Sarah a rencontré celui qu’elle connaissait sous le nom de James Bell dans ses DM Twitter. Le mec s’est présenté à elle un jour de 2018 en lui demandant si elle possédait une wish list sur Amazon. « Toutes les poulettes de Twitter en ont une », lui avait-il écrit.
Bien que l’offre implicite ait été un peu abrupte, Sarah n’a pas été entièrement rebutée. Elle était, explique-t-elle maintenant, flattée par l’attention et le léger flirt de quelqu’un qu’elle trouvait, comme elle le dit, « franchement sexy ». Depuis des années, la jeune femme utilisait Twitter pour se faire des amis — des personnes qui sont devenues très importantes pour elle —, et l’idée de rencontrer un petit ami, ou du moins une amourette de cette façon lui semblait envisageable. Elle avait déjà interagi avec le compte de Bell sur Twitter avant l’apparition des DM, tout comme de nombreuses personnes qu’elle connaissait. En regardant leurs followers en commun, elle s’était dit que toutes ces meufs qui le suivaient étaient « des femmes remarquables, drôles et respectables. » Ça devait probablement être un type bien. Elle s’est donc créé une wish list sur Amazon et la lui a envoyée.
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Il existe d’autres femmes qui ont rencontré James Bell sur le net. Toutes les histoires qu’elles racontent à son sujet commencent de la même manière : par une communication inoffensive ou vaguement flirteuse, toujours engagée sur les réseaux sociaux. Les femmes qui ont interagi avec lui au cours des 19 dernières années — oui, 19 ans, nous y reviendrons un peu plus tard — affirment qu’il avait un certain don pour la conversation en ligne. Il était drôle mais discret, flatteur sans en faire trop, tout en leur laissant entendre qu’il menait une vie trépidante dans le marketing, la pub ou en tant qu’entrepreneur pour une société de cybersécurité, voyageant souvent de par le monde.
Sur Twitter, il interagissait avec un groupe de femmes intelligentes, jolies, drôles et orientées à gauche, dont certaines avaient une influence publique importante. Et il était lui-même très beau : les photos qu’il envoyait à ses crushs montraient un type aux cheveux épais et à la barbe de gendre idéal, en train de s’exhiber en chemise-cravate sur un cliché artistique en noir et blanc, posant avec des lunettes de soleil dans une ville quelconque, ou torse nu sur une plage, son bras tendu laissant voir une impressionnante musculature.
Au cours de ce qui allait devenir une relation en ligne de trois ans, l’homme que Sarah connaissait sous le nom de James lui aurait envoyé pas mal de cadeaux, pour un total de quelques centaines de dollars. Le véritable investissement, de son côté en tout cas, se comptabilisait en temps et en émotions. Ils passaient des heures au téléphone tous les soirs, à jouer des scènes de sexe imaginaires et à parler de choses très personnelles. Bell inventait toujours des raisons pour ne pas communiquer par chat vidéo, et cela convenait assez bien à Sarah ; elle n’était pas sûre de son apparence et était plus à l’aise par texto. (Sarah est son vrai prénom. Nous ne divulguons pas son nom complet pour protéger sa vie privée et sa sécurité).
« Plus d’une fois, il m’a gâché mes premiers rendez-vous en canardant mon téléphone de messages et en étant hyper agressif. Il considérait que c’était une trahison »
D’autres bizarreries ont commencé à faire leur apparition : James ne permettait pas à Sarah de le suivre sur son compte Instagram privé, n’envoyait aucune photo de lui et restait étrangement secret sur d’innombrables autres aspects de sa vie.
D’après ses dires, il se rendait souvent dans le Nord-ouest du Pacifique, la région de Sarah. En 2019, il lui a dit qu’il serait bientôt en ville et qu’il en profiterait pour lui rendre visite. Mais peu de temps avant sa visite, Sarah rapporte que James aurait volontairement provoqué une dispute, et la rencontre n’a pas eu lieu. Plus tard, elle a commencé à penser qu’il n’était jamais venu en ville du tout.
La dynamique a rapidement commencé à devenir plus tendue.
« À aucun moment, je n’ai eu l’illusion d’être sa petite amie et d’être dans une relation exclusive », nous confie Sarah ; James, ajoute-t-elle, a clairement indiqué qu’il ne voulait pas d’une relation à distance. À plusieurs reprises, elle a « atteint son point de rupture », comme elle dit, et a essayé de rompre avec lui, en lui disant que leurs interactions l’empêchaient de trouver un partenaire plus proche de chez elle.
« Il acceptait et nous arrêtions de nous parler pendant quelques jours, voire une semaine, puis il revenait à l’assaut, essayait de m’appeler, de flirter avec moi, et je le laissais faire », raconte Sarah. Leur pause la plus longue a duré six mois. Les disputes et les périodes de silence, dit-elle, « sont arrivées une vingtaine de fois. À plusieurs reprises, j’ai essayé de m’éloigner et il ne l’acceptait pas ». Si elle était jalouse ou agacée qu’il flirte avec une autre femme sur Twitter, il lui répondait qu’ils n’étaient pas en couple et qu’il pouvait faire ce qu’il voulait.
« Alors je me trouvais quelqu’un avec qui sortir et il devenait dingue », raconte Sarah. « Plus d’une fois, il m’a gâché mes premiers rendez-vous en canardant mon téléphone de messages et en étant hyper agressif. Il considérait que c’était une trahison ».
Elle a finalement décidé de mettre un terme définitif à cette étrange non-relation en avril 2021, après une grave violation des limites sexuelles qu’elle avait énoncées. Elle nous raconte qu’elle avait l’habitude de s’endormir au téléphone avec Bell encore en ligne. Une nuit, après l’avoir fait, elle s’est réveillée et l’a entendu faire quelque chose qu’elle lui avait déjà demandé à plusieurs reprises de ne pas faire : psalmodier des fantasmes incestueux explicites sur elle et ses frères et sœurs.
« Pendant des années, je lui avais demandé de ne pas faire ça », dit-elle. « Je lui avais clairement dit que ça me mettait mal à l’aise et que je ne consentais pas à ce genre de chose avec lui. Il a continué. J’ai réalisé ce matin-là qu’il n’allait jamais arrêter de le faire. » Elle a raccroché le téléphone.
Ils se sont immédiatement disputés par texto au sujet de l’incident, puis, au cours des jours suivants, les choses ont empiré de façon extrême. Sarah allègue que James l’a inondée d’injures par texto à partir d’un nouveau numéro de téléphone, puis, quelques jours plus tard, qu’il aurait commenté son compte Instagram en mentionnant son nom légal complet — qui n’était pas indiqué sur le profil de Sarah — et le pseudo qu’elle avait utilisé sur un forum de jeux vidéo pendant des années.
« Ça voulait dire qu’il avait fait des recherches sur moi et ça m’a mise à bout de nerfs », explique Sarah.
James lui a rapidement envoyé un SMS pour lui dire que son adresse, son numéro de téléphone et des nudes provenant d’un OnlyFans qu’elle avait créé avaient fuité et circulaient sur un forum. Il a refusé de lui dire de quel forum il s’agissait, une situation qui lui a « fait extrêmement peur », dit-elle.
Lorsqu’elle s’est suffisamment calmée pour examiner la situation d’un œil critique, Sarah a réalisé qu’il était pratiquement impossible que ses nudes circulent ou qu’elle soit victime d’un doxing, et que si quelqu’un l’avait fait, c’était probablement James lui-même. Elle a pris une minute pour se ressaisir et lui a dit, comme elle s’en souvient, « Je suis désolée que tu te sentes obligé d’agir comme un mutant du Gamergate envers les femmes qui te rejettent ». Elle a ensuite bloqué son numéro Google, supprimé le commentaire à l’origine de ce doxing et est retournée au travail.
La situation s’est encore aggravée. James a commencé à lui envoyer des e-mails au boulot — bien qu’elle ne lui ait jamais dit le nom de la boîte pour laquelle elle bossait — et a laissé entendre qu’il dirait à sa famille, à ses amis et à ses collègues qu’elle était une fétichiste de l’inceste, ce qui n’était pas le cas.
La situation avait commencé à dégénérer un jeudi, et le samedi, Sarah savait déjà qu’elle n’était pas la seule. Terrifiée et stressée, elle avait bloqué Bell de Twitter et avait commencé à tweeter sur ce qui lui arrivait. C’est comme ça que les autres femmes l’ont trouvée.
Entre 2003 et aujourd’hui, au moins dix femmes ont rapporté avoir eu des interactions similaires avec une personne qu’elles connaissaient sous le nom de James Bell, James Richard, James Bee, Henry Pollard ou, dans un cas, James Santiago Richard (aucune autre personne portant ces noms légaux n’est accusée d’avoir participé au harcèlement ; il s’agit, selon les femmes, de pseudonymes utilisés par une seule et même personne). Pour sa part, l’homme qu’elles ont connu sous le nom de James Bell prétend que c’est son nom légal, bien qu’il y ait des raisons d’en douter).
Ces femmes n’avaient pas toutes une relation amoureuse platonique avec Bell. Certaines travailleuses du sexe ne le connaissaient que comme potentiel client, un type qui leur proposait d’acheter leur contenu. Mais quelle que soit la manière dont elles l’ont rencontré, dans chacune de ces histoires, toutes disent que la situation a dégénéré de manière effrayante, Bell leur envoyant une série d’insultes et de messages inappropriés, menaçant de publier des photos intimes d’elles, ou les menaçant de contacter leurs familles et leurs lieux de travail respectifs pour partager des détails embarrassants sur leur vie sexuelle. Dans certains cas, des photos intimes de ces femmes se sont retrouvées sur des forums anonymes après que leur relation avec le type ait dégénéré.
Bell leur envoyait des SMS pour les informer que leurs photos explicites avaient été divulguées sur le net, disent-elles, en fournissant souvent à titre de preuve des liens ou des captures d’écran. À chaque fois, il disait que quelqu’un d’autre avait divulgué les photos et qu’il était simplement tombé dessus par hasard, désirant avant tout les prévenir. Selon elles, c’était une façon d’être témoin de leur douleur et de se placer en héros prêt à intervenir pour les aider. (Les femmes ont précisé qu’elles n’avaient pas de preuve directe que c’était bien lui qui avait publié leurs photos intimes, mais dans plusieurs cas, Bell était la seule personne, ou l’une des seules personnes, à avoir eu accès à une photo spécifique avant qu’elle ne soit mise en ligne — et il était pratiquement toujours la personne qui les prévenait que leurs photos avaient été divulguées).
Les femmes affirment qu’il aurait également créé des dizaines voire des centaines de faux comptes sur un nombre absurde de plateformes pour poursuivre son harcèlement ou surveiller ses victimes, y compris sur des sites inhabituels comme Duolingo, Venmo et même Animal Crossing.
Certaines, comme Sarah, ont dû prendre des mesures extrêmes pour assurer leur sécurité : déménager, changer de numéro de téléphone, quitter les réseaux sociaux. D’autres ont dû avoir des conversations horriblement gênantes avec leur famille, leurs collègues ou leur patron. D’après elles, Bell les aurait menacées d’envoyer des photos ou des conversations explicites à leur employeur dans le but de les faire licencier. (Presque tous les États américains possèdent une loi contre le revenge porn, et ces lois couvriraient apparemment au moins une partie du comportement présumé de Bell. Cependant, ces lois placent pratiquement toutes ce type de comportement dans la case des infractions, plutôt que de les considérer comme quelque chose de plus grave, et les experts en revenge porn soutiennent que ces lois sont appliquées de manière incohérente).
L’identité de Bell n’est pas vraiment un mystère. Plusieurs femmes ont déclaré qu’au terme d’une enquête approfondie sur Internet, et avant même d’apprendre l’existence d’autres victimes, elles avaient identifié la même personne que l’homme qu’elles accusent d’être leur bourreau, celui qui se cache derrière la façade de James Bell. Deux femmes l’ont même poursuivi au tribunal civil, obtenant d’importants jugements par défaut lorsque l’homme n’a pas répondu aux poursuites. Son nom de naissance est Santiago Librado Belandres, il est âgé de 39 ans et basé en Californie du Sud ; les archives judiciaires et publiques montrent qu’il a vécu dans le comté de San Bernardino pratiquement toute sa vie. (Bien que Belandres affirme avoir légalement changé son nom en James Bell, les dossiers publics et les membres de sa famille qui l’appellent « Santiago » sur les réseaux sociaux suggèrent que ce n’est peut-être pas le cas.) Il a toujours dit à ses victimes avoir une formation en cybersécurité et, bien que cela puisse être véridique, le mec n’a pas une très grande présence en ligne et il ne semble pas y avoir de photos récentes de lui. Et, comme ses victimes l’ont rapidement constaté, il a laissé plus d’indices que nécessaire pour les conduire à sa porte métaphorique.
Lorsque nous l’avons contacté pour recueillir ses commentaires, Belandres a catégoriquement nié s’être livré à du harcèlement, avoir publié des photos intimes en ligne à des fins de représailles ou avoir commis toute autre faute dont ces femmes l’accusent. La seule chose dont il soit coupable, a-t-il confié à VICE, c’est d’avoir envoyé un peu trop d’e-mails après les ruptures de ces relations en ligne.
Les femmes nous ont affirmé que le fait de l’avoir retrouvé a contribué à renforcer leurs liens mutuels. Elles ont formé un réseau de soutien émotionnel et financier, et ont collecté près de 43 000 dollars pour financer des poursuites judiciaires, des demandes d’ordonnance de restriction, la mise à niveau des systèmes de sécurité et d’autres frais juridiques et de sécurité. (Sarah a créé le GoFundMe sous le nom de « Sarah Everett », qui est aussi un pseudonyme).
Aujourd’hui, ces femmes sont à la recherche d’autres victimes potentielles, qui ne savent peut-être pas qu’elles font partie d’un ensemble plus vaste de victimes de harcèlement et d’abus en ligne.
« Je sais qu’il y a d’autres filles », déclare Sarah. « Je sais qu’il y a beaucoup plus de personnes qui ont eu des démêlés avec ce type, et je sais que beaucoup de ces femmes ont subi un stress incroyable, de l’anxiété, et ont vu leur vie quotidienne anéantie par la peur. »
Elle pousse un profond soupir.
« Je sais qu’il existe d’autres filles qui ont vécu ça et qui vivent encore ça actuellement », dit-elle enfin. « J’aimerais les trouver et leur faire savoir que nous sommes toutes là pour elles. Je veux être capable de leur faire comprendre qu’elles ne sont pas seules. »
Pour réaliser ce reportage, VICE s’est entretenu avec huit femmes qui disent avoir été victimes de Belandres et a examiné des dossiers judiciaires, des mails, une série de comptes Twitter qui, selon ces femmes, sont liés à la même personne, ainsi que des traces et des empreintes numériques laissées dans des dossiers publics, sur des réseaux sociaux et des forums en ligne. Nous avons également été en contact avec une neuvième femme, qui a vendu des nudes à Belandres et a ensuite coupé toute communication avec lui après avoir trouvé ses demandes trop envahissantes. Cependant, elle n’a pas subi les mêmes expériences de harcèlement que les autres femmes.
Nous nous sommes aussi entretenus avec Santiago Belandres, qui a confirmé être James Bell et a insisté, longuement, sur le fait qu’il était la véritable victime. Selon les registres publics, il vit toujours dans le comté rural de San Bernardino avec ses parents et d’autres membres de sa famille également liés à cette adresse. Nous avons contacté par téléphone et par e-mail plusieurs comptes à partir desquels des femmes avaient reçu des messages, et nous avons reçu nos réponses en provenance d’une de ces adresses mail. (Le nom figurant sur ce compte est « James B. »).
Belandres affirme qu’il a légalement changé son nom en « James Bell » en 2012 afin de faciliter sa recherche d’emploi, et qu’il ne s’agissait en aucun cas de couverture lorsqu’il utilisait ce nom dans ses relations en ligne. Il affirme également vivre maintenant à San Diego. (Les archives publiques ne montrent aucune indication légale de changement de nom ou de domicile, et il a refusé de nous mettre en contact avec quiconque pourrait confirmer ces affirmations ou nous fournir des preuves administratives ; un membre de sa famille proche contacté par VICE n’a pas répondu). Il était prêt à aborder pratiquement tous les aspects de cette histoire et la plupart des questions que nous lui avons posées, mais il a refusé de nous dire comment il gagnait sa vie.
« J’ai l’impression qu’il serait facile pour elles de contacter mon travail », a-t-il dit à propos de ses accusatrices.
Belandres a contesté de nombreux détails liés aux interactions qu’il a eues avec les femmes qui l’accusent aujourd’hui de harcèlement ; il nie par exemple avoir publié des photos ou d’autres informations personnelles sur le net, ou encore d’avoir contacté leurs famille, amis ou collègues. (« J’espère au moins que vous indiquerez clairement que je nie avoir envoyé des messages à la famille ou aux amis de qui que ce soit, et que je n’ai encore vu personne en fournir la preuve », nous a-t-il écrit dans un mail, peu avant la publication de cet article). Mais il a reconnu avoir eu des relations en ligne avec plusieurs de ces femmes, relations qui se sont mal terminées. La situation, dit-il, est « un énorme bordel », qui lui a valu d’être harcelé par les femmes elles-mêmes et par leurs nombreux défenseurs anonymes qui se sont rassemblés sur Internet.
« Ma famille, mes amis et mes collègues continuent d’être harcelés par ces femmes et leurs amis depuis maintenant deux ans », nous écrivait-il dans notre premier échange par mail. « J’ai signalé ce harcèlement, les menaces et leurs tentatives de chantage et d’extorsion à la police du comté de San Diego, et on m’a dit de laisser couler et de ne surtout pas leur répondre. » (Sarah répond : « Accuser les victimes de l’exact comportement perpétré par l’agresseur lui-même est une tactique reconnue des harceleurs, y compris les cyberharceleurs, pour se placer en victimes. Deux tribunaux différents ont statué en faveur de deux victimes différentes. S’il est préoccupé par les fausses allégations, il devrait en faire part au juge. »)
Belandres n’a pas fourni de documents prouvant qu’il aurait rapporté les faits dans le comté de San Diego, et le bureau du shérif du comté de San Diego n’a trouvé aucun document répondant à notre demande. (Juste avant la publication de cet article, Belandres a déclaré avoir en fait déposé le rapport à Oceanside, une ville du comté de San Diego. Il a également déclaré qu’il allait « déposer aujourd’hui un rapport sur Sarah [X] et ses amis/collègues de Twitter »).
Bien sûr, il se peut que la tenue des dossiers de la police ne soit pas toujours parfaite, et Belandres dit avoir choisi de les dénoncer, mais de ne pas porter plainte. « J’ai dit à la police que je n’étais pas certain de vouloir attirer des ennuis à qui que ce soit et que je voulais simplement que le cyberharcèlement et les menaces en ligne dont je faisais l’objet soient documentés, au cas où il arriverait quelque chose », nous a-t-il écrit dans un mail. (Selon l’une des femmes qui l’accusent de harcèlement, alors que son comportement abusif avait commencé à s’intensifier, « il m’a laissé un message vocal dans lequel il prétendait être devant le poste de police de San Diego pour aller me dénoncer ». Elle affirme ne jamais l’avoir harcelé, ni maintenant ni à l’époque).
En cherchant sur Google l’adresse mail utilisée par Belandres pour communiquer avec nous, nous avons obtenu deux résultats. L’un menait à un site de récupération de données en ligne identifiant cette adresse comme étant le « propriétaire » d’un site web utilisé pour harceler une précédente victime. (L’URL était le nom de cette femme suivi de « .com ».) Le site, aujourd’hui inactif, mais toujours consultable sur Internet Archive, affichait des messages privés et d’autres informations sur cette femme.
Belandres a déclaré n’avoir jamais harcelé personne ni publié de nudes. Il a également contesté avoir utilisé des sites comme Venmo ou Animal Crossing pour harceler qui que ce soit. « Je ne sais même pas comment je pourrais harceler quelqu’un sur Animal Crossing. On ne peut pas envoyer de messages à une personne si elle ne fait pas partie de nos amis ». (La femme avec qui il jouait à Animal Crossing nous a dit qu’après leur rupture, il surveillait de manière obsessionnelle son comportement dans le jeu, lui envoyant des dizaines d’e-mails pour l’accuser d’y rencontrer des hommes dans un but sexuel, et qu’il aurait eu un comportement similaire sur Duolingo ; elle dit l’avoir bloqué sur les deux applications et s’être finalement résignée à supprimer entièrement son Duolingo. Elle a fourni des captures d’écran de SMS et d’e-mails évoquant ces applications et sa soi-disant trahison sur Animal Crossing et Duolingo).
« Je n’ai jamais doxé personne », nous a déclaré Belandres lors d’une conversation téléphonique. « Je n’ai jamais publié les informations personnelles de quelqu’un. Je n’ai jamais publié le numéro de téléphone de quelqu’un. Pas d’adresses, pas de numéros de téléphone. C’est aller trop loin. Même le fait de leur envoyer des e-mails une douzaine de fois, 20, 30 fois, une fois par jour, ce n’est pas acceptable. J’admets l’avoir fait. Mais c’est difficile quand on est harcelé ».
Belandres prétend que ses ex-partenaires ont publié ses informations en ligne, ce qui lui a valu, ainsi qu’aux membres de sa famille, une montagne de spams ; il a spécifiquement accusé Sarah d’avoir publié son adresse mail pour inciter au harcèlement contre lui. Il a également affirmé que sa mère avait été harcelée sur Facebook, recevant des messages à son sujet, ce qui aurait complètement dérouté et effrayé sa génitrice. « C’est dépasser les limites », nous a-t-il dit. « Ce n’est absolument pas OK. »
« Sans vouloir m’apitoyer sur mon sort, j’ai moi aussi l’impression d’être une victime »
Comme preuve, Belandres nous a fourni plusieurs échanges d’e-mails entre lui et des personnes utilisant des adresses qui sont de toute évidence des adresses à usage unique. Mais ces e-mails montrent aussi qu’il a clairement menacé de contacter leurs familles et leurs employeurs, ce qu’il avait dit n’avoir jamais fait.
« Certaines d’entre elles prétendent que j’ai contacté leurs employeurs, leurs amis et leur famille », nous avait-il dit lors de notre entretien par téléphone. « Je ne l’ai jamais fait. Je continue à voir apparaitre ce mensonge en ligne, dans leurs tweets ou leurs messages. Elles disent que j’ai contacté leurs employeurs et leurs amis. Je jure que je n’ai jamais fait ça. Aussi mauvaises et malavisées que soient les choses que j’ai faites, pour moi, c’est impensable d’impliquer d’autres personnes. Je peux admettre que c’est un merdier et que c’est surtout ma faute si j’ai envoyé sans relâche des messages à ces femmes en leur disant “Dis à tes potes de me laisser tranquille” [ou] “Tu m’as menti”, mais je n’ai jamais contacté leurs amis, familles, ou employeurs. »
Dans un mail, quelqu’un se faisant appeler « Game 7 » dit à Belandres qu’il est « a piece of shit ». En réponse, Belandres a écrit ceci : « Sarah divulgue maintenant mon adresse mail pour que ses amis mutants puissent me harceler ? Je vais de ce pas contacter ses boss à ce sujet, merci de lui avoir rendu les choses encore pires, espèce de sac à merde. » (Il est, bien sûr, parfaitement possible que Belandres ait proféré ces menaces dans l’espoir que ces expéditeurs d’e-mails le laissent tranquille, et qu’il n’y ait jamais donné suite.) Dans un autre message, quelqu’un se faisant appeler « Dexterity Roll » lui dit : « Tu as trop tardé à rendre tes comptes privés, je vais maintenant envoyer un message à tous ceux qui te suivent ».
« Voici quelques-uns de la vingtaine de mails que j’ai reçus après le doxing de mes informations par Sarah », nous a dit Belandres dans un mail. « Un tas de gars m’ont envoyé des e-mails à propos de Sarah, pendant des semaines entières. Ils pensent que Protonmail est anonyme, mais ce n’est que crypté, ils gardent des traces de connexion, donc ils peuvent être retrouvés, surtout ceux qui m’ont ouvertement menacé. » Belandres nous a également fourni des captures d’écran d’un numéro de téléphone lui ayant envoyé à plusieurs reprises des textos « Hey, comment ça va ? », qu’il a pris pour une autre tentative de harcèlement en provenance d’une personne liée à ces femmes.
Les femmes interrogées pour cette histoire contestent les allégations de harcèlement de Belandres. « Il affirme ce genre de trucs depuis qu’il a commencé à me harceler, depuis le tout début », nous dit Sarah dans un mail. « Je n’ai jamais publié ses informations sur Internet — ni ses numéros de téléphone ni l’adresse e-mail que je sais qu’il utilise, rien. Je n’ai jamais envoyé de followers ou d’amis ou qui que ce soit pour qu’ils se “liguent contre lui”. J’ai dû dire non à certaines personnes qui me demandaient de publier ses informations et de révéler son nom complet, parce que je ne voulais absolument pas que ses propres affabulations à ce sujet soient tenues pour vraies. »
D’après Sarah, Belandres lui aurait transmis une chaîne de mails entre lui-même et quelqu’un qui, selon lui, le harcelait au nom de Sarah ; on y voit l’expéditeur anonyme demander « Qu’est-ce qu’elle a fait ? » en faisant référence à Sarah, et prétendre faussement être son patron. Belandres répond en menaçant d’envoyer un courriel à sa famille et à ses collègues.
« Si vous êtes vraiment son patron, vous allez recevoir mes e-mails concernant ses textos injurieux et la publication illégale de mes informations en ligne afin d’inciter les gens à me harceler, ce que je vais signaler à la police dans la journée », peut-on lire dans l’un de ses mails du 17 avril 2021. « Puisque tu continues à répondre, j’ajoute trois autres collègues à ces mails, juste pour être sûr, parce que je pense que nous savons tous les deux que tu n’es rien d’autre qu’un de ces fuck boy loser de son twitter. Transmets à Sarah que j’envoie aussi des messages à ses [frères et sœurs] à propos de trucs perso qui expliquent pourquoi c’est une sale merde, ainsi qu’aux personnes qui la reconnaissent grâce à son Onlyfans. »
« Il n’est pas illégal d’envoyer des messages aux collègues ou à l’employeur d’une personne au sujet de son comportement abusif et illégal », lui a écrit Belandres dans un autre mail. « Fais savoir à Sarah que tu as plus que doublé le nombre de personnes à qui je compte envoyer des messages, je suis sûr qu’elle sera fière de toi. »
Sarah en est venue à se demander si Belandres n’avait pas lui-même monté cet échange de toute pièce. D’une part parce que les horodatages montrent que la durée qui sépare les e-mails n’est que d’une minute environ, ce qui est peu probable, et d’autre part parce que certaines des affirmations ne concordent pas. Par exemple, l’auteur du mail anonyme affirme avoir fait une capture d’écran de toutes les personnes que Belandres suivait sur Instagram. Mais depuis que Sarah et Belandres se connaissent, son compte Instagram a toujours été privé, ce qui signifie que personne n’aurait pu voir sa liste de followers.
« Regarde les idiots que tu as envoyés pour me harceler lmao », a écrit Belandres à Sarah lorsqu’il lui a transmis l’e-mail. « QUEL PUTAIN DE CON. Et toi qui es assez stupide pour envoyer ces crétins au mini-cerveau me harceler, je suis vraiment déçu. »
VICE a contacté un membre de la famille de Belandres sur Facebook pour s’enquérir des allégations de harcèlement à leur encontre, mais nous n’avons jamais eu de réponse. (Belandres nous a confié par la suite que ce proche avait été bouleversé par notre message, et qu’il avait déjà cessé d’utiliser Facebook depuis un moment à cause du harcèlement de l’un de ses ex-partenaires.) Nous avons également demandé à Belandres de nous mettre en contact avec quelqu’un qui pourrait vérifier que sa famille a bien été la cible de harcèlement, mais il ne l’a pas fait. Néanmoins, il a déclaré que sa famille avait été fortement touchée et qu’il voulait qu’on la laisse tranquille.
« Ça fait deux ans que ça dure », nous a dit Belandres à un moment donné. « Je ne veux pas m’apitoyer sur mon sort, mais je me considère moi aussi comme une victime. »
Le premier cas documenté d’une femme accusant Belandres de harcèlement après une rupture se situe vers 2003. Une Canadienne que nous appellerons « Laurie » affirme qu’elle et un certain Santiago Belandres ont commencé à discuter en ligne cette année-là, alors qu’elle avait environ 15 ans et lui 21 ou 22 ans. Ils se sont parlé, dit-elle, sur plusieurs sites, dont un appelé The Dilly (une sorte de précurseur de Facebook), puis sur MySpace. Belandres possédait également des profils sur LiveJournal, un site de type « Hot or Not » appelé VoteMeOff, et un site appelé RealPics, où les utilisateurs postaient des photos d’eux-mêmes avec leur vrai nom.
« Il utilisait des pseudos, mais dans nos discussions en ligne, il se faisait appeler Santiago », raconte Laurie. Il a fini par lui communiquer son nom de famille et sa date de naissance. À l’époque, il était en train de devenir une microcélébrité dans une certaine sphère Internet. « Sur toutes ces plateformes, il y avait des gens qui le connaissaient et l’appréciaient. Il avait une forte présence en ligne, reconnue. J’avais une certaine confiance en lui puisque je savais qu’il avait déjà toutes ces relations et amitiés. »
À l’époque, Laurie dit qu’elle était aux prises avec ce qu’elle appelle « une vie familiale compliquée ».
« J’utilisais ces sites web comme un moyen de me défouler, d’oublier », dit-elle. « Il a commencé à m’envoyer des messages. Je lui parlais du fait que j’étais déprimée ou que je faisais face à des pensées suicidaires, des choses comme ça. »
Laurie affirme que Belandres était « bien conscient » du fait qu’elle était mineure. « Il savait que je vivais avec ma famille et que je traversais une période difficile ». Il a commencé à lui envoyer des messages sur MSN Messenger, et environ sept mois plus tard, les discussions sont devenues sexuelles, couplées à une pluie de cadeaux (Laurie a fourni des captures d’écran à VICE, montrant des reçus et des notifications e-mail pour les colis qu’il lui a envoyés).
Pour Belandres, Laurie n’avait pas 15 ans au moment où ils ont commencé à discuter. « Cette fille avait 17 ans. Elle m’a dit qu’elle avait 18 ans quand nous avons commencé à parler, puis m’a avoué n’en avoir que 17 quelques mois plus tard », a-t-il déclaré. « Je lui ai dit que ça me mettait mal à l’aise ». Il a dit encore posséder certaines de leurs conversations MSN sur son ordinateur, et nous a envoyé des captures d’écran de plusieurs dossiers qui, selon lui, étaient leurs conversations archivées.
« Il se trompe », nous a répondu Laurie. Le premier échange d’e-mails qu’elle a pu trouver dans ses propres archives date de 2005, alors qu’elle avait 16 ans, « mais je me souviens lui avoir parlé pendant un certain temps avant cet e-mail ». Elle se souvient aussi clairement qu’il plaisantait sur le fait qu’elle serait « légale au Canada » lorsqu’elle aurait 16 ans. L’âge du consentement au Canada est de 16 ans, mais comme stipulé aujourd’hui, il tient compte de plusieurs facteurs permettant de déterminer si une relation peut être considérée comme une exploitation d’une jeune personne, notamment « la façon dont la relation s’est développée (par exemple, rapidement, secrètement ou sur Internet) ». Les photos sexuelles ou suggestives d’une personne de moins de 18 ans ne sont jamais légales. Toutefois, ces lois n’étaient peut-être pas en vigueur dans leur forme actuelle lorsque Belandres et Laurie ont commencé à communiquer.
« Il me demandait des faveurs sexuelles et des trucs du genre », a déclaré Laurie. « Il m’aidait beaucoup sur le plan financier. Il savait que je venais d’un milieu très pauvre et que je n’avais pas beaucoup d’argent quand j’étais ado. Il m’envoyait du fric ou me payait des abonnements pour des jeux, m’envoyait de la bouffe, des fleurs, toutes ces choses. »
Laurie raconte qu’elle n’avait pas particulièrement envie de faire les trucs sexuels qu’il lui demandait — comme lui envoyer des photos explicites ou baiser par téléphone. « Je ressentais définitivement ça comme un dû, à cause des cadeaux qu’il m’envoyait, et parce que j’étais bien trop jeune pour comprendre que je pouvais dire non. »
« Il y a eu de nombreuses fois où je n’ai pas voulu le faire, et ça finissait toujours en dispute. Il me disait qu’il m’avait énormément soutenue et avait fait tant de choses pour moi, et que moi je ne me souciais pas de lui ou que je ne l’aimais pas assez pour lui donner ce qu’il voulait », a-t-elle déclaré. « Il y avait cette culpabilité-là, et étant ado, je n’avais jamais rien connu d’autre ».
Laurie a décidé de rompre quand elle avait 17 ou 18 ans, après un incident qui, rétrospectivement, est remarquablement similaire à ce que Sarah dit avoir vécu plus tard. Laurie s’endormait tous les soirs au téléphone avec Belandres ; elle s’est plus ou moins réveillée en l’entendant murmurer des « choses incestueuses » au téléphone. Quand elle l’interrogeait à ce sujet, Belandres se mettait directement sur la défensive ou prétendait que ça n’était jamais arrivé. Elle a alors commencé à faire semblant de s’endormir pour s’assurer que c’était bien réel. (Belandres conteste ces propos et affirme qu’ils n’ont jamais commencé à faire des jeux incestueux : « Il n’y avait rien qui avait trait à l’inceste dans notre relation. Il lui arrivait de m’appeler papa et des trucs comme ça, ce qui est plutôt gnangnan avec le recul »).
Lorsque Laurie a décidé de couper tout contact avec lui, « c’est là que le harcèlement s’est intensifié », rapporte la jeune femme. Il appelait sans cesse chez ses parents, la suppliant d’accepter de lui parler, et parfois elle s’exécutait. Lorsqu’elle a déménagé, elle a décidé de rompre tout lien avec lui. « C’est alors qu’il a commencé à m’appeler plus de 40 fois par jour, me laissant une quinzaine de messages vocaux ». Il a menacé de se tuer, dit-elle, et a même appelé la police chez elle au milieu de la nuit, prétendant qu’elle était suicidaire, ce qui n’était pas le cas. Lorsqu’elle a dit aux policiers présents sur le pas de sa porte qu’elle était harcelée par la personne qui les avait appelés, ils lui ont répondu quelque chose qui ressemblait, dans ses souvenirs, plus ou moins à ça : « Il semblait s’inquiéter pour toi, c’est juste un bon ami ».
Laurie était certaine que la police prendrait ses plaintes au sérieux. « Ce n’est pas comme ça que ça s’est passé. La police m’a dit qu’elle ne pouvait pas déterminer l’âge que j’avais sur les photos ».
Belandres aurait commencé à lui envoyer des messages à partir de faux comptes ; les captures d’écran qu’elle a partagées à VICE montrent des dizaines de comptes, qu’elle a bloqués au fil des ans. Beaucoup d’entre eux utilisaient des noms qui étaient des variations du nom de Santiago, du nom de Laurie ou de celui d’une autre femme qui a rapporté avoir subi son harcèlement à la même époque (la même femme dont nous avons trouvé le site web de doxing archivé en ligne). En même temps, nous dit Laurie, « il a fini par pirater mon mail, mon compte Photobucket, mon LifeJournal, mon compte World of Warcraft, changer mes mots de passe et supprimer tout ce qu’il pouvait. » (Belandres nie avoir jamais piraté ou accédé de manière inappropriée aux comptes de messagerie ou aux réseaux sociaux de quiconque.)
D’après Laurie, ce harcèlement a duré « quatre ou cinq ans ». À un moment donné, il aurait même envoyé des photos d’elle nue, datant de l’époque où elle était mineure, à ses amis et à sa famille. (Elle a fourni des captures d’écran d’un compte Facebook qu’elle dit être celui de Belandres sous un faux nom, envoyant un message à sa cousine ; le message contenait une photo, que Laurie a floutée, et un lien vers un site web de doxing, dont VICE a décidé de taire le nom. La cousine répond en traitant l’expéditeur de « connard »).
Ce fait à son encontre était si extrême qu’elle pensait à coup sûr que la police allait prendre ses plaintes au sérieux. « Ce n’est pas comme ça que ça s’est passé », dit-elle. « La police a dit qu’elle ne pouvait pas déterminer l’âge que j’avais sur les photos et qu’elle ne pouvait donc pas savoir si j’étais mineure, même si je savais que je l’étais. » (Belandres nie avoir agi de la sorte et affirme n’avoir jamais possédé de photos explicites de l’adolescente de 17 ans avec laquelle il communiquait.)
Laurie a fini par ne plus appeler la police, ne plus documenter le harcèlement et renoncer à ce que quiconque la prenne au sérieux. Le harcèlement ne s’est pas terminé pour autant : il aurait menacé de venir dans la ville où elle vivait et d’appeler sa mère et sa grand-mère. « Pendant longtemps, j’ai vécu dans la peur », dit-elle, craignant qu’il ne se manifeste. Un mail montré à VICE indique qu’en 2010, son bourreau lui a envoyé un mail à partir d’une adresse Gmail dont le nom contient « Santiago ». Dans cet e-mail, il se plaignait de l’impolitesse d’un membre de la famille de Laurie lorsqu’il avait appelé chez elle.
Après avoir renoncé à obtenir de l’aide, Laurie a géré la situation toute seule, du mieux qu’elle a pu. « J’ai changé de numéro de téléphone, j’ai déménagé, j’ai changé de job parce qu’il savait où je bossais et qu’il téléphonait à mon travail, me calomniant à tous ceux qu’il pouvait joindre par téléphone. » Il a également créé des sites Internet, dit-elle, la traitant de « pute et de salope », dont elle suppose qu’ils avaient pour but de rendre plus difficile l’obtention d’un emploi.
Finalement, le harcèlement a « diminué ». Elle recevait encore de temps en temps une demande d’ami d’une personne douteuse. Et il y a trois ans, plus de dix ans après leur première conversation, quelqu’un qu’elle pense être lui a posté un commentaire sur son profil Instagram, disant que son nouveau mec ressemblait à quelqu’un dont il était convaincu qu’elle avait un jour été amoureuse.
D’après elle, la plus grande intention derrière ce harcèlement semblait être de détruire toute possibilité pour elle d’avoir une vie en ligne. Et ça a fonctionné.
« Quiconque a vécu un truc pareil change sa façon d’être, sa présence en ligne », nous a expliqué Laurie. Elle est devenue assistante sociale et se consacre à l’aide aux enfants et aux adolescents en crise, ce qui n’est pas une coïncidence quand on sait ce qu’elle a vécu.
« Ça fait mal de dire qu’il m’a touchée à ce point, mais c’est le cas », a-t-elle déclaré. « Cette expérience avec lui a chamboulé ma vie à jamais. Voilà où j’en suis : 18 ans plus tard, je me retrouve encore à parler de lui. »
Les preuves écrites reprennent en 2012, lorsqu’une femme nommée Andrea demande une ordonnance restrictive contre Belandres, puis le poursuit devant un tribunal civil, affirmant que l’homme avait pris une série de mesures invasives et effrayantes à la suite de leur brève relation en ligne. (VICE ne divulgue pas son nom de famille et sa localisation précise pour protéger sa vie privée.)
Dans sa plainte civile et dans une déclaration sous serment justifiant la nécessité d’une ordonnance restrictive, Andrea a affirmé que Belandres avait créé de faux profils en son nom et contacté ses colocataires, son frère et sa sœur, ses collègues et ses patrons. Elle allègue qu’il a publié sur YouTube des vidéos privées qu’elle lui avait auparavant envoyées et qu’il a envoyé au moins une photo intime d’elle à l’un de ses collègues. Il aurait également commencé à faire des commentaires offensants en se faisant passer pour elle sur une page Facebook appartenant à l’entreprise dans laquelle elle travaillait.
« Santiago continue de dire qu’il ne s’arrêtera pas tant que je ne répondrai pas ou que je ne serai pas renvoyée de mon travail », a-t-elle écrit dans une déclaration à son avocat. « Et que si aucune des deux options n’arrive, il ira jusqu’à se tuer ou “brûler en enfer”. » (L’ancien avocat d’Andrea n’a pas répondu à notre demande de commentaire.)
Les archives judiciaires montrent qu’Andrea a obtenu un jugement par défaut de plus de 200 000 $ contre Belandres. Il semble que Belandres n’ait jamais payé la moindre partie de cette somme. Belandres nous a affirmé n’avoir appris l’existence du jugement par défaut que lorsque nous lui avons posé la question, des années après qu’il ait été rendu.
« On ne m’en a jamais parlé », a-t-il dit. Il n’aurait jamais été contacté par qui que ce soit et le jugement d’Andrea n’est jamais apparu sur son rapport de crédit ou ailleurs. (Il est possible que le jugement n’ait pas été « domestiqué » dans le comté où vit Belandres, ce qui signifie qu’il n’y a pas été officiellement enregistré de façon à ce qu’il apparaisse sur des éléments tels que les rapports de crédit.)
D’autres femmes disent avoir rencontré James Bell en ligne entre 2013 et 2019. Les femmes auxquelles VICE a parlé l’ont toutes rencontré sur Twitter entre 2015 et 2018, où il utilisait le pseudo « IsPizzaRatAlive » puis, après sa suspension, « PizzaRatIsDead. »
« Alexandra » dit avoir commencé à interagir de manière fortuite sur Twitter avec celui qu’elle connaissait sous le nom de James Bell vers 2015 ou 2016. Après quelques échanges, il lui a envoyé un DM et lui a donné son Instagram, ce qu’elle a trouvé, dit-elle, « bizarre. » Mais, a-t-elle ajouté, « le fait de voir des journalistes vérifiées interagir avec lui et le suivre lui a offert une certaine crédibilité à mes yeux. » Comme Sarah, elle s’était aussi fait beaucoup d’amis sur la plateforme.
« Ce n’était pas comme si je rencontrais un inconnu », dit-elle. « C’était normal de rencontrer des gens de Twitter ».
Ils ont commencé à s’appeler par téléphone, et Alexandra a dit qu’elle considérait souvent ces conversations comme une sorte de thérapie : elle s’épanchait sur son petit ami, sa famille et ses problèmes de vie ; Bell lui donnait des conseils, « surtout au sujet du petit ami », a-t-elle précisé.
Les conversations sont devenues sexuelles en 2017, mais les interactions se sont rapidement tendues, comme avec les autres femmes. « Il se mettait en colère quand je commençais à parler à un ex-petit ami », a déclaré Alexandra. « Il s’acharnait sur moi et me disait : “Tu ne m’aimes même pas”, me culpabilisant pour que j’accepte à nouveau de lui parler ». Il lui a plusieurs fois proposé de la rencontrer dans des villes proches de la sienne, mais ça n’est jamais arrivé non plus ; plus d’une fois, il l’a ghostée le jour même de la rencontre. « C’était fatiguant », dit-elle.
La situation s’est aggravée vers la fin de 2017, quand elle a finalement mis un terme à cette histoire en le bloquant. « Il utilisait de nouveaux numéros, de nouvelles façons de m’envoyer des textos. Ça a évolué jusqu’au moment où il m’a dit qu’il allait envoyer mes photos à ma mère et à mon travail. Je n’ai plus répondu. »
« Mdr t’es sur un site web appelé [expurgé], je viens de te voir et j’ai pensé que tu aimerais être prévenue, voilà bonne chance avec tout ça ».
Alexandra lui avait envoyé une seule photo intime, qu’elle avait faite pour lui sur Snapchat et sur laquelle elle avait appliqué un filtre. Personne d’autre ne l’avait jamais vue. C’est comme ça qu’elle a tout de suite su ce qui se passait lorsqu’il lui a envoyé un texto à Noël de cette année-là. Dans son message, dont elle nous a fourni des captures d’écran, il l’accuse de n’avoir jamais vraiment prévu de le rencontrer et de l’avoir simplement fait marcher. Puis, dans un autre SMS, il ajoute : « Mdr t’es sur un site web appelé [expurgé], je viens de te voir et j’ai pensé que tu aimerais être prévenue, voilà bonne chance avec tout ça ». Il a inséré un lien vers un post sur un obscur site de doxing, qui présentait cette photo d’elle et une autre en provenance de son compte Twitter.
Elle a d’abord essayé de rester calme, mais finalement, alors qu’il continuait à l’appeler et à lui envoyer des SMS, elle a commencé à le supplier de faire retirer cette photo, disant que le fait de la savoir en ligne lui donnait envie de se suicider. Finalement, elle lui a dit qu’elle savait que c’était lui qui avait posté la photo.
Bell aurait nié, et lui aurait répondu qu’à cause de ces accusations, il allait maintenant envoyer la photo à « tous ceux qu’elle connaissait » et à son lieu de travail.
Alexandra a alors réalisé qu’elle avait affaire à quelqu’un qu’elle considérait comme une véritable menace. Dans son esprit, il fallait qu’elle ait « l’air la plus dingue possible, au point qu’il ne veuille plus jamais me parler ». Elle a donc pris la décision d’intensifier dramatiquement son propre comportement.
Alexandra lui a dit qu’elle allait se tuer, qu’elle avait un avocat, qu’elle allait le dénoncer, qu’elle allait « graver son nom d’utilisateur dans sa poitrine et se tirer une balle dans la tête ». Elle l’a appelé des dizaines de fois. Elle lui a dit qu’elle était une sorcière, qu’elle allait maudire sa descendance et lui a envoyé des vidéos d’elle en train de lui jeter un sort en utilisant la Santa Muerte, une figure puissante et vénérée du folklore catholique mexicain.
« Je ne l’ai pas laissé gagner », a-t-elle déclaré. Apparemment déstabilisé, il semblerait que Bell ait décidé de supprimer la photo d’elle, car elle a rapidement disparu.
« Il ne m’a plus jamais contactée », rapporte-t-elle. « Il ne m’a plus jamais envoyé de textos ni de DM. Je n’ai jamais reçu d’autres e-mails de sa part… Je pense qu’il a réalisé qu’il y avait d’autres filles à terroriser. »
Il existe également une autre femme victime de Bell, mais qui n’a pas du tout eu d’interaction romantique ou sexuelle avec lui. Grace Spelman est écrivaine et podcasteuse à Los Angeles, et possède elle aussi une vaste communauté qui la suit sur Twitter. Selon elle, Bell était, comme elle nous l’a raconté, « un peu trop familier, mais pas au point de me donner l’impression d’aller trop loin ou de violer mes limites ». Il commentait les photos de sa famille — « Mama Spels a l’air en forme », ce genre de choses — et lui envoyait de temps en temps des DM lorsqu’il voyait un truc qui lui faisait penser à elle. Ces interactions ont commencé en 2014 et ont duré, selon Grace, pendant environ six ans.
Tout a changé en 2020, quand une amie de Grace — l’une des femmes interrogées pour cette histoire — lui a confié qu’un type prénommé Bell lui envoyait des messages flippants et la harcelait. Après avoir vu des captures d’écran, Grace, outrée, lui a envoyé un message sur Instagram.
« Je me suis sentie un peu conne et en colère parce que ce type avait été si gentil avec moi, pendant si longtemps », nous raconte-t-elle. « Je lui ai dit : “Montre-moi une photo de ton visage, qui es-tu ?“ ». Il l’a immédiatement bloquée puis est allé parler à l’autre femme, se plaignant qu’elle retournait Grace contre lui.
« Il a super mal pris le fait que nous en avions discuté ensemble », a expliqué Grace.
Peu de temps après, Grace a reçu un DM de quelqu’un lui signalant que son identité avait peut-être été usurpée sur Twitter.
« Je suis allée sur le compte Twitter en question, et c’était le même avatar que moi et tout », raconte-t-elle. Les premiers tweets étaient banals — un truc du genre « Hé, c’est moi, Grace, j’ai un nouveau compte ». Puis il ont commencé à montrer ce que Grace rapporte comme des « photos de ces espèces de registres historiques qui prouvent que ma famille était soi-disant propriétaire d’esclaves ».
Le compte a publié des vidéos incroyablement datées d’elle et de ses frères et sœurs. Grace ne sait toujours pas comment le titulaire du compte les a trouvées.
Tout ça était faux. « Le Spelman College porte littéralement le nom de ma famille », nous dit Grace Spelman. « Elle est remplie d’abolitionnistes. » Bien qu’elle ne soit pas « une figure de la gauche », comme elle le dit elle-même, le compte a continué à tweeter des trucs comme « la famille de votre reine gauchiste possédait des esclaves. » Ont également été publiées des vidéos incroyablement vieilles d’elle et de ses frères et sœurs. Grace ignore toujours comment le titulaire du compte les a trouvées.
Selon les dires de Spelman, cette expérience a été effrayante et l’a rendue « beaucoup moins confiante », mais également plus alerte quant aux hommes qui deviennent trop vite familiers dans leurs réponses. « J’ai depuis arrêté d’entrer en conversation avec des reply guys. Et en fait, ça m’a permis de trouver des femmes avec qui j’ai pu me lier d’amitié et des amis géniaux. » Bien qu’elle n’ait aucune preuve que le compte était celui de Belandres, le timing lui parait plus que fortuit. (De son côté, Belandres nie avoir créé le compte Twitter en se faisant passer pour Spelman.)
Les interactions se sont poursuivies, toujours avec Belandres se présentant au début comme un féministe et un ami des femmes, disent-elles.
« Il était toujours très progressiste et positif », a déclaré « Patricia », une autre femme qui a commencé à lui parler vers 2017, alors qu’elle n’avait que 18 ans. « Il se positionnait comme un allié des femmes ».
Patricia venait de sortir d’une relation abusive et avait commencé à traverser une phase d’hypersexualité, qui peut être une réponse aux abus. « Je recherchais ce genre d’attention et d’approbation de la part d’une personne plus âgée, et je pensais que le sexe et la sexualité étaient le moyen de les obtenir », a-t-elle déclaré.
En très peu de temps — Patricia se souvient qu’il s’agissait de semaines, voire de jours — les DM du duo se sont transformés en sexting, donnant à Patricia le sentiment d’être dépassée. « Il semblait avoir un peu plus d’expérience que moi en la matière », dit-elle. « Il disait des trucs que je ne comprenais pas totalement, mais j’essayais de faire comme si. »
Pour elle, les signaux d’alarme sont apparus dès qu’ils se sont parlé au téléphone. Parce qu’elle était familière et hyper attentive à un certain type de danger, la voix et la façon de parler de Belandres l’ont immédiatement déstabilisée.
« Par texto, c’était amusant et décontracté », dit-elle, « mais par téléphone, c’était exigeant et effrayant ». Sa voix semblait en colère, et elle savait qu’elle devait prendre ses distances rapidement. « J’ai raccroché, j’ai dit ce que j’avais besoin de dire pour raccrocher, et je ne lui ai plus envoyé de textos aussi souvent par la suite. Et quand je le faisais, j’étais brève et j’essayais de ne pas m’engager. »
En mars 2017, après avoir cessé de répondre régulièrement à Belandres, Patricia a reçu un DM sur Twitter de quelqu’un qu’elle ne connaissait pas, un fake account évident sans photo de profil.
« Uhhhh, il y a des nudes de toi là-bas », pouvait-on lire, avec un lien vers un « forum de type 4chan », un site connu pour la publication de revenge porn dont VICE a décidé de taire le nom.
Le post sur le site web contenait un nude de Patricia, ainsi que son nom, son prénom et son adresse Twitter, et promettait qu’il y avait « beaucoup plus » de nudes à la clé. En dessous de la photo se trouvait une série de commentaires qui demandaient pour avoir d’autres photos d’elle.
Patricia a immédiatement réduit la liste des suspects. Elle avait envoyé cette photo à deux personnes au total : Bell et un ex-petit ami en qui elle avait confiance. « Je ne pensais pas qu’il ferait ça. Alors je me suis dit qu’entre mon ex qui, à ma connaissance, avait supprimé toutes les photos de moi et ce type avec qui j’avais eu cette histoire bizarre de sexting, ça devait forcément être le type de Twitter. »
Patricia a confronté Bell, qui a nié avoir uploadé la photo. Il s’est montré concerné et compatissant, et a demandé ce qu’il pouvait faire pour l’aider.
« J’ai arrêté de lui répondre parce que j’ai compris qu’il n’allait jamais l’admettre », a-t-elle dit. Pourtant, il a continué à lui tendre la main « presque à la manière d’un frère aîné attentionné », lui disant qu’il voulait prendre de ses nouvelles et lui disant des choses comme « Je sais que c’était violent. Ce n’était pas moi, mais je veux être là pour toi si tu en as besoin. » (Elle nous a fourni des captures d’écran de leurs échanges par texto.) Un de ces SMS disait : « J’espère que tu vas bien et aussi, si quelque chose de merdique arrive encore à l’avenir, ne suppose pas que c’est moi. Je ne te connais pas et je n’ai rien contre toi, je te souhaite le meilleur. »
Patricia a trouvé tout ça assez chelou. « Ses paroles étaient à l’opposé de ses actes. La façon dont il se comportait me donnait l’impression qu’il croyait vraiment ce qu’il disait. »
Patricia n’a réalisé que près d’un an plus tard que le fake account Twitter qui lui avait envoyé des DM était aussi celui de Bell — lorsqu’une autre victime l’a contactée pour l’avertir qu’un homme qu’elle suivait sur Twitter était un harceleur en série.
La femme qui a trouvé Patricia est « Theia », qui n’a rencontré Bell qu’en tant que client, en quelque sorte. Lorsque Theia a parlé à Bell pour la première fois, à l’automne 2017, elle commençait tout juste sa carrière de travailleuse du sexe, et Bell lui avait envoyé des DM sur un compte Twitter qu’elle utilisait pour son travail. Theia soupçonne maintenant qu’il l’a ciblée parce qu’elle n’était clairement pas encore bien établie dans ce milieu. « Si j’étais déjà une travailleuse du sexe populaire sur le net, il n’aurait pas eu beaucoup d’influence. Mais comme j’étais inexpérimentée, j’étais la proie idéale ».
Theia, elle aussi, connaissait bien Bell en tant que soi-disant allié des femmes libérales et féministes ; ils s’étaient déjà livrés à un flirt léger sur le site avant qu’il ne la contacte en privé pour lui demander si elle avait une wish list sur Amazon.
« Il avait une personnalité tellement bien définie que je n’avais pas réalisé qu’elle était montée de toute pièce à des fins performatives », a déclaré Theia à VICE. « Spirituel, séduisant, drôle, progressiste, pro-femmes, pro-travail du sexe ».
Ils ont convenu d’un appel téléphonique moyennant des frais, mais Bell a dit quelque chose du genre : « J’ai des problèmes avec mon paiement, mais je suis doué pour ça ». Son expérience dans le secteur était encore trop récente à ce moment-là pour qu’elle puisse se rendre compte qu’il s’agissait d’une arnaque courante. « Je ne savais pas que ces hommes payaient pour ensuite essayer d’obtenir des services gratuits ».
Ils se sont appelés par téléphone, et Theia nous raconte que Bell a assez rapidement emmené les choses sur un terrain sexuel. « Il était un peu dominant dans son discours à mon égard, ce qui ne me mettait pas à l’aise ». Elle a essayé de lui dire qu’elle était mal à l’aise avec la façon dont les choses se passaient, « mais je n’avais pas de limites super claires à l’époque. » La conversation, dit-elle, s’est terminée quand il lui a dit « qu’il trouverait son vrai nom et qu’il découvrirait où elle vivait parce qu’elle allait vouloir le lui dire. » Elle ne se rendait pas encore compte qu’il la menaçait.
Cela dit, elle s’est quand même sentie en insécurité et mal à l’aise. « Après ce premier appel, il avait mon numéro. Il m’envoyait constamment des messages sur ma messagerie Google Voice ». Il l’appelait à froid sans lui demander si elle voulait d’abord discuter. « Si je ne répondais pas, il s’énervait vraiment et me disait : “Je pensais qu’il y avait quelque chose entre nous et toi tu m’ignores, je pensais que tu étais ma e-femme“. Il adorait ça. »
Theia soupçonnait deux choses : que Bell n’était pas clair sur le fait qu’il était un client, et non un potentiel partenaire amoureux, et qu’il utilisait clairement de fausses photos. « C’était en 2017 et les photos avaient l’air d’avoir été prises sur Instagram en 2013 », a-t-elle déclaré. Les filtres et la qualité des photos semblaient manifestement datés. « Les appareils photo ont tellement vite évolué ».
Avec les red flags qui jaillissent de toutes parts, Theia a décidé de mettre de la distance entre elle et Bell. Elle l’a unfollowé, comme elle s’en souvient, et a cessé de répondre à ses messages.
« Et puis le matin de Noël 2017, voilà qu’il m’envoie un lien sur Twitter vers [un site web particulier] » – un endroit « où les hommes postent des nudes, s’attèlent à du revenge porn et font fuiter des informations personnelles », a déclaré Theia. « Il m’a envoyé un lien vers certains de mes nudes et m’a dit : “On dirait que tu as fait l’objet d’un leak”. Il a été assez bref et brusque dans sa façon de me le dire. » (Il s’agit du même site que celui sur lequel il a dit à Patricia que ses photos avaient été publiées.)
Theia lui a immédiatement demandé s’il avait posté ces photos lui-même. Bell a répondu par la négative. « J’ai demandé : “Comment es-tu tombé sur ce site ?” » Bell a répondu qu’il vérifiait ces sites parce que beaucoup de femmes qu’il connaissait s’y retrouvaient. Elle a répondu « oui, je n’en doute pas le moins du monde ».
« Le soir même, il m’a envoyé un autre lien, raconte Theia, et quand j’ai cliqué dessus, il ne fonctionnait plus. Quand je le lui ai fait savoir, il m’a répondu : “Il semble que ton adresse et ton nom étaient mentionnés, mais les administrateurs suppriment les infos trop personnelles, alors considère que tu as eu de la chance” ».
Theia savait cependant que Bell n’avait jamais su son vrai nom ni son adresse, et elle a fini par croire qu’elle n’avait jamais été postée sur le site. « Il utilisait juste ça pour me faire peur, comme une stratégie pour me suggérer qu’il savait ou que quelqu’un d’autre savait ». D’après elle, il créait aussi d’autres noms d’utilisateur et commentait ses propres messages, pour faire croire que beaucoup de gens parlaient d’elle ou divulguaient ses informations. « Personne ne savait qui j’étais à l’époque et c’était toujours les mêmes choses qui étaient dites sur le même ton. Je n’ai aucune preuve, c’est juste une intuition. »
Elle a cessé de réagir, même lorsque Bell continuait à lui envoyer des liens vers le même site — la plupart du temps des nudes en provenance de son Snapchat, pour lesquels il avait payé l’accès. « À ce moment-là, j’étais si peu connue [dans ma carrière] qu’il était très facile de comprendre qui c’était. Dès que je l’ai supprimé, plus rien de nouveau n’a leaké. » Elle a cessé de lui répondre, signalant les posts, et, lorsqu’ils étaient republiés, les signalant à nouveau. En réponse, dit-elle, il a fait une capture d’écran de son Snapchat et l’a postée sur Pornhub.
Pendant un certain temps, Theia n’a même pas pris la peine de le bloquer sur Twitter, ne voulant pas lui donner ce plaisir. En janvier 2018, elle faisait tranquillement, mais intensément des recherches, dit-elle, « pour essayer de comprendre qui il était. » Sans s’en rendre compte, il lui avait donné beaucoup plus d’infos que ce dont il pouvait se douter.
Theia possédait le vrai numéro de téléphone de Bell, qu’il lui avait donné pour leur première conversation. Elle l’a utilisé lors d’un rapport d’antécédents payant en ligne, et a pu apprendre son nom de famille, Belandres. En parcourant les réseaux sociaux, elle a trouvé des membres de sa famille, une flopée d’anciens comptes, des commentaires sur une série de sites web, et ce qu’elle pensait être son prénom, Santiago. Elle a également commencé à essayer de trouver d’autres victimes.
« J’ai contacté toutes ses amies, toutes les personnalités Twitter qu’il suivait et avec lesquelles il interagissait, je leur ai envoyé des DM pour leur faire part de mon expérience, en espérant ne pas passer pour une folle », a-t-elle déclaré. Certaines n’ont pas répondu, et une ou deux lui ont dit qu’il avait toujours été poli, mais une poignée d’entre elles lui ont rapporté des expériences similaires. « Il m’a acheté un nude » ou « nous avons échangé des nudes », certaines faisant même allusion à des rapports sexuels. Elles lui ont confié avoir elles aussi perçu des red flags, mais être restées gentilles et polies de peur qu’il se retourne contre elles et que ça impacte négativement leurs carrières.
En 2018, un journaliste qui avait vu les tweets de Theia a réalisé qu’une de ses amies avait vécu une expérience incroyablement semblable. Il a mis les deux femmes en relation. « Nous avons discuté par téléphone et elle me disait qu’elle ne pouvait pas croire que ça arrivait enfin ». Il lui avait envoyé un torrent de textos injurieux ; Theia lui aurait alors conseillé de s’adresser à lui en l’appelant « Santiago » et une fois qu’elle l’a fait, il aurait rapidement fait marche arrière.
Lorsque Theia a finalement parlé à « Patricia », la femme qui avait 18 ans à l’époque de ses interactions avec l’homme qu’elle connaissait sous le nom de James Bell, ce fut comme une illumination pour la jeune femme.
« Cette affaire avait une amplitude tellement plus large que ce que je pensais. Ce n’était pas un truc chelou qui m’était arrivé par hasard. C’était un schéma qui se répétait. »
« C’est à ce moment-là que le déclic s’est produit », nous a confié Patricia. « Cette affaire avait une amplitude tellement plus large que ce que je pensais. Ce n’était pas un truc chelou qui m’était arrivé par hasard. C’était un schéma qui se répétait. »
Une femme hors des États-Unis, Amy, a raconté à VICE avoir subi un harcèlement particulièrement grave. Après une brève relation en ligne avec James Bell en 2020 — qui avait commencé, encore une fois, sur Twitter — Amy, jeune Anglaise, est venue en vacances Californie. Pendant qu’elle était sur place, Bell a promis de venir la voir depuis San Diego. Il lui a envoyé des SMS pour lui dire qu’il était en route, mais il n’est jamais arrivé.
Agacée, elle lui a demandé de lui partager son emplacement. Un nom qu’elle n’avait jamais vu est alors apparu sur son téléphone : « Santiago Belandres partage maintenant sa position avec vous », disait le message. (Amy nous a fourni une capture d’écran.)
Belandres aurait balayé d’un revers de la main le fait qu’il lui avait donné un nom complètement différent, lui disant qu’il portait le nom de son grand-père — ce qui semble être vrai — mais qu’il ne l’utilisait jamais dans la vraie vie. « Je t’ai déjà raconté ça », lui a-t-il envoyé par texto ce jour-là, mais elle stipule qu’il ne lui avait jamais raconté cette histoire de nom auparavant.
Amy a toutefois accepté son explication comme quoi il aurait changé de nom parce qu’il était difficile de trouver un emploi avec un nom clairement latino. « J’ai moi-même des potes qui utilisent des versions anglicisées de leurs noms », a-t-elle dit. « Qui étais-je pour le remettre en question ? » Mais de retour au Royaume-Uni, elle a finalement réalisé qu’elle « perdait son temps » avec une relation de correspondance bizarre qui impliquait quelqu’un qui n’avait même pas pris la peine de venir la voir.
Lorsqu’elle a tenté de rompre le contact, Belandres est passé à la vitesse supérieure, la contactant des centaines de fois à partir de numéros usurpés ; il a apparemment utilisé une application ou un site web pour générer des numéros qui semblaient provenir du Royaume-Uni. (Belandres nie avoir fait ça.)
« Ça a été incroyable et tellement libérateur de trouver une communauté et un soutien avec toutes ces autres victimes. Mais ce que je veux vraiment, c’est qu’il ne puisse plus faire ça. »
Pendant un certain temps, elle a pris sur elle et a continué à lui parler, juste pour l’apaiser ; alors qu’elle continuait à s’éloigner peu à peu, le harcèlement s’est aggravé. Amy tient un tableau Excel détaillé de ses tentatives de contact, documentant quelque 500 fois où, selon elle, il l’aurait harcelée par le biais d’une fausse adresse électronique, d’un faux numéro de téléphone ou d’un faux compte Twitter.
Elle a dû lutter seule contre l’isolement et la peur, mais a longtemps hésité à se rendre à la police au Royaume-Uni. « Je ne savais pas comment parler aux gens de ce qui se passait. Je suis sûre que d’autres femmes vous ont dit pareil, pas vrai ? C’est une chose très étrange à expliquer à des personnes qui n’ont pas été dans ce genre de relation virtuelle ou dans une dynamique pareille », nous a-t-elle déclaré. La police « n’a pas du tout été compréhensive. Ils se sont moqués de moi, ils m’ont dit : “Pourquoi parler à un type sur Internet que tu ne connais pas, pourquoi envoyer des photos à quelqu’un que tu n’as jamais rencontré ?” Bref, beaucoup de commentaires mesquins et de questions stupides. »
En avril 2021, une autre femme ayant eu le même genre d’expérience avec Bell a vu le fil Twitter de Sarah, qui discutait du harcèlement. Theia l’a contactée et, ensemble, elles ont commencé à mettre en contact toutes les survivantes, pour partager leurs expériences et essayer de trouver une solution. (Elles ont également réussi à découvrir d’où provenaient les photos de « James Bell » : elles appartenaient à un Italien qui les avait publiées sur les réseaux sociaux il y a plusieurs années. Belandres a admis avoir utilisé des photos qui n’étaient pas de lui pour entrer en contact avec des femmes sur le net, mais a précisé qu’il ne l’avait fait que vers 2010-2011 : « J’ai — et je continue — de ressentir de la honte et de la culpabilité à ce sujet et je me suis sincèrement excusé auprès de toutes les personnes que j’avais trompées, c’était une erreur de ma part et je le regrettais déjà avant même que ce ne soit découvert. »)
Dans de nombreux cas, réaliser que tant d’autres femmes avaient été dans la même situation qu’elles était à la fois réconfortant et choquant pour les victimes. « Ce mec est très opportuniste », nous a déclaré une femme, Laura, qui a interagi avec Bell sur Twitter entre 2019 et 2020. Après avoir rompu toute communication avec lui, il a également menacé de publier des photos d’elle nue et l’a harcelée sans répit à partir de dizaines de numéros de téléphone. « Il est très méthodique. Il fait ça depuis près de 20 ans. Il a beaucoup d’intelligence émotionnelle et est très attentif ; il calcule toujours bien son timing ».
Laura ajoute : « Ça a été incroyable et tellement libérateur de trouver une communauté et un soutien avec toutes ces autres victimes. Mais ce que je veux vraiment, c’est qu’il ne puisse plus faire ça. »
Après avoir réuni les victimes de Bell, Sarah était prête à entreprendre autre chose : monter un dossier.
Elle avait déjà demandé une ordonnance restrictive contre Belandres, le lundi suivant ses tweets sur son témoignage de harcèlement. Mais l’après-midi même, un juge avait rejeté sa demande, affirmant qu’il ne voyait pas de menace immédiate pour sa sécurité parce que Belandres se trouvait hors de l’État.
« J’étais tellement déçue », nous a expliqué Sarah. « J’étais sous le choc que cela puisse être refusé. J’ai imprimé 20 ou 30 pages [de communications de harcèlement]. Le juge les parcourait et me disait : “Je ne vois pas de menaces proférées à votre encontre ou contre votre vie”. Je ne pouvais pas le croire. C’est un tel échec, à mon avis, de notre système judiciaire ».
Sarah a fait appel à un avocat, qui a envoyé à Belandres une lettre de cessation et de désistement. Elle a également déposé plainte auprès de la police locale, dans l’espoir que le procureur de district décide d’engager des poursuites pénales. Ça n’a pas été le cas.
« Ça n’a pas eu l’effet escompté sur le bureau du procureur » a déclaré à VICE l’avocat de Sarah, Joe Carlisle, du cabinet Buckley Law P.C., dans l’Oregon. « Pour être juste envers eux, je crois qu’ils ont pensé : “Il est en Californie, elle est ici, nous avons toutes sortes de choses qui se passent juste à côté de notre porte et tout ça se déroule sur Internet” ». Ce n’est pas rare, d’après lui. « Ce qui est malheureux, c’est que ça ne semble pas cadrer avec les lois en vigueur sur le harcèlement ».
Sarah rapporte que le bureau du procureur a dit à son avocat qu’ils avaient appelé Sarah directement et lui avaient laissé un message vocal, les informant de leur décision de ne pas poursuivre l’affaire. « Je n’ai pas reçu d’appel ni de message vocal de leur part à aucun moment », raconte Sarah. « Je ne suis donc pas certaine qu’ils ont appelé le bon numéro. »
« Je veux que ce soit mis par écrit et validé dans le système juridique », continue Sarah, « qu’il soit indiqué que cela m’est arrivé et que c’est une affaire importante ».
Le cabinet d’avocats lui a alors conseillé d’intenter une action civile, parce que d’après Sarah, elle pourrait éventuellement servir de base à des accusations criminelles ultérieures. Et aussi parce que ce serait un moyen de remédier immédiatement au comportement de Belandres.
« Je veux que ce soit mis par écrit et validé dans le système juridique », continue Sarah, « qu’il soit indiqué que cela m’est arrivé et que c’est une affaire importante ».
Carlisle a choisi de poursuivre Belandres pour détresse émotionnelle infligée intentionnellement et diffamation, notamment après avoir examiné combien de fois il avait essayé de contacter Sarah, ainsi que le contenu des messages envoyés.
« Les commentaires étaient complètement scandaleux », nous a-t-il dit. « Ils vont trop loin. Le volume de messages et les efforts déployés pour la contacter dépassent ses tentatives pour le bloquer, il a continué à la contacter encore et encore et à la menacer de révéler ceci ou cela, ou de faire de fausses allégations, que ce soit publiquement ou à sa famille. Il recherchait les membres de sa famille. Tout ça était bien trop extrême ». La plainte pour diffamation portait sur sa tentative de faire savoir à sa famille et à ses employeurs qu’elle était fétichiste de l’inceste, une allégation fausse et « répréhensible », selon Carlisle. (Belandres affirme que tous les jeux de rôle liés à l’inceste auxquels ils s’étaient adonnés étaient l’idée de Sarah : « C’est elle qui en a pris l’initiative. » Les captures d’écran qu’il a fournies pour corroborer ses affirmations étaient des textos sexuels entre eux. Cependant, ces textos ne réfutaient pas le fait qu’elle lui avait demandé d’arrêter de décrire des scénarios d’inceste sur les membres de sa famille.)
Le cabinet d’avocats était convaincu de tenir la bonne personne, a ajouté Carlisle, notamment parce que Belandres a lui-même fait allusion à l’intervention d’un avocat dans ses communications avec Sarah. « C’était un élément crucial ». Ils ont également, poursuit-il, « fait beaucoup de recherches pour le retrouver. Et je me sens très à l’aise avec le fait que nous ayons trouvé la bonne personne et que nous l’avons contactée conformément à la procédure, pour ensuite lui remettre un avis de comparution dans l’affaire. » (La personne à qui ils ont remis les documents était une femme qui, selon Carlisle, « aurait eu l’âge requis pour être » la mère de Belandres, mais ils ne sont pas certains que ce soit elle. Dans une déclaration sous serment, un huissier a écrit que la femme « était devenue très agressive » et avait refusé de recevoir les documents. L’huissier les a donc déposés sur le pas de la porte et s’est éloigné ; à ce moment-là, la femme aurait commencé à jeter les documents dans la rue, a noté l’huissier.)
Belandres a affirmé ne pas savoir qu’une femme âgée avait été assignée à l’une de ses adresses. « Je n’en ai pas entendu parler », a-t-il déclaré. « Je ne comprends pas comment ils ont pu laisser ça sur le pas de la porte parce que mes parents ont un tas de chiens ». À propos des poursuites et des jugements, il conclut : « J’imagine que je dois découvrir ce qui se passe. »
« J’imagine que je dois découvrir ce qui se passe », a dit Belandres lorsque nous avons évoqué avec lui les multiples jugements rendus contre lui.
Après l’audience au cours de laquelle le juge a accédé à la demande de dommages et intérêts de Sarah, Carlisle a déclaré : « Je pense qu’elle a éprouvé un énorme sentiment de soulagement. » Le processus, a-t-il ajouté, « reconnaissait formellement qu’elle avait été lésée. C’est là que j’ai perçu son soulagement. C’était un long processus, et elle a réussi à le traverser. Elle a dû s’investir beaucoup, même s’il ne s’est pas présenté… Je pense que c’est un soulagement pour beaucoup de gens. Vous l’ignorez jusqu’au moment où vous entendez le juge dire, “je suis d’accord avec vous et je vais le mettre sur papier” ».
Mais le processus de recouvrement de ces dommages est beaucoup plus incertain, selon Danielle Citron, auteur et professeur à la faculté de droit de l’université de Virginie. Experte reconnue en matière de cyberharcèlement et de harcèlement, Citron est également l’auteur d’un livre à paraître sur la vie privée numérique et ses violations, se concentrant particulièrement sur ce qu’elle appelle la « vie privée intime ».
Danielle Citron n’a pas été surprise d’apprendre que Sarah n’avait pas obtenu d’ordonnance restrictive ; c’est une situation qu’elle rencontre régulièrement.
Les réactions culturelles et sociales autour de ce genre d’affaires peuvent être résumées comme ceci : « C’est juste ton vagin, personne ne peut voir ton visage », a-t-elle expliqué. « Ils ne comprennent pas. Ou bien, si la vidéo avait déjà été publiée sur un autre site, ils vont vous dire : “Mais quel est le problème, elle était déjà présente ici ?” Ils sautent d’un mauvais raisonnement à une idée erronée et ainsi de suite ». Les sites web de « doxing » jouent également un rôle important, a-t-elle ajouté, notamment un site spécifique sur lequel plusieurs femmes de cette histoire ont déclaré que leurs photos avaient été uploadées. Le site est maintenant hébergé à Las Vegas, a précisé Citron, après avoir été hébergé aux Pays-Bas puis fermé par la police néerlandaise. « Je parle à énormément de victimes dans le monde entier qui ont leurs photos sur ce site ».
Le GoFundMe a été mis en ligne le 6 juillet 2021. Sarah s’attendait à des moqueries et à de l’online shaming ; mais ça n’est pas arrivé.
« Me manifester a été la meilleure chose que j’ai pu faire », nous a-t-elle déclaré. « Je m’attendais à un énorme backlash et j’y étais préparée, croyant que j’allais également devoir subir les représailles de Belandres. Finalement, j’ai fait le bon choix. C’est difficile de se mettre en avant et de s’avouer vulnérable. C’est embarrassant. Les gens ne vont pas te croire, ils vont se dire que tu inventes tout ou que c’est juste une dispute de couple. Que vous êtes tous les deux des personnes toxiques, que vous vous prenez la tête. C’est difficile de défendre ses propres intérêts face à des étrangers qui ne vous connaissent pas. Mais ce sont des choses qui arrivent. »
L’argent du GoFundMe a permis à Laura d’envoyer à Belandres une lettre de cessation et de désistement, qu’il nous a confirmé avoir reçue. Dans un mail, quelqu’un utilisant l’une de ses adresses électroniques a dit au cabinet d’avocats qu’il n’avait pas eu de contact avec Laura depuis trois ans. (La date qu’il a mentionnée était bien antérieure à leur rencontre, selon Laura.) L’expéditeur de l’e-mail a ajouté : « toute autre affirmation est fausse et tout harcèlement via de fausses accusations sera signalé à mon avocat. Informez votre cliente que je suis bien conscient de la campagne en ligne qu’elle a menée pendant un an en publiant mes informations privées et j’ai la demi-preuve [sic] qu’elle a participé à mon harcèlement par le biais de textos, de messages directs et de messages vocaux. Dites-lui que j’accueillerai favorablement toute bataille juridique qu’elle souhaite engager. »
En discutant avec Laura, cette dernière nous a laissés entendre que le côté financier des démarches juridiques liées à la gestion du harcèlement est un problème dont personne ne semble vraiment parler.
« Ce n’est pas une somme insignifiante que vous pouvez sortir facilement pour faire face à un petit emmerdeur », a-t-elle déclaré.
Au début du mois de mai 2022, juste après le silence de Belandres face à son action civile, Sarah a obtenu un jugement par défaut ; selon son avocat, le juge lui a alors accordé les dommages et intérêts qu’elle avait demandés. Elle a l’intention d’essayer de recouvrer ces dommages auprès de Belandres, mais ça va prendre du temps. Elle doit en effet intenter une action en justice distincte en Californie afin d’enregistrer le jugement qu’elle a obtenu dans son État d’origine auprès des tribunaux locaux où vit Belandres.
D’après Danielle Citron, il est très courant que les hommes accusés de cyberharcèlement ne répondent pas aux poursuites ou ne paient pas les jugements par défaut prononcés à leur encontre. Mais même dans ces cas-là, a-t-elle dit, « les jugements par défaut ont une valeur aux yeux des victimes. Ils signifient qu’elles sont vues et entendues, que le système judiciaire peut être là pour elles ». Un juge qui rédige un avis en faveur d’une victime « lui dit qu’il l’entend, et qu’il admet que ce qui lui est arrivé est terrible. Que le harceleur ne s’est peut-être pas montré, mais que le système judiciaire la prend au sérieux. »
Dans de nombreux cas, ajoute Citron, les cyberharceleurs ne sont pas des personnes disposant de vastes ressources. « Ces gens n’ont généralement pas beaucoup d’argent. Vous pouvez toujours essayer de saisir leur salaire ». Mais de manière générale, dit-elle, « le système civil devrait mieux fonctionner » pour aider les victimes qui obtiennent des jugements en leur faveur. (Cela dit, même si Sarah et Andrea ne parviennent jamais à percevoir de dommages et intérêts de la part de Belandres, le fait d’avoir deux jugements impayés peut se répercuter contre lui s’il essaie un jour d’acheter une maison ou de contracter un prêt.)
Il est peu probable que Belandres ne soit pas au courant des poursuites judiciaires, comme il nous l’a prétendu. À trois reprises au moins, des avocats ont envoyé des documents juridiques à Belandres. Directement à l’adresse qui figure dans les registres publics ou par e-mail dans les cas de Sarah et d’Andrea, et en ce qui concerne Laura, elle a demandé à son avocat de lui envoyer une lettre de cessation et de désistement.
Dans chacun de ces cas, les e-mails ont été envoyés à des comptes utilisés par « James Bell » et lui ont été adressés en tant que Santiago Belandres. Et à chaque fois, le mec a répondu par e-mail, non pas pour nier son implication ou dire à ses correspondants qu’ils tenaient la mauvaise personne, mais bien pour les menacer d’intenter une action en justice.
« Je te battrai facilement au tribunal », a écrit Belandres à Sarah. « Va te faire foutre. »
« Faites une faveur à votre cliente en lui faisant savoir que j’engagerai moi-même une action en justice », a-t-il écrit aux avocats de Sarah, accusant cette dernière d’avoir violé la loi en divulguant ses « informations personnelles » en ligne. Il a également affirmé avoir reçu des menaces de la part de ses patrons et collègues, « et dans ce cas, je suis libre d’en toucher un mot à son lieu de travail, faites-lui donc savoir que je compte bien le faire. »
« Je te battrai facilement au tribunal », a-t-il écrit dans un mail envoyé uniquement à Sarah à l’été 2021. « Va te faire foutre. »
Cependant, les actions en justice semblent également avoir incité Belandres à se tenir à l’écart. Le jour où Sarah a posté la collecte de fonds sur Twitter, elle a reçu encore un autre appel d’un numéro inconnu, auquel elle n’a pas répondu, et depuis lors, elle n’a pas entendu le moindre mot de sa part.
« Je pense que c’est enfin devenu réel pour lui, nous dit Sarah, il sait que je veux aller jusqu’au bout. »
Belandres affirme qu’il n’aurait contacté personne depuis un an. (Amy — la Britannique qui a méticuleusement tenu un dossier complet sur le harcèlement dont elle a été victime — conteste cette affirmation et rapporte qu’il les a contactées, elle et sa mère, le 4 février. Elle a fourni des captures d’écran d’un mail envoyé à l’adresse professionnelle de sa mère. Elle a également fourni de très nombreuses autres captures d’écran de « James Bell » menaçant de contacter sa mère, faisant usage du nom de cette dernière.)
Les ennuis judiciaires de Belandres sont loin d’être terminés. Amy prévoit également de le poursuivre en justice. « Je ne cherche pas à obtenir des dommages et intérêts », a-t-elle déclaré. « Ce serait inutile, à mon avis ». Mais elle aimerait trouver un moyen de s’assurer qu’il ne puisse plus jamais la contacter légalement.
Amy a déclaré que dans les e-mails qu’il lui avait envoyés, Belandres aurait souvent fait référence aux autres femmes harcelées. (Il lui a également partagé une discussion par mail expurgée qui, selon lui, était destinée à son avocat, un cabinet d’Oakland spécialisé dans les dommages corporels. Il a dit à Amy que « l’avocat lui mettait la pression pour qu’il se dépêche de porter plainte contre elle et intente un procès au civil ». Il n’a jamais porté plainte contre Amy, ni au pénal ni au civil.)
« Il est manifestement conscient que nous sommes en communication les unes avec les autres », nous raconte Amy, et semble « être piqué à vif » par ça. « Mais ça a été tellement cathartique de se connecter les unes aux autres », a-t-elle ajouté, « et de partager nos histoires ».
« Je suis terriblement en colère qu’un si grand nombre d’entre nous aient été repoussées dans l’ombre et aient dû garder le silence à propos de ces choses terribles qu’une autre personne nous a infligées », a-t-elle déclaré. « Nous n’avons rien fait de mal. Ce n’est pas un crime de se lier avec quelqu’un sur Internet ou d’avoir une relation intime et romantique à part entière pendant des années. Ce n’est pas inhabituel, ou bizarre. Ce n’est pas quelque chose de mal. »
« Nous trouver et nous réunir nous a permis de reprendre le contrôle », a ajouté Amy. « Il a exercé un tel contrôle sur nous toutes pendant des années, et probablement sur d’autres femmes dont nous ne connaissons même pas l’existence ».
Aujourd’hui, certaines des femmes qui disent avoir été victimes de harcèlement de la part de Belandres affirment que ce harcèlement n’aurait cessé qu’au début de cette année : appels étranges de numéros inconnus et tweets hostiles provenant de fake accounts. VICE a compilé une liste des comptes que les femmes pensaient lui appartenir et les a vérifiés régulièrement pendant plusieurs semaines. Tous contiennent d’étranges bribes de conversations blessantes, dirigées contre personne en particulier — juste des tweets « d’ambiance » sur le ressentiment envers quelqu’un, ou des plaintes sur un groupe de femmes qui se ligueraient contre lui.
Sarah vit dans une espèce de paix précaire. Bien que Belandres n’ait pas essayé de la contacter à nouveau, elle pense qu’il l’observe toujours.
« Je sais qu’il surveille mes différents comptes sur Internet », dit-elle. « Je pense qu’il sera toujours là. C’est une habitude chez lui, une sorte d’obsession, avec toutes les personnes qu’il a harcelées de cette manière. Mais je me trouve dans un bien meilleur état mental et émotionnel depuis qu’il a disparu de ma vie. »
Plusieurs de ses victimes désirent qu’il soit inculpé au pénal. Mais elles restent également lucides quant à leurs chances de réussite.
« Je ne pense pas que le comportement de cette personne va changer », nous a confié Amy. « D’après moi, il fait ça depuis très, très longtemps… Une grande partie de sa vie d’adulte a été consacrée à harceler des femmes et à s’engager dans ces relations en ligne abusives qui sont très coercitives et manipulatrices. Je ne pense pas qu’il soit intéressé par le fait de pouvoir être aidé à se soigner. Je pense qu’il ne changera jamais ».
« La gravité de ce qu’il a fait, la quantité de victimes touchées et la durée de toute cette histoire, qui se compte en années, pourraient être de bons paramètres pour monter une sorte d’affaire modèle », a déclaré « Patricia », la jeune femme âgée de 18 ans à l’époque qui le suspecte d’avoir posté ses nudes en ligne. Selon elle, l’émission Catfish a donné l’impression que les personnes qui sont ainsi ciblées sur le net sont souvent « des romantiques désespérées qui voient soudain apparaitre des red flags ». Mais, dit-elle, « c’est tellement plus sournois et profond que ça ».
En fin de compte, a déclaré Patricia en parlant d’elle-même et des autres femmes, « nous devons vraiment nous mobiliser. Ça devient un travail à plein temps de nous organiser et de traquer les forces de l’ordre pour leur dire qu’elles doivent vraiment prendre ça au sérieux, que c’est important. C’est toute une autre couche qui s’ajoute au traumatisme. Si on veut qu’on nous écoute, il va falloir forcer les gens à le faire. »
Pour sa part, Belandres dit qu’il veut juste qu’on le laisse tranquille, que le harcèlement qu’il affirme être dirigé contre lui et sa famille cesse.
Cela dit, il nous a confié se demander pourquoi ses relations en ligne semblaient toujours si mal se terminer. Il est entré en thérapie l’année dernière après la mort d’un de ses chiens, et s’est retrouvé à discuter avec certaines des femmes qui l’accusent.
« Quand j’ai l’impression qu’on m’a menti, qu’on m’a blessé ou que quelqu’un n’est pas honnête avec moi, nous a-t-il dit, je réagis mal. J’ai envie de croire les gens quand ils me disent quelque chose. Lorsque vous vous souciez de quelqu’un ou que vous aimez cette personne, vous ne vous attendez pas à ce qu’elle vous mente ou qu’elle couche avec quelqu’un d’autre. » Il reste catégorique sur le fait qu’il n’a jamais essayé d’effrayer qui que ce soit, et qu’il veut vivre une vie tranquille — travailler, regarder la télévision, jouer avec ses chiens. Il va à peine sur Internet, a-t-il ajouté.
Nous lui avons demandé s’il ressentait du regret ou un sentiment de détresse face aux allégations de toutes ces femmes.
« Je me sens mal », nous a-t-il répondu. Une fois, après s’être disputé avec Amy, il lui a envoyé quatre textos, et elle lui a dit plus tard que ça l’avait effrayée. « Je lui ai dit que je me sentais mal de lui avoir fait peur et de l’avoir fait se sentir en danger. Je n’aurais jamais imaginé que c’était ce qu’elle ressentait ».
Certaines des femmes, selon lui, ont essayé de revenir dans sa vie après avoir mis fin à leur histoire ; il m’a envoyé des captures d’écran de SMS de plusieurs d’entre elles. On peut y lire des excuses de leur part après des disputes au cours de leur relation, et elles demandent que Belandres les débloque. « Ça va dans les deux sens », a-t-il dit.
« Peut-être que nous sommes tous simplement nocifs les uns pour les autres », a-t-il ajouté après un moment.
(Peu avant la publication de cette histoire, il nous a également accusés de collusion avec ces femmes. « Je ne suis plus vraiment sûr d’avoir envie de partager quoi que ce soit d’autre avec vous. Pour vous prouver que j’avais plusieurs fois essayé de mettre fin à nos relations, et que je n’étais pas un obsédé ou un type qui ne pouvait pas accepter le rejet, je vous avais envoyé des captures d’écran des messages Instagram de certaines de ces filles qui tentaient de me manipuler pour que je me remette avec elles. Elles ont commencé à supprimer ces messages quelques jours plus tard, et ça pourrait être une coïncidence bien sûr, mais j’espère que vous pouvez comprendre pourquoi je pourrais vous soupçonner de leur avoir partagé ce que je vous avais envoyé. » En aucun cas nous n’avons transmis à ces femmes nos échanges avec Belandres, sauf pour demander à certaines d’entre elles de commenter des affirmations spécifiques de sa part. Les messages auxquels il fait référence n’en ont jamais fait partie.)
Les femmes communiquent régulièrement entre elles, formant un groupe stable et solidaire, sinon d’amies, du moins de compagnes de route. Si Belandres a effectivement commis le harcèlement dont elles se plaignent, cette coalition semble être une punition étrange et, à certains égards, appropriée. Terrifié par cette soudaine exposition, rempli de ressentiment envers elles, enfermé dans un cycle sans fin de surveillance des femmes dont il a brièvement rendu la vie misérable, Belandres a maintenant le sentiment désagréable de savoir qu’elles le surveillent en retour.
« J’ai été choquée de voir qu’il avait fait ça à tant d’autres filles », a déclaré Alexandra, la femme qui avait menacé de le maudire, lui et sa descendance. « Je pensais sincèrement que j’étais la seule ».
Sachant qu’il existe d’autres victimes, elle s’est sentie plus à même de parler de ce qu’elle avait vécu. « Maintenant qu’il y a tout ce groupe de femmes », dit-elle, « c’est le pouvoir énergisant du plus grand nombre contre une seule et unique ordure ».
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