Drogue

Comment un gang de Brooklyn a failli devenir riche en dealant pour El Chapo

Le 15 mars 2016, Maurice Brown, membre supposé du Bushwick Crew, basé à Brooklyn, a posté une photo de lui sur son compte Instagram en train de brandir des liasses de billets dans un club de strip-tease. Il a ajouté un hashtag : #CHAPODABOSS, faisant apparemment référence à Joaquín Guzmán Loera, dit El Chapo, chef du cartel mexicain de Sinaloa, dont le début du procès très médiatique est prévu pour novembre.

Le post de Brown fait partie des 40 pages de pièces à conviction que les procureurs fédéraux ont inclus dans une nouvelle inculpation pour racket contre lui et quatre autres membres supposés du Bushwick Crew début septembre. Les fédéraux ont décrit le groupe comme un gang de rue violent qui inondait New York d’héroïne et de fentanyl. Pendant 7 ans, ses membres exécutaient même leurs rivaux de sang-froid.

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Alors que les procureurs n’ont pas encore réussi à identifier le fournisseur de drogue du Bushwick Crew, des experts du crime organisé ont expliqué à VICE que le gang semble avoir eu des liens avec le cartel de Sinaloa, qui continue de faire du business de drogue entre Los Angeles et New York, en dépit de l’incarcération de son leader.

« Si l’on se base sur les cartes des États-Unis produites par l’administration américaine de lutte contre la drogue qui montrent où les cartels mexicains opèrent, il est probable que ce soit Sinaloa qui fournissait le Bushwick Crew », m’a dit Nathan Jones, professeur en droit pénal et études de la sécurité à l’université Sam Houston State au Texas. « Si vous regardez les cartes, ces gars étaient basés à New York et transportaient de l’héroïne de Los Angeles jusqu’à Chicago. C’est le cœur du territoire du cartel de Sinaloa. »

Plus tôt dans le mois, les cinq membres présumés du Bushwick Crew ont été arrêtés et écroués. Ils se sont « engagés dans une association de malfaiteurs de distribution d’héroïne à une large échelle avec l’aide des cartels mexicains qui font transiter des centaines de kilogrammes d’héroïne vers New York », si l’on se réfère à une note de l’avocat américain Richard Donoghue. Ils ont rejoint plusieurs autres membres présumés de gangs qui ont été arrêtés et poursuivis par les juges fédéraux l’été dernier dans le cadre d’une enquête longue de deux ans.

La note affirmait que les cinq membres du Bushwick Crew récemment inculpés – Maurice Brown, Jaquan Cooper, Lance Goodwin, Tyquan Griem et Norman Marrero – servaient effectivement d’hommes de main. Ils escortaient les trafiquants de drogue, récupéraient par la force des dettes de drogue, et commettaient des actes de violence contre ceux interféraient dans leurs opérations ou leur faisait de l’ombre. Parmi les horribles crimes qui leur sont attribués : la torture et le meurtre en 2013 de Gary Lopez et Rudy Superville, deux flics qui ont supposément essayé de détrousser un des distributeurs principaux du Bushwick Crew en héroïne (Griem n’était pas impliqué dans ces meurtres, mais est accusé du meurtre d’un autre homme nommé Kelvin Johnson).

Trop bling-bling pour faire prospérer le business avec le cartel mexicain

Selon les documents de la justice, Brown, Cooper et Griem ont plaidé non coupable. Goodwin et Marrero ont respectivement été arrêtés en Caroline du Nord et en Pennsylvanie, et forcés à l’extradition à Brooklyn. D’après les publications, ils n’ont pas été assignés à comparaître et n’ont pas été soumis à la plaidoirie. Dans le même temps, Steven Brounstein et Gary Cutler, les avocats de Brown et Cooper, ont refusé tout commentaire. L’avocat de Griem, Samuel Gregory, n’a pas répondu à nos mails et à notre SMS le sollicitant. Goodwin et Marrero sont toujours en attente d’avocats pour les défendre devant le tribunal fédéral de Brooklyn.

Robert J. Bunker, professeur à l’institut de la sécurité des collectivités de l’Université de Californie du Sud, est spécialisé dans les organisations criminelles transnationales et les grands groupes terroristes. Il fait écho à Jones quand il affirme que c’est le cartel d’El Chapo qui est impliqué ici. « Les points de distribution de Los Angeles et de Chicago sont en effet liés à Sinaloa », explique-t-il par écrit. « Deuxièmement, le gang a distribué plusieurs kilos d’héroïne (et de fentanyl) entre janvier 2010 et juillet 2017, ce qui montre une continuité des opérations. Les cartels concurrents de Sinaloa – comme le Beltran Leyva ou la nouvelle génération Jalisco – ont émergé et sont tombés pendant cette période de temps. »

Bunker soutient que les posts de Brown sur les réseaux sociaux offrent aussi une preuve anecdotique du lien entre Bushwick et Sinaloa. « Faire des dédicaces à Chapo tout en travaillant comme distributeur d’un cartel concurrent serait à la fois une chose absurde et un signe d’irrespect qui peut facilement vous faire tuer dans le business du trafic de drogue », me dit-il.

Sinaloa est restée une des organisations criminelles les plus dominatrices dans l’hémisphère Nord, malgré des luttes internes et l’arrestation d’autres leaders majeurs en plus d’El Chapo, selon un rapport sur les cartels mexicains datant de février. « Début 2017, les choses sentaient mauvais pour le cartel de Sinaloa », constate le rapport. « L’arrestation et l’extradition du Chapo ont laissé un vide dans le cartel, que l’étroit associé Damaso Lopez Nuñez (aussi connu sous le nom de El Licenciado) a essayé d’exploiter pour prendre le contrôle de l’organisation. »

Cependant, le rapport explique que « l’insurrection de Lopez Nuñez s’est écrasée et qu’elle ne constitue plus une menace pour les autres factions du cartel de Sinaloa, dirigées par Ismael Zambada Garcia (dit El Mayo) et les fils de Guzmán, Alfredo Guzmán Salazar et Ivan Archivaldo Salazar. »

Le professeur de droit Nathan Jones explique que le Bushwick Crew lui rappelle le réseau américain de distribution de drogue dirigé par Pedro et Margarito Flores, qui est devenu un témoin contre El Chapo et d’autres leaders du cartel de Sinaloa dans une affaire de trafic de drogue à Chicago. Leur coopération a aidé à l’arrestation de plus de 50 personnes, dont environ 40 ont été détenues en mars 2015, selon le Chicago Tribune.

« Ce Bushwick Crew ressemble du groupe de Flores », dit Jones. « Il avait engagé des connexions avec cartel et les membres locaux des gangs, qu’ils utilisaient comme des hommes de main. La seule différence était que Flores faisait davantage profil bas. Ce groupe semble bien plus fanfaron. »

Selon la déposition, les membres du Bushwick Crew Luis Lopez et Peter Vasquez – qui ont été mis en cause en juillet – ont eu des contacts directs avec un cartel mexicain et recevaient régulièrement des cargaisons de kilos d’héroïne valant des millions de dollars depuis les autres États. « Les planques du gang contenaient la bagatelle de 40kg d’héroïne pendant la première vague d’arrestations en juillet 2017 », affirme la note. « Les quantités significatives d’héroïne exigeaient fréquemment le transport de centaines de milliers de dollars en liquide, dont étaient chargés les membres de bas étage de l’organisation. »

Les juges fédéraux ont affirmé que les forces de l’ordre avaient saisi près d’un million de dollars de recettes du gang, plus de 10kg d’héroïne, plusieurs kilos de fentanyl et une collection impressionnante de voitures de luxe – Lamborghini Huracan, une Rolls Royce Ghost et une Mercedes CLS63.

Bunker pense que le Bushwick Crew a mis en péril ses opérations en affichant son style de vie extravagant sur les réseaux sociaux, en attirant de plus en plus l’attention. « Ils ont surtout commencé à faire comme dans Scarface avec le bling-bling, l’opulence, les fêtes, et ils ont pensé qu’ils étaient intouchables », me dit-il. « C’est la dernière chose que voudrait le cartel de Sinaloa car c’est mauvais pour le business. »

Selon la théorie de Bunker, le cartel a déjà trouvé un nouveau groupe pour remplacer le Bushwick Crew dans la chaîne. « De nouveaux accords de distribution avec une organisation criminelle plus discrète et plus intelligente auraient rapidement été trouvés », affirme-t-il. « Beaucoup de gangs locaux qui existent dans cette partie de New York sauteraient immédiatement sur l’occasion de devenir les nouveaux distributeurs d’héroïne du Sinaloa. »

Joseph L. Giacalone, détective émérite de la NYPD et professeur à l’université de justice criminelle John Jay, explique que les cartels mexicains, et surtout Sinaloa, ont régné à New York pendant des décennies. « Les cartels aiment créer des compartiments », me dit-il. « Ils font des deals avec tous les gangs de rue. Au Texas et en Arizona, les cartels ont même été impliqués avec des groupes suprémacistes blancs. »

Giacalone pointe du doigt le coup de filet de Francisco Quiroz-Zamora, un trafiquant supposé de 41 ans qui, d’après les flics, stockait plus de 20 kg de fentanyl dans deux hôtels du Bronx et de Manhattan, assez pour tuer des millions de personnes. La DEA a saisi les opiacés mortels durant deux raids en juin et août 2017.

À l’époque, lors d’une conférence de presse, l’agent spécial de la DEA de New York, James J. Hunt, a déclaré que l’enquête sur Quiroz-Zamora « donnait au public américain une vue intérieure de la vie quotidienne d’un trafiquant de drogue du cartel de Sinaloa. »

« On peut affirmer sans risques que le cartel de Sinaloa a ses tentacules ici, à New York », conclut Giacalone.

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