C’est toujours le même rituel. J’aime les rituels, ils rationalisent l’absurdité de nos existences et me permettent de continuer à vivre. Réveil engourdi, lavage de mains compulsif, 20 grammes de café et 15 microgrammes de LSD sous la langue. Je suis prête à affronter le monde neurotypique – le monde de ceux qui ne sont pas autistes.
Je suis autiste. Je pense, ressens et traite les informations de manière complètement différente. J’ai été diagnostiquée Asperger à la vingtaine, un trouble neurologique du spectre autistique qui touche le cerveau. C’est assez compliqué à détecter chez les femmes parce que les questionnaires d’évaluation pour l’autisme sont majoritairement réalisés sur des hommes. Quand le psy m’a annoncé le diagnostique, je suis restée silencieuse et j’ai poliment refusé les antidépresseurs pour traiter les symptômes des conséquences de l’autisme, comme l’anxiété, la dépression ou le troubles alimentaires. Aucun médicament ne peut guérir l’autisme. Du moins, c’est ce que les docteurs disent.
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Selon le dictionnaire médical, l’autisme est « le repli sur soi-même avec interruption de tout aspect relationnel et amplification de la vie imaginative. » Chaque autiste cumule certaines de ces particularités à des degrés plus ou moins intenses. Les deux critères obligatoires sont une interaction sociale atypique (ça peut être ne pas aller vers les autres, ou être maladroit socialement, mais aussi parfois être trop extraverti) et le comportement restreint et stéréotypé (des passions insatiables pour lesquelles on développe souvent une grande expertise et un grand sens du détail, des routines, ou des mouvements répétitifs). Il y a un mot pour ça en anglais : awkward.
« Quand j’ai commencé à prendre du LSD et de la MDMA, j’ai subitement eu l’impression que tout se mettait en place »
J’ai l’impression d’avoir franchi beaucoup d’étapes plus lentement que les autres, et d’autres très précocement. Je suis incapable de me repérer dans l’espace. Décrocher le téléphone me donne des sueurs froides. J’ai raté mon permis à trois reprises. Les choses supposées simples me semblent insurmontables. Je socialise maladroitement et j’ai besoin de beaucoup de temps pour moi. Les personnes neurotypiques semblent faire partie d’une vaste conscience partagée dont je ne fais pas partie.
C’est aussi à ce moment-là, quelques mois avant le diagnostique, que j’ai découvert les psychédéliques. Quand j’ai commencé à prendre du LSD et de la MDMA, j’ai subitement eu l’impression que tout se mettait en place. En soirée, la communion avec les gens était grisante. J’ai appris à me laisser aller et à mieux communiquer. C’était la pièce manquante au grand puzzle dans mon esprit. Après chaque trip, j’étais un peu plus insouciante et spontanée. J’encaissais la descente plutôt bien.
Les psychédéliques sont devenus ma nouvelle obsession. Les neurotypiques appellent ça « passion dévorante » ; les médecins « intérêt particulier » . C’est censé être dédramatisant je crois, mais je préfère le mot obsession parce que c’est plus exact. Comme n’importe quel trouble obsessionnel compulsif, ces intérêts se transforment en pensées persistantes, intrusives et obsessionnelles sources d’anxiété.
J’ai passé des heures à écouter les podcasts de Tim Ferris, celui qui a financé une grosse partie du nouveau centre de recherche Johns Hopkins dédié aux psychédéliques. J’ai épluché des dizaines d’études scientifiques comme celle de Alicia Danforth, qui a découvert que les thérapies assistées par la MDMA pouvaient réduire l’anxiété sociale chez les personnes autistes. Et puis bien sûr, j’ai traîné sur Reddit et ses fantastiques sub /psychedelics et /microdosing.
Là, j’ai découvert qu’on pouvait prendre de très petites quantités d’acide ou de champignons hallucinogènes (environ un dixième d’une dose récréative) une fois tous les deux, trois ou quatre jours, selon la méthode, pour se sentir mieux. Les études scientifiques manquent, mais plusieurs rapports et livres (comme The Psychedelic Explorer’s Guide, de James Fadiman) signalent une diminution de l’anxiété, de la dépression, des migraines; ainsi qu’une amélioration de la créativité, l’alimentation, du sommeil et du sexe. Parce que les quantités sont si infimes, l’expérience s’apparente davantage à une forme chimique et illégale de méditation qu’à un trip technicolor. Il fallait que je tente.
« Je suis plus avenante, plus sûre de moi. Les mots me viennent plus facilement. Au boulot, quelqu’un m’a dit : “Ah mais t’es drôle en fait” »
Le premier jour, j’ai versé 10 microgrammes de LSD liquide sous ma langue, et j’ai attendu. Au début, il ne s’est rien passé. Et puis quatre-vingt-dix minutes plus tard, tout m’a semblé plus fluide. J’étais heureuse d’être là. Les arbres étaient beaux, dehors, depuis ma fenêtre. Et puis, j’ai commencé à écrire (c’est mon métier), pendant des heures. C’était comme un flipper dans ma tête. J’ai pondu plus de 4000 mots sans effort ce jour là. Mon boss de l’époque a halluciné.
Depuis, je microdose tout les trois jours, avec quelques pauses d’une ou deux semaines. Je suis plus avenante, plus sûre de moi. Les mots me viennent plus facilement. Au boulot, quelqu’un m’a dit : « Ah mais t’es drôle en fait » . Quand je souhaite atteindre un creative flow ou que je décide de socialiser, je prends une dose plus élevée. Je n’ai jamais eu de bad trips, ni d’effets secondaires palpables (à part quelques maux d’estomac).
Sur Reddit, j’ai discuté avec pas mal de personnes autistes qui microdosent avec des psychédéliques. Ce sont des récits anecdotiques, mais encourageants. « Depuis que je microdose, je suis globalement plus heureux. Ma dépression s’est améliorée et, même si je n’aime toujours pas parler aux gens, les interactions sociales sont devenues plus simples. » J’ai aussi lu ça : « J’avais l’habitude de ressentir de la douleur en touchant des surfaces rugueuses. Maintenant, c’est un peu inconfortable, mais pas au point où ça fait mal physiquement à cause de la stimulation […] Entendre plusieurs sons à la fois ne me donne pas mal à la tête. Les compétences sociales semblent améliorées, ainsi que la réduction de l’anxiété sociale. […] Cet effet a duré un certain temps et j’en profite. »
Pour en savoir plus, j’ai parlé avec Alicia Danforth, psychologue et chercheuse au Los Angeles Biomedical Research Institute (LA Bio Med). En 2018, elle a publié une étude qui prouve que la thérapie assistée par la MDMA est plus efficace pour réduire l’anxiété sociale chez les personnes autistes que la thérapie seule. « Il n’existe pas encore de données scientifiques sur d’autres thérapies psychédéliques pour les adultes autistes. J’ai entendu des récits anecdotiques d’expériences avec des champignons et du LSD chez des adultes autistes. Leurs rapports sont plus ou moins similaires à ceux des personnes neurotypiques, et tout aussi variés. Pour l’instant, nous devons faire davantage de recherches avant de crier victoire. Mais nous restons ouverts d’esprit. » La chercheuse m’alerte aussi des possibles risques à long terme du microdosage, soit une augmentation de la fréquence cardiaque et des modifications de la pression artérielle.
Quoi qu’il en soit, microdoser m’aide à me comprendre moi-même et à être mieux équipée pour affronter la vie. Avec le LSD, j’ai appris à considérer mon autisme non pas comme un trouble qu’il faut traiter, mais comme une façon de voir le monde différemment. Je me dis que sans autisme, je n’aurais pas cette spontanéité, cette sensibilité, cette créativité, bref, ma personnalité.
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