À deux pas de la Légion étrangère, dans une zone industrielle de la commune d’Aubagne, Pierre André Aubert cuit les aliments sous le soleil exactement. Des toiles d’ombrage tendues à la va-vite aux premiers jours de l’été délimitent Le Présage, sa gargote de plein air.
Ingénieur aéronautique converti à la cuisine, le garçon, qui s’est rapidement rendu compte que se faire gueuler dessus par un type suant aux fourneaux, c’était pas trop son truc, s’est installé dans un des coins les plus ensoleillés de France.
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Le jeune cuistot s’est dit que le beau fixe pouvait servir à autre chose que la marque de bikini. À faire des plats, par exemple, et à revenir aux fondamentaux initiés par sa mère bio végétarienne qui, à défaut de lui avoir fait une cuisine très sexy, l’a habitué aux goûts francs du poireau de jardin.
Ces deux pôles ont trouvé leur point de convergence dans « la vision de ce que pourrait être la cuisine dans 60 ans : un restaurant propulsé au solaire ! ». Où l’on tente de se rafraîchir à coups de brumisateur. Parce qu’à l’approche du fourneau, c’est la sécheresse instantanée. En plein cagnard, la bête monte à 450° !
« C’est une plaque coup de feu classique, en fonte, dont la particularité, est d’être chauffée uniquement par le soleil », décrit-il. Une grande parabole faite de poly miroirs en aluminium concentre la lumière solaire dans un plus petit miroir secondaire, une espèce de corbeille réfléchissante qui, placée sous le fourneau, transmet l’énergie suffisante.
« Je suis comme un gamin, je fais du feu avec un miroir », s’éclate Pierre André qui vient d’enflammer en quelques secondes un bout de bois glissé devant le réflecteur. Ce nouvel outil pour cuisinier est breveté par Wolfgang Scheffler, une pointure du four solaire qui l’a testé pour de grandes cuisines en Inde et que Pierre André avait déjà essayé au Kenya.
Un jour de grand beau, la plaque envoie le max de chaud en 30 minutes. « Au centre, on a l’équivalent de ce qu’on obtient avec le gaz ; autour, c’est plus doux. On glisse la casserole selon la température nécessaire, c’est une manière sensitive de faire la cuisine », ajoute Pierre André.
« Voir comment la météo va impacter ta façon de cuisiner, ça a un côté hyper poétique. Ce qui se mange là, ne pourra se manger ni ailleurs ni à aucun autre moment. »
Plus météorologique, tu meurs. « On grille jusqu’à 19 heures, on garde au chaud 4 heures après le coucher du soleil, on cuit jusqu’à décembre et les jours de pluie, on est en repos ! »
Les jours nuageux, Barbara prend le relais : deux feux, baptisés comme une chef de partie, alimentés au biogaz – produit entièrement avec les déchets de la popote. « Voir comment la météo va impacter ta façon de cuisiner, ça a un côté hyper poétique », observe Pierre André devant ses carottes bronzées, « ce qui se mange là, ne pourra se manger ni ailleurs ni à aucun autre moment ».
Le Présage balance des recettes comme un autre restau pourrait le faire. Plus de légumes peut-être et essentiellement du locavore pour profiter de cette banlieue maraîchère de Marseille. Sinon, le mode culinaire « o sole moi » n’interdit rien. Sauf le wok, trop puissant, la friture, trop dangereuse pour cette installation précaire, et les cuissons au four.
Un système de récupération de l’énergie sous la plaque coup de feu – une sorte de « boîte » équipée d’un ventilo qui donnerait une chaleur tournante – est encore en cours de développement.
Tous les jours, ce restau « fait travailler l’imaginaire » selon son chef. Comme l’eau, « est un des trucs les plus coûteux en énergie », les pâtes cuisent à l’économie. D’abord toastées puis glissées dans une louche de bouillon, lentement au coin du fourneau et enfin, al dente au dernier moment dans une sauce.
Les falafels de ce midi, passeront eux à la poêle, tout comme les financiers, aménagés pour la cause en petits blinis, mais au goût identique. Le maquereau, saisi minute, sera servi avec des haricots poêlés aux cerises.
Pour le dessert, Pierre André regarde littéralement des abricots avec une loupe XXL d’1 m de large. Elle projette un petit rayon très précis au centre du fruit recouvert de sucre. En quelques minutes, l’abricot se met à buller et à caraméliser. C’est cuit à cœur, tandis que les côtés restent crus. Sensation inédite.
« J’ai trouvé une cuisson que je ne saurais pas faire autrement », assure le luminou. « On pourrait ainsi brûler des crèmes, ouvrir des tellines, griller des sardines et breveter le système dans une vraie cuisine équipée d’un puits de lumière. »
Certes le solaire n’est pas moins cher – le coût de l’énergie, somme toute assez peu élevé en restauration, ne serait rentable qu’après 15 ans. « On se fait chier grave pour jouer simplement avec le goût », avoue Pierre André tout feu tout flamme. Mais « c’est une économie durable, un concept qui a du sens, rentable pour 20 couverts, 6 mois de l’année ».
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En Inde, les solar cookers de Scheffler permettent 10 000 couverts par jour. Aubert a embauché un seul volontaire solaire, Charles Zint, jeune toulousain sorti d’école hôtelière qui kiffe de dormir au camping la nuit, et cuire au soleil le jour. « Le miroir pourrait très bien être derrière un mur et la cuisine en dur. C’est viable humainement, économiquement et délicieusement ». Chiche ?