En mars 1992, des membres de l’Austin Fraternal Order of Police tombaient sur « Cop Killer », un titre de Body Count, groupe de metal de Los Angeles formé par le rappeur Ice-T.
Le titre de la chanson et son sujet ne pouvaient êtres plus brûlants : le titre dressait le portrait d’un personnage qui menaçait de « presser la détente / pour effacer quelques flics ». Une introduction en spoken word expliquait comment ce même vengeur masqué avait des envies de « traîner un flic au milieu d’un parking pour lui faire éclater sa putain de face «.
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Il n’a fallu que quelques semaines pour que la Combined Law Association of Texas appelle à un boycott contre Time Warner, compagnie de Sire Records (qui avait sorti l’album) et une vague de protestation qui a mobilisé des organisations de la police, des membres du Congrès, le président George Bush, et même la figure controversée (mouillée dans l’affaire de l’Iran-Contra) Oliver North, qui avait trouvé le moyen de comparer le chanson à l’oeuvre de Charles Manson.
Acculée, Time Warner stoppa net la distribution du titre, à la demande d’Ice-T. Pourtant, Ice [de son vrai nom Tracy Marrow] n’avait pas complètement rendu les armes : il filait des copies du disque gratuitement à qui le voulait et, en plein contexte électoral, le morceau n’a pas tardé à refaire surface.
« Cop Killer » a été associé aux émeutes de 1992 à Los Angeles, alors qu’il avait été écrit en 1990 et que Ice-T le jouait bien avant son enregistrement en 1991, la même année où un motard noir prénommé Rodney King se faisait arrêter pour violation du code de la route par quatre officiers du LAPD et prenait plus de 50 coups de matraque.
La version définitive du morceau clôturait le premier album du groupe sorti en mars 1992, elle mentionnait le procès de King, alors que les policiers l’ayant tabassé venaient tout juste de se faire acquitter, ce qui fut le déclencheur d’une semaine d’intenses violences à L.A. du 29 avril au 5 mai 1992.
Noisey : Quand as-tu réalisé à quel point ce morceau rendait fou les gens ?
Ice-T : Quand on a commencé à la jouer, ça a fait décoller le groupe, c’était notre hit. Pour beaucoup, on gueulait simplement après les flics, et les kids se retrouvaient là-dedans. Après, si j’avais sorti un morceau intitulé « Fireman Killer », je ne crois pas qu’il aurait reçu le même accueil, mais dès que tu parlais mal des flics, tout le monde était derrière toi. On a fait Lollapalooza, il n’y a eu aucun préjudice causé, c’était juste du rock ‘n roll et on a continué. Mais ensuite, on a commencé à nous emmerder et ça a très vite pris des proportions énormes. Quand j’ai appris la chose, je l’ai su de la bouche du Président en personne. J’étais à la maison et quelqu’un avait vu Dan Quayle à la TV, ils m’ont appelé et m’ont dit « Yo, le président est en train de te défoncer en direct, mec ». On a mis les infos et on est restés bouche bée. On s’est dit, « attends, on parle bien d’un de nos morceaux, là ?! » C’était vraiment une réaction excessive.
Et c’était avant les émeutes de Los Angeles…
Ouais, tout le monde pensait qu’on allait faire un disque en réponse aux émeutes, comme si on allait profiter de la tendance pour inciter les gens à tuer des flics. Ce qu’il s’est passé, c’est qu’on a juste prédit ce qui allait se passer.
Les gens venaient t’en parler personnellement ou tout passait par le label ?
Ils n’ont laissé aucun répit à notre label, leur discours c’était : « Ice est un jeune noir qui en a après les flics, on peut comprendre ça, mais pourquoi vous, Warner Bros, lui donnez une plateforme pour s’exprimer ? »
Tu penses que la réaction aurait été différente si ça avait été un morceau de rap plutôt qu’un titre punk/metal (visant davantage un public blanc) ?
Ils ont menti en qualifiant la chanson de « morceau de rap », ce qui était totalement raciste. S’ils avaient présenté ça comme du « rock », beaucoup de Blancs se seraient dit « bon, j’aime bien Fleetwood Mac, peut-être que je vais aimer cette chanson. » Le fait de nous étiqueter comme groupe de rap, ça instaurait une barrière raciale. Avec Body Count, on transférait la rage des jeunes noirs aux jeunes blancs, parce que les Blancs comme les Noirs avaient la rage contre les mêmes choses.
Selon toi, la rage est la même en 2017 qu’en 1992 ?
Non, les kids aujourd’hui sont mous. Aujourd’hui, il n’y a plus de rage. On doit faire face à un monde complètement délirant et le seul truc qui pourrait réveiller les gens est ce putain de psychopathe de Donald Trump. Il fait tellement flipper tout le monde, tout autour de la planète, qu’on pourrait être à l’aube d’une Troisième Guerre mondiale. Je n’ai jamais regardé autant les infos de ma vie. C’est de plus en plus grave, et la musique reflète cet état des choses. On est dans ce que j’appelle une « bulle de bullshit ».
Est-ce qu’il nous faudrait un autre morceau enragé comme « Cop Killer » ?
Je ne crois pas qu’un morceau règle quoique ce soit. J’ai écrit ce titre à l’époque des élections et je me disais : « Mais qu’est ce qui se putain de passe ? » Voilà ce qui m’a inspiré. C’est un des rares disques qui a été banni en Amérique. Tu peux faire des recherches et checker combien de disques ont été retirés de la vente dans l’histoire de la musique. On dit que tu fais partie de l’histoire quand tu construis quelque chose ou que tu détruis quelque chose, et je crois que j’ai fait les deux.
Tu étais harcelé par les parents, la police, les politiciens et tu as quand même atterri en couverture de Rolling Stone. Ou peut-être que c’est justement pour ça…
Alan Light qui avait fait quelques trucs sur moi avant m’avait offert quelques pages pour que je raconte ma version de l’histoire et mette les choses à plat. Puis on a pris la photo, Mark Seliger avait eu l’idée de me faire porter un uniforme de police pour faire encore plus enrager les flics. J’étais là, « bordel, faisons-le ! » C’est un peu contradictoire, mais sur le coup, je trouvais ça marrant.
Tu as des amis flics aujourd’hui ?
Pas du LAPD, mais je connais quelques personnes qui ont des membres de leur famille travaillant dans la police. Mon voisin est flic. Je vis en Arizona, à côté d’un flic.
Le morceau n’était pas dirigé contre tous les policiers mais contre ceux qui étaient corrompus et racistes.
Je ne déteste pas tous les flics, j’en joue un à la télé depuis 18 ans. Quand j’étais plus jeune, que je traînais dans la rue et que j’enfreignais la loi, on ne haïssait pas les flics, on les considérait juste comme nos opposants, et on devait être plus malins qu’eux. Evidemment, je voue une haine aux racistes mais qu’ils soient flics ou non n’a pas d’importance. Les flics sont des êtres humains et le fait de prêter serment ne leur procure pas de pouvoirs surnaturels. Il y en a des bons et des mauvais. Un flic peut te sauver la vie et peut te l’enlever. Et c’est valable pour n’importe qui.
Tu penses quoi de l’héritage de la chanson ?
« Cop Killer » était un morceau de protestation, à la manière des protest-songs des années 60. Le message état clair : on en avait marre des brutalités policières et je pense que c’est toujours pertinent aujourd’hui, c’est une piqûre de rappel : le pouvoir peut très facilement être corrompu.