Confessions d’une femme battue

« Il n’y avait jamais eu de violences physiques avant, si ce n’est une brique de jus d’orange jetée à la figure et un coup de poing dans le mur. Des violences verbales oui. J’ai laissé passer parce qu’à la base c’était un ami. C’est difficile de fixer une limite. On est resté potes six mois, puis ça s’est transformé en relation amoureuse il y a un an. Il s’était installé chez moi et retournait de temps en temps chez ses parents. Ils m’appréciaient beaucoup parce que j’étais quelqu’un de bien qui était arrivée dans sa vie. Avant notre rencontre, il avait fait quelques conneries. Concernant ses autres relations, il m’avait parlé d’une histoire avec une ex soi-disant folle. Il l’aurait repoussé après une dispute et la tête de la fille avait tapé la porte. Il l’avait ensuite convaincue de retirer sa plainte, allant jusqu’à se mettre des coups pour faire croire à des violences réciproques. Maintenant je repense à cette fille dont je n’ai jamais vu le visage. Si ça se trouve ce n’était pas une porte et il l’a amochée pareil. C’est pour ça que je me suis prise en photo aux urgences. Façon de dire que je ne mentais pas, peu importe sa version.

Ce samedi-là, on était cinq. Une copine à moi et un pote et une copine à lui. On a fait le début de soirée chez moi avant d’aller en boîte. À l’intérieur, son pote m’a fait une déclaration d’amour. Lui s’en est rendu compte. Les premières insultes entre eux ont démarré sur le parking, en sortant. Arrivés chez moi, la pression n’est pas redescendue. Un « fils de pute » de trop est sorti et ils se sont battus dans mon salon. Impossible de les arrêter. Son pote a pris une correction avant de rentrer. Lui s’apprêtait également à partir sauf qu’il y avait du sang partout. Alors qu’il avait pris place dans sa voiture, je l’ai suivi pour lui dire que je n’étais pas sa boniche et qu’il fallait nettoyer ses conneries. L’agression est partie de là.

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« L’inquiétude portait surtout sur la fracture du plancher orbital avec le risque de paralysie de l’œil »

Il est descendu de la voiture et m’a saisi fortement par les cheveux. J’ai essayé d’attraper sa main lorsqu’il m’a ceinturé. Trop fortement. J’ai alors paniqué et j’ai commencé à lui mordre l’oreille pour qu’il me lâche. Il a continué et, à contrecœur, j’ai mordu plus fort. À ce moment-là, je voulais juste m’enfuir en courant. Sauf que je n’ai pas eu le temps, puisqu’il m’a mis un coup de poing. Je suis tombée par terre, KO. Sa copine est venue à mon secours et m’a réveillée. Je lui ai dit que j’étais défigurée. Elle m’a réconfortée avant que je ne reçoive un second coup. Sans doute avec son pied car ma tête a heurté le sol en béton. Pour moi, c’était le coup final. Ça a résonné et j’ai vu tout noir. Je pensais que j’étais morte. Il a continué de taper car le légiste relèvera une quinzaine de lésions sur tout le corps. Un voisin est intervenu alors qu’il était en train de me frapper avec sa ceinture. Il s’est arrêté et a commencé à se justifier en disant que je lui avais arraché l’oreille. Finalement, c’est lui qui a appelé les gendarmes, sans doute pour éviter qu’on l’accuse de non-assistance à personne en danger.

Pendant ce laps de temps je suis restée inconsciente. Je n’ai aucune idée de la durée de l’agression. L’avocate m’a fait lire la retranscription de son appel aux gendarmes. Après un « Elle m’a arraché l’oreille cette pute », il a dit que j’étais défigurée.

Les gendarmes ont répondu qu’ils prévenaient les pompiers mais il a répondu : « Rien de grave, elle va payer cette salope. » Il a raccroché et selon sa pote, qui a pleuré vingt minutes non-stop pendant son heure de déposition, il a remis un dernier coup. Alors qu’il remontait dans sa voiture, elle m’a réveillée une seconde fois en disant qu’il allait me rouler dessus. Elle m’a aidée à me relever. J’y suis parvenu. J’imagine que ça doit être ça l’instinct de survie.

J’ai été conduite aux urgences dans la foulée. L’inquiétude portait surtout sur la fracture du plancher orbital avec le risque de paralysie de l’œil. Après dix heures d’examen et d’attente le dimanche, j’ai voulu rentrer. Totalement instable, j’ai fait un malaise en sortant. On m’a finalement raccompagné en soirée. Le lendemain, les vertiges ont repris de plus belle. C’était horrible. Même allongée ça tournait sans cesse. Une amie est restée à mon chevet sur les conseils du SAMU. Ma grande peur était de m’évanouir et de ne pas me réveiller. Ou de perdre des mots car j’avais des problèmes d’élocution. Trois semaines après, je garde encore les cocards et l’œil injecté de sang qui tire. J’ai mal au crâne, à la mâchoire et à la hanche à cause de la chute. Je découvre aussi des douleurs musculaires qui se réveillent a posteriori, selon ce que m’a expliqué le kiné. Je vais devoir consulter un ORL, un ostéopathe et refaire un scanner cérébral. Plus les séances de psy. J’en ai pour plusieurs mois d’arrêt. Une période où je ne serai pas payée puisque je suis sous le statut d’auto-entrepreneur. C’est un gouffre financier en attendant le renvoi sur intérêt civil. Je comprends désormais les femmes qui ne portent pas plainte. C’est une démarche très lourde, chronophage, pour un résultat minime.

Il a été interpellé et entendu dix jours après la soirée. Il a changé plusieurs fois de version, en insistant pour dire qu’on n’était pas en couple. Pour éviter la circonstance aggravante de violences sur conjoint. Mes amis ont dû aller à la gendarmerie pour affirmer le contraire. Il a été jugé en comparution immédiate l’après-midi même. L’audience a été un moment très difficile. J’étais dans un piteux état, c’est mon père qui m’a portée jusqu’au banc de la partie civile. J’en suis ressortie avec un mélange de déception et de frustration. Il y a d’abord le choc psychologique de revoir son agresseur. Ensuite l’énoncé du rapport médical avec toutes les lésions. J’avais la nausée, j’ai dû demander à mon avocate d’approcher la poubelle au cas où. Pendant les débats, j’ai eu le sentiment qu’il avait beaucoup plus la parole que moi. Et puis le verdict. J’attendais que le tribunal suive les réquisitions du procureur qui demandait un an ferme avec mandat de dépôt. Il a finalement été condamné à six mois de prison. Une peine qu’il effectuera très certainement sous bracelet. Il avait plusieurs mentions au casier mais pas pour des violences. Trois personnes avaient déjà été victimes de lui mais ça n’apparaissait pas car les victimes avaient eu moins de huit jours d’ITT. Le fait d’avoir trouvé un travail entre-temps a joué en sa faveur aussi. Quand je pense que je l’ai aidé dans ses démarches…

Un juge d’application des peines décidera à la fin du mois du placement sous bracelet ou de l’amende journalière. Sans que je puisse connaître la décision. Comment je fais du coup ? Je vis dans la crainte de le recroiser. Alors oui il a une interdiction de contact avec moi mais il n’a pas d’interdiction d’être dans la ville où j’habite. J’ai déjà changé mes habitudes de vie mais ce n’est pas à moi de déménager. Dans un appartement, en location, ça passe encore. Sauf que j’ai construit ma maison. C’est un projet de longue date, je ne peux pas tout changer.

Il va forcément revenir, sans doute par le biais de quelqu’un d’autre. J’ai déjà reçu un texto d’un de ses potes. Pour ma psy c’est un pervers narcissique. La plupart de nos conflits avaient d’ailleurs un lien avec mon frère avec qui j’ai une relation fusionnelle. Il ne le supportait pas et faisait tout pour l’éloigner de moi. Ne pas avoir l’emprise totale sur moi l’énervait. Suite aux violences, il s’enferme dans le déni et se victimise. Sans aucun sentiment de culpabilité, de regret ou de remise en question. Quelques heures après les faits, il m’avait envoyé par texto : “Je savais que ça allait arriver un jour. Rien ne sera jamais comme avant, oublie-moi pour la vie.” Ça veut dire qu’il savait qu’il allait me taper dessus ? Le pire reste le fait ne pas se rendre compte de la nocivité du personnage. Ni moi, ni mes proches, ni les siens. Il manipule tout le monde au final. Le seul élément à la fois rassurant et réconfortant, c’est que la majorité de nos amies communes me soutiennent. »

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