Sexe

Comment ma vie de Sugar Baby m’a rendue accro à l’argent

Illustration via Flickr.

« Ma vie est belle. J’estime ne jamais avoir manqué de quoi que ce soit, même si ma mère m’a élevée dans la sévérité. Ça m’a permis de marcher droit, on va dire. Je suis une jeune fille ambitieuse, et surtout, amoureuse. » Voici le genre de conneries que j’aurais pu écrire il y a deux ans. À ce moment-là, tout était vrai. C’était avant que je décide de me faire de l’argent en couchant avec des hommes plus âgés et très friqués rencontrés sur Internet.

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Difficile de dater précisément ce moment ; tout est parti d’un manque d’argent relatif. Les revenus de ma famille monoparentale – je vivais avec ma mère – ne m’ont jamais permis d’assouvir ma soif de voyages. Alors plutôt bonne étudiante, j’ai voulu combler cette envie de départ par un échange universitaire. J’ai toujours été attirée par la Scandinavie, sans trop savoir pourquoi ; certainement parce que le cliché français voudrait que les sociétés du Nord soient particulièrement « égales » et développées. C’est forte de cette certitude, comme ça, sans trop savoir dans quoi je m’aventurais, que je me suis retrouvée embarquée pour une année au Danemark.

Je me vois encore convaincre mon mec d’époque : remplis d’optimisme, on se disait que rien ne changerait, qu’il pourrait me rendre visite quand il le voudrait, et qu’à mon retour, tout serait pareil. Entre nous et à tous les niveaux. On planifiait même de prendre un appartement ensemble si notre couple résistait à cette épreuve. À l’heure où j’écris, je suis célibataire.

En effet, après plusieurs mois passés dans la ville de Copenhague, je me suis vite rendue à l’évidence : un loyer là-bas ne se paie pas avec la maigreur des bourses scolaires qui m’étaient accordées. Mes économies se dilapidaient. De fait, je ne voulais surtout pas inquiéter ma mère qui, malgré toute sa bonne volonté, n’aurait pas pu m’aider financièrement. Il suffit de trouver un « petit boulot ». Le truc, c’est que je vous mets au défi d’y parvenir dans un pays duquel vous ne maîtrisez absolument pas la langue. C’est à peu près impossible.

Et le problème, c’est que je n’accepte pas l’échec. En France comme ailleurs. Il m’a donc fallu trouver une solution rapidement et coûte que coûte. Comme toute fille qui lit un tant soit peu la presse féminine, j’avais déjà entendu parler de ces relations « à bénéfices mutuels » dans lesquelles un homme plutôt âgé, qui se sent seul, peut s’offrir la compagnie – ou pour être clair, les services – d’une jeune femme. Moyennant finances. J’ai pesé le pour et le contre. Et je me suis inscrite sur Sugardaters.com.

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Généralement, toute rencontre de ce type débute en ligne. En découvrant que Sugardaters.com est à peu près au Danemark ce que seekingarrangement.com peut être aux États-Unis, j’ai opté pour celui-ci, qui accueille le plus grand nombre d’utilisateurs. Pour l’avoir fréquenté souvent et à de nombreuses reprises, sachez que ce site illustre de la manière la plus précise l’inégalité des sexes inhérente à nos sociétés. Bref. Vous vous attendez sûrement à ce que je décrive ce qu’est le quotidien d’une Sugar Baby dans les faits. Ne vous inquiétez pas, ça arrive. Mais pour l’heure, commençons par l’horreur pure du truc ; ce qui m’a le plus dérangé dans ce « job » fut justement de ne pas le dire, de le cacher, de me contraindre à entretenir ce mensonge, lequel prenait, à mesure que le temps passait, une ampleur grandissante auprès de tous les êtres qui m’étaient chers. Bien sûr, je ne l’ai jamais dit à ma mère. Ni à mon copain. Le premier à écoper de ma nouvelle vie à l’étranger, ce fut lui. J’ai dû le quitter. Je ne supportais pas l’idée de craquer et de devoir tout lui expliquer un jour ou l’autre. À la place, j’ai mis un terme à notre relation et ai préféré paye le prix fort pour pouvoir vivre comme je l’entendais.

J’ai dormi dans des hôtels où la salle de bains faisait littéralement la taille de mon studio. Je possède encore des sacs à main qui coûtent plus cher que ma Twingo d’occasion.

Ce qui caractérise une relation avec un Sugar Daddy – ou plutôt, le contrat avec lui –, c’est le fait que les deux parties n’y cherchent pas un arrangement. C’est au contraire le Sugar Daddy, nécessairement aisé, qui propose un agrément à sa potentielle future Sugar Baby. Pour la fille, il n’y a aucune possibilité de négociation. La Sugar Baby est libre de refuser ou de se plier aux exigences de l’homme, mais en aucun cas, de chercher à faire monter les prix.

Mon premier Sugar Daddy m’a fait part d’envies sexuelles auxquelles je ne voulais me soumettre. J’ai refusé. En retour, il m’a simplement quittée. C’est aussi simple que ça. Sur sugardaters.com, les hommes sont en infériorité numérique et peuvent se comporter comme bon leur semble, car de fait, ce sont eux les clients – et comme partout, le client est roi. Je me vois également obligé de préciser que ledit client souvent est marié. À terme, c’est donc aussi votre fierté qui y passe.

Je dois reconnaître néanmoins que sur un plan purement personnel, ma nouvelle profession de Sugar Baby n’était pas si déplaisante que ça. J’aime le sexe. Du moins, tant que je dispose de mon corps comme bon me semble. Et d’une façon ou d’une autre, je suis toujours parvenue à fixer mes limites et ai pris beaucoup de plaisir à coucher avec ces hommes. En tant que Sugar Baby française exilée au Danemark, j’ai attiré la convoitise de beaucoup d’entre eux. Les Danois aiment les étrangères. Et d’autant plus lorsqu’elles sont Françaises. Je n’ai jamais eu le moindre problème à obtenir des rendez-vous, et au début du moins, tout cela avait un côté plutôt excitant. En exerçant, j’ai rencontré des personnes issues de milieux que je n’aurais jamais imaginé rencontrer auparavant.

Et de fait, plus le temps passait, plus je vivais confortablement. Dès que j’avais besoin de quelque chose, je l’avais. Au Danemark, je me suis fait gâter – terminologie usuelle dans ce milieu – jusqu’à hauteur de 6 000 euros par mois. À quel prix ? À peu près celui de toute ma vie d’avant. Je rappelle que l’idée de départ était d’avoir de quoi me payer un simple loyer dans une métropole européenne chère. Peu à peu, le truc s’était métamorphosé. J’ai lentement mais sûrement pris goût aux cadeaux, aux objets, à l’argent. Puis c’est arrivé. Je suis devenue la sujette d’un train de vie tellement opulent que je n’avais jamais imaginé connaître un jour. Pour moi, avant, cette vie était de la fiction.

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Aujourd’hui, c’est au final la seule chose qui me reste. Cette connaissance-là. Si je perdais ça, c’est un peu comme si j’avais perdu sur les deux tableaux : celui du luxe et celui de la vie sociale.

D’un autre côté, au Danemark, tout était fait, presque volontairement, pour que je sente que je ne ferais jamais partie de cette communauté. J’étais une outsider auprès de la grande bourgeoisie danoise. Je n’appartenais pas à ce monde où l’argent est si abondant qu’il paraît absent, où consommer beaucoup, à des prix exorbitants, n’est jamais un problème. J’ai mangé dans des restaurants où un repas coûtait plus cher que mon loyer. J’ai dormi dans des hôtels où la salle de bains faisait littéralement la taille de mon studio. Je possède encore des sacs à main qui coûtent plus cher que ma Twingo d’occasion. Il est difficile de ne pas prendre goût à tout ça – et très vite.

Bien sûr, j’étais tout à fait consciente que cette vie ne pourrait durer qu’un temps. Pendant 7 mois, j’ai préféré éviter d’y penser. Je vivais au jour le jour. Et je prenais plaisir à me mentir à moi-même, à me dire : « Oh, hors de question de continuer tout ça une fois revenue en France ! » Mais le problème, c’est que ce mode de vie est très plaisant. On s’habitue à ne plus regarder le prix de ce que l’on désire. On s’habitue à ne choisir que le meilleur. « Se faire plaisir », voilà la conception du monde des gens qui possèdent les moyens d’acquérir des choses. Mais toute chose a une fin. Et j’ai fini par rentrer en France.

De retour à la maison, la réalité m’est revenue en pleine face : j’étais seule, sans mec et sans amis. La seule chose que j’avais pour moi, c’était la connaissance de ce luxe que je venais, lui aussi, de laisser derrière moi. Je me suis brutalement rendu compte que le Sugar Dating pouvait s’apparenter à la consommation de clopes : il est bien plus difficile d’arrêter que de commencer.

En conséquence, je n’ai pas réussi à me départir de ce mode de vie prospère d’un jour sur l’autre. Je conservais les réflexes du Danemark, les stigmates de l’opulence. Je me disais : « Il faut que ça change, c’est infernal. Plus de fringues inutiles, plus de sacs à main dont je ne me servirai plus demain. Ça ne sert à rien. » Ce matérialisme s’était durablement ancré en moi pendant presque une année, et il devait cesser. Sauf que non. J’ai fini par rencontrer un autre Sugar Daddy ici, en France. Lui et moi, on se voit de temps en temps, parfois pour un simple café : il s’apparente plus à un mentor qu’à un Sugar Daddy au sens strict du terme.

Petit à petit, j’ai repris confiance en moi et ai rencontré quelqu’un. Mon Sugar Daddy, je le vois en secret. Cette double vie me permet de combiner vie sociale et ce goût du luxe duquel je suis officiellement devenue dépendante. Aussi stupide que cela puisse paraître, je refuse autant d’en décrocher que j’espère chaque jour être en mesure de m’en débarrasser. Du coup, je ne choisis pas.

Mark Twain disait : « Le plus grand danger n’est pas celui qu’on ne connaît pas, mais celui dont on est certains qu’il n’en soit pas un. » L’argent en est un, au cas où vous en douteriez.