Santé

Visages nécrosés et confinement : l’horreur de la médecine esthétique clandestine

chirurgie esthétique coronavirus

Au panthéon des étranges passions de ma famille accro aux faits divers, la clinique de l’horreur du docteur Maure occupe une place à part. Ce généraliste marseillais à la ressemblance troublante avec James Garretson – la balance diabolique de Tiger King – ayant charcuté plus de 300 patientes lors d’opérations de chirurgie esthétique au milieu des années 90 vient régulièrement nous hanter, ressurgissant à point nommé lorsqu’une actrice célèbre ou une connaissance semble avoir abusé du bistouri. Qu’est ce qui a bien pu pousser des femmes en pleine possession de leurs capacités mentales à aller se faire corriger le portait à vil prix au sein d’un simulacre de bloc opératoire lugubre et non conforme aux normes d’hygiène ou trônait entre autres une poubelle pleine d’ordures, comme l’ont rapporté certaines victimes ? Des complexes traînés depuis trop d’années et la quête désespérée d’un certain idéal plastique, à en croire les malheureux protagonistes de cette sombre affaire qui s’est finie derrière les barreaux pour Michel Maure.

En dépit des apparences, rien n’a changé deux décennies plus tard, bien au contraire : si les femmes réfléchissent à deux fois avant de passer sur le billard pour s’embellir, les interventions de médecine esthétique non invasive et ne nécessitant pas d’hospitalisation se sont banalisées. Influencées par les nouveaux canons de beauté ultra injectés popularisés par la fratrie Kardashian et la quasi totalité du paysage télé-réalité français, des jeunes femmes parfois mineures n’hésitent plus à avoir recours aux fillers, produits injectables et résorbables destinés à repulper les lèvres où à combler des rides imaginaires qu’elles n’affichent pas encore.

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Biberonnées aux réseaux sociaux, beaucoup d’entre elles ignorent tout de la législation qui stipule que seul un médecin qualifié est habilité à pratiquer ce genre d’intervention. Elles optent pour les services bradés d’expertes autoproclamées, esthéticiennes ou coiffeuses qui pratiquent des injections dans la plus totale illégalité. En Février dernier, Complément d’enquête se faisait d’ailleurs l’écho de ce commerce clandestin sordide qui expose ses protagonistes à une condamnation pour exercice illégal de la médecine allant jusqu’à 30000 euros d’amende et deux ans d’emprisonnement.

Avec les mesures restrictives découlant de l’épidémie de Coronavirus, un palier supplémentaire a été franchi : accros aux selfies et désespérées de ne pouvoir se rendre dans un cabinet esthétique, certaines femmes n’hésitent pas à braver les mesures de confinement pour aller se faire injecter illégalement dans des appartements lugubres loués à la journée.

« J’ai crée ce compte en plein confinement, et je suis déjà dépassée par tous les messages de victimes que je reçois. Je ne pensais pas me retrouver avec autant de photos et témoignages »

L’alerte m’est donnée par un chirurgien réputé, affolé par ce phénomène en pleine implosion. Submergé d’appels paniqués de patientes ayant eu recours aux piqûres clandestines depuis le début du confinement, il m’informe de l’apparition d’un compte Instagram exposant au grand jour les injectrices illégales. Une enquête palpitante bienvenue en cette période de calme plat dû à la quarantaine, et du pain béni pour la fan du Nouveau Détective que je suis.

Celle par qui le scandale éclate, c’est elle : face à la prolifération d’injectrices non qualifiées dont de nombreuses candidates de télé-réalité font la promotion éhontée, Pauline*, élève-avocate de 25 ans, décide de créer le compte instagram @fake_injectors. Surfant sur la vague du name and shame qui a fait le succès de @diet_prada, justicier du web qui expose les plagiaires et autres usurpateurs de l’industrie de la mode, Pauline s’improvise whistlblower de la piquouze : bouches tuméfiées, nez nécrosés et peaux brûlées, son profil qui expose sans filtre les ravages de ces injectrices clandestines est un musée des horreurs trash. L’intérêt d’une telle démarche ? Sensibiliser les jeunes femmes à l’importance de recours à des professionnels qualifiés, et exposer publiquement les injectrices clandestines qui bloquent son compte à tour de bras dès qu’elles se voient affichées dans ses stories ulcérées.

« J’ai crée ce compte en plein confinement, et je suis déjà dépassée par tous les messages de victimes que je reçois. Je ne pensais pas me retrouver avec autant de photos et témoignages. Beaucoup de filles sont malheureusement désemparées et n’osent pas porter plainte, surtout que les méthodes de ces injectrices sont scandaleuses: elles se connaissent toutes entre elles, se soutiennent, bloquent celles qui ont le malheur de se plaindre de leurs interventions ratées et les menacent de poursuites en diffamation ».

Une mafia souterraine du botox qui exercerait sans relâche même en période de confinement, d’après Pauline. Ni une ni deux, je poste un appel à témoins dans les commentaires de l’une de ses photos. Les langues ne tardent pas à se délier: mes messages Instagram pullulent de témoignages qui me supplient de garantir leur anonymat par « peur des représailles » de la Cosa Nostra des ducks faces.

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Je grimace de douleur en lisant les mots de Perrine, à la lèvre brûlée suite à une intervention dans un appartement de Vénissieux après un rendez vous pris avec @dermaglow.france; sans parler du témoignage de Manon, injectée par @Neslynlb dans un appart-hotel de la place Vauban à Lille. Tour à tour prothésiste ongulaire, poseuse de faux cils, cette dernière se présente sur son profil comme « spécialisée dans la médecine esthétique ». Quant à Lou, elle m’explique avoir pris rendez-vous dans l’institut de @sonia_injections (qui a selon toute évidence supprimé son compte face au tollé) sur un coup de tête, influencée par les stories instagram élogieuses des candidates de télé-réalité Amelie Neten, Lea Mary et « Océane, une blonde qui a fait les Anges ». Elle y subit une injection des lèvres ultra douloureuse dans le salon d’un appartement de Colombes, en présence des deux enfants de l’injectrice.

« Je reçois des photos de patientes massacrées, avec des infections et des nécroses »

Piégée par @fake_injectors vidéos à l’appui, la dénommée Sonia confirme qu’elle poursuit son activité d’injections au visage, dans les fesses et – cauchemar ultime – dans les parties génitales en période de confinement, les injections d’acide hyaluronique sur la zone du point G étant réputées accroître l’intensité des orgasmes. Tout comme « la technicienne pro du regard et dermographe » autoproclamée @zahraa_beauty, qui indique dans ses stories poursuivre ses injections dans le fessier alors même que le monde entier est en lockdown forcé.

« C’est un phénomène qui a commencé l’été dernier, et n’a fait que s’accroître depuis le début de l’année en dépit du confinement, dans une période où aucun médecin ne consulte ou n’opère, confirme le docteur Franck Benhamou, chirurgien esthétique. Il s’agit principalement de patientes entre 17 et 23 ans. Au départ, elles se rendent dans ce genre d’instituts pour des questions de budget, alors que les tarifs de ces injectrices illégales ne sont que légèrement inférieurs à ceux d’un médecin. Je reçois des photos de patientes massacrées, avec des infections et des nécroses. Si le botox est un médicament et suit la vente du circuit médical, l’acide hyaluronique est à la portée de tous, sur amazon et alibaba! Nous ne sommes pas habilités à faire des signalements, seules les patientes sont habilitées à porter plainte et elles sont souvent démunies »

Un phénomène également observé par le Docteur Mihai Gorj, chirurgien spécialisé en médecine esthétique et reconstructrice. « Je reçois de plus en plus de patientes qui me demandent de réparer des résultats catastrophiques engendrés par ces injections hors la loi : asymétries, irrégularités, boules sous la peau et j’en passe ! Combien de fois j’ai entendu récemment « ma coiffeuse peut me faire une injection avec de l’acide hyaluronique acheté sur internet, pour moitié moins cher qu’un médecin » Cela devient vraiment préoccupant »

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Des interventions sauvages et illégales payées systématiquement en liquide ou via Paypal, condition sine qua non des injectrices. Des paiements sans traces qui ne laissent que peu de recours aux victimes, comme me l’explique Sarah, qui regrette amèrement ses injections effectuées dans un appartement du 6ème arrondissement de Lyon par @aunessa_, praticienne de blanchiment dentaire et injectrice illégale à ses heures perdues. Dans les captures d’écran de messages qu’elle me fournit pour étayer son témoignage, face aux questionnements légitimes de sa jeune patiente, celle ci précise que « la praticienne a 12 diplômes à son actif » (rien que ça) « et est parfaitement habilité pour ».

L’ignorance de jeunes femmes matrixées par les réseaux sociaux et leur quête effrénée de la perfection plastique suffit t-elle à expliquer de telles conduites à risques ? Au-delà du débat sur ces pratiques délirantes, beaucoup pointent du doigt l’addiction à la médecine esthétique, syndrome récurrent chez les très jeunes femmes d’une génération bercée aux filtres et qui a fait de la dysmorphophobie son mal du siècle.

« Celles qui manifestent des comportements addictifs à la chirurgie esthétique le font pour compenser d’autres insécurités personnelles, décrypte le Dr Gorj. Il est important d’expliquer aux jeunes patientes que la médecine et la chirurgie esthétique sont des moyens de prévenir, d’entretenir ou de corriger certains traits physiques mais ne seront jamais un substitut à l’amour de soi. En période de confinement, on est tous fragilisés et faces à nous-mêmes, et une telle frénésie peut en effet s’interpréter comme une forme de fuite »

Aux dernières nouvelles, plusieurs signalements auraient été effectués par @fake_injectors auprès de l’ANSM (Agence Nationale de sécurité du médicament et des produits de santé), et de nombreuses victimes affirment avoir déposé plainte contre leurs injectrices. Affaire à suivre, et pour citer Jean-Marc Morandini dans son émission Crimes, d’ici là, restez prudents.

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