou bien pour publier quelque chose. En revanche, les commentaires désobligeants et méchants à mon égard m’ont fait beaucoup de peine. Ce que je ne comprenais pas, j’étais juste une fille normale qui écrivait sur internet. Qui tentait de faire partager sa passion. Aujourd’hui, je suis tellement fière d’avoir pu “toucher” autant de personnes. J’ai encore des lecteur·ices qui viennent me parler régulièrement sur les réseaux sociaux pour me dire qu’ils continuent de lire mes histoires et qu’ils continuent de les aimer. Et avec le recul, je comprends que ma confiance a commencé à se construire à ce moment-là.  »

Après la publication de The-Pact, Marina a connu quelques années difficiles et a temporairement laissé l’écriture de côté. Elle a aujourd’hui repris et cherche  à publier ses histoires qui, désormais, s’éloignent beaucoup de Justin Bieber : «La fanfiction ne m’inspire pas plus qu’un roman fictif. Je dirais même que c’est l’inverse. Inventer quelque chose de toutes pièces est beaucoup plus bénéfique pour mes histoires et le cheminement que je veux qu’elles aient. Savoir si écrire sur la base d’une personne existante est de l’inspiration ou un hommage… Je dirais que c’est un mélange des deux. »

En ce moment, Marina travaille sur une saga dystopique en six tomes. Les cinq premiers ont été écrits en à peine deux ans. Et tout est fictif, du pays, aux lois, aux personnages. « J’ai tenté d’envoyer le premier tome en maison édition et pour le moment, j’ai essuyé deux refus mais je ne vais pas lâcher prise, remet-elle. Après tout, il ne faut pas abandonner après seulement quelques échecs. Le premier refus m’a fait me remettre en question. Disons que la confiance s’est légèrement effritée à ce moment mais j’ai pris du recul. Il est difficile de se faire une place dans l’édition, surtout quand on est juste une petite auteure parmi tant d’autres. Mais j’ai bien l’intention de réussir et de vivre mon rêve. »

Pour en revenir aux commentaires négatifs sur les fanfictions de Marine, je me souviens que je lisais la fanfiction qui s’appelait trop-grosse-pour-lui. C’était l’histoire d’amour entre Avril et Justin, où il préférait garder cette relation cachée en raison du poids d’Avril. L’autrice Hannah m’avait particulièrement marqué. Elle disait « J’espère que cette fiction vous ouvrira les yeux , sur vous même et sur le monde qui vous entoure, beaucoup de gens souffrent de leur poids et d’être rejetés pour ça. » Elle avait été durement cyber-harcelée en raison de son histoire et de son poids. 

Quelque peu épargnées par la haine en ligne, Kim, Candice et moi sommes restées liées par l’écriture et l’amitié. Candice (qui a très souvent les bons mots) le résume bien : « J’ai l’impression qu’un lien spécial nous unit toutes, parce que déjà, ça serait compliqué de l’expliquer à quelqu’un qui ne l’a pas vécu, mais aussi parce que durant le collège – qui est tout de même une période compliquée où on se cherche constamment -, bah toutes les copines sur Skyrock permettaient d’en apprendre plus sur soi-même. Vous avez un peu été mes premières copines à qui je pouvais dire certaines choses et avec qui je pouvais partager une passion qui était moquée dans la réalité – aimer Justin Bieber c’était la honte et écrire/lire c’était chelou. »

J’ai si hâte de voir fleurir les histoires de mes copines en livre papier. Et s’il y a bien un truc que j’ai retenu de cette période fan de Justin Bieber c’est « Never Say Never »

J’ai vraiment terminé l’article comme ça ? Et bien oui, je l’ai terminé comme ça.

Xoxo

Zaza88 aka  Z@hЯäáAā

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