Des personnes noires meurent et des attachés de presse me demandent si j’ai bien reçu leur communiqué sur le dernier album de tel ou tel rappeur noir. Des personnes noires meurent et je suis moi-même une femme noire qui travaille pour une entreprise dont le personnel est en grande majorité blanc et qui doit une grande partie de sa fortune à sa proximité avec le monde du hip-hop. « Aujourd’hui plus que jamais » disent les mails. Mais la mort d’Ahmaud Arbery, Breonna Taylor, George Floyd, et de tous les autres dont les noms ne sont pas devenus des hashtags, n’est pas un phénomène nouveau. C’est le prix à payer quand la société vous considère comme une forme de divertissement plutôt que comme un être humain.
L’industrie de la musique et les médias qui l’entourent se font de l’argent sur le dos de la culture noire et des employés noirs, dans le but de paraître progressistes ou antiracistes. Il s’agit d’un échange de pouvoir social, avec des gardiens blancs qui entrent et sortent de la culture noire comme bon leur semble. « Aujourd’hui plus que jamais », la communauté noire a besoin d’entendre les voix de ceux qui profitent de sa culture.
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« L’incapacité de l’industrie à protéger l’humanité des artistes noirs est souvent inextricablement liée au manque de diversité dans le journalisme musical »
Le mouvement Black Lives Matter et les événements de ces dernières semaines mettent en évidence un système historiquement injuste, notamment une industrie de la musique fondée sur l’exploitation des artistes noirs par des cadres, des annonceurs et des médias blancs qui pensent que la culture noire est leur vache à lait. « Il est parfaitement logique pour moi que le premier mot que les esclaves ont appris soit “VENDU” », écrit la poète et activiste Nikki Giovanni dans Black Ink. Déchirés de leur continent et séparés de leur famille, les esclaves africains utilisaient des chansons pour communiquer en traversant le Passage du Milieu. Il n’est donc pas surprenant que des genres comme le blues, le jazz, la country, le reggae et le rap soient des produits de la culture noire. La musique a toujours été une réponse directe aux systèmes corrompus.
En 2017, le hip-hop est devenu le genre musical le plus populaire aux États-Unis, représentant près d’un quart des diffusions en streaming. Cette transition vers le mainstream s’est accompagnée de contrats d’enregistrement juteux pour ses meilleurs vendeurs, mais on ne sait pas très bien qui en bénéficiait réellement. L’année dernière, Goldman Sachs a estimé que les revenus de l’industrie musicale atteindraient 131 milliards de dollars d’ici 2030. « Actuellement, les plateformes de streaming sont actuellement dominées par les artistes R&B et hip-hop comme Drake, Kendrick Lamar, The Weeknd, Migos et Cardi B, détaille un article de Forbes. Les maisons de disques et les labels devraient également profiter de l’essor du streaming, avec en tête les auditeurs noirs qui constituent le plus grand groupe d’utilisateurs. » En 2018, Universal Music Group a généré plus de 3 milliards de dollars de recettes, et ce sont ses principaux labels comme Capitol, Def Jam et Interscope qui en ont récolté les fruits.
Récemment, ces labels, ainsi que beaucoup d’autres, ont participé à #BlackoutTuesday, une manifestation organisée par Jamila Thomas et Brianna Agyemang, deux femmes noires travaillant dans l’industrie. Dans un communiqué, Def Jam a promis de « faire PLUS », mais ça veut dire quoi ? Si vous ne pouvez pas vous engager de manière crédible à abolir un système qui défend la suprématie blanche et ses effets résiduels, comme les médias à prédominance blanche, alors vous ne méritez pas de côtoyer ces communautés.
L’incapacité de l’industrie à protéger l’humanité des artistes noirs est souvent inextricablement liée au manque de diversité dans le journalisme musical. En avril dernier, une vague de licenciements dans des publications historiquement destinées à un public noir a transformé VIBE, par exemple, en une coquille vidée de la riche tradition culturelle bâtie à son apogée. Les artistes étaient tellement déçus de parler à des journalistes incompétents qu’ils préféraient être interviewés par leurs amis. Et qui peut les blâmer ?
La couverture voyeuriste des scènes trap et drill par les revues musicales a eu de graves répercussions. En 2013, Chief Keef a violé sa liberté conditionnelle parce que Pitchfork a décidé de l’interviewer dans un stand de tir tenant une arme. En 2015, les membres de Migos se sont retrouvés en prison après qu’un épisode de Noisey Atlanta les a filmés avec des armes et de grandes quantités d’herbe. La fétichisation de la vie de rue ne se limite pas aux rédactions remplies d’hommes blancs enthousiastes. Après avoir signé un contrat à six chiffres avec Epic, Bobby Shmurda n’a reçu aucune aide du label pour payer sa caution de 2 millions de dollars. « Quand j’ai été arrêté, je pensais qu’ils allaient venir me chercher, a-t-il déclaré au New York Times depuis la prison en 2015. Mais personne ne s’est jamais présenté. »
Ces deux dernières années, je me suis donnée pour mission d’attirer l’attention sur les négligences de l’industrie au détriment des artistes noirs et, plus important encore, des personnes noires. Même si des artistes comme Kendrick Lamar, Solange et Beyoncé ont montré que la musique de protestation noire peut connaître un succès commercial sans sacrifier l’intégrité artistique, les institutions sont encore loin derrière. To Pimp a Butterfly, A Seat at the Table et Lemonade ont été exclus des catégories Grammy les plus importantes et relégués au rang de musique « urbaine ». Lil Nas X a dû faire appel à Billy Ray Cyrus pour que « Old Town Road » soit considéré comme de la country.
Pour une journaliste comme moi qui se trouve être la seule personne noire dans une rédaction à écrire sur la musique et la culture pop, le fardeau à porter devient trop lourd. Chaque jour, j’essaie de donner de la visibilité à ma communauté. Les images d’Ahmaud Arbery, Breonna Taylor et George Floyd sont un cycle sans fin de traumatismes dont je ne peux pas me permettre de me « détacher ».
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