Cet article a été initialement publié sur VICE.
Il y a près de deux ans, tous les passionnés de foot en France se prenaient d’affection pour le Luzenac Ariège Pyrénées. Ce club amateur issu d’une commune de 600 habitants fut en effet empêché d’accéder au championnat professionnel de Ligue 2 malgré une seconde place en National, synonyme de promotion. La décision très contestée revenait à la LFP, l’organisme responsable des deux plus hauts niveaux du football français. Selon son président Frédéric Thiriez, Luzenac ne « remplissait pas les conditions nécessaires en termes d’infrastructures et de sécurité pour se confronter au monde du football professionnel ». Mais pour beaucoup, l’affaire témoignait surtout de l’écart grandissant entre foot amateur et professionnel, où Luzenac, club modeste et familial, n’avait tout simplement pas le droit de citer.
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Pourtant, avec plus de deux millions de licenciés en France, le football amateur n’est pas à l’agonie. Chaque année, des milliers de gamins s’inscrivent dans le club de leur village ou de leur quartier avec l’espoir de briller autant que leurs idoles, de faire plaisir à leurs parents ou plus modestement, de passer de bons moments avec leurs copains. Tous retiendront quelque chose de leur parcours : des anecdotes malheureuses ou euphoriques allant de pair avec des victoires ou des défaites mémorables sur des terrains souvent douteux.
Je ne m’étendrais pas sur mon parcours dans ce sport, qui fut bref et tardif. Ne venant pas d’une famille intéressée par le ballon rond, je n’ai intégré le club de mon patelin qu’à l’adolescence, beaucoup trop tard pour rivaliser avec des types qui chaussaient des crampons depuis leurs six ans. Deux saisons et de nombreuses minutes à cirer le banc ont suffi à me reléguer au rang de spectateur sans que cela ne me fende le cœur. Néanmoins, j’ai conservé un regard attentif sur ce sport qui, par sa popularité et la passion qui l’entoure, reste le théâtre d’histoires fascinantes, dépassant de loin le simple enjeu sportif. J’ai donc recueilli les histoires de footballeurs ou ex-footballeurs amateurs et cherché à savoir combien ce sport avait pu les marquer. Tous racontent des histoires essentielles que les caméras de télévision ne relaieront jamais.
BENJAMIN, 24 ANS, FC FIEF-GESTÉ
Même au niveau amateur, le foot reste suivi et regardé. Ça fait vivre un village. Ce n’est pas forcément gage de réussite pour une bourgade mais, parfois, tu peux compter 500 personnes autour de la main courante lorsque deux clochers voisins s’affrontent. En 2012, devant pas mal de monde, on jouait un match décisif à domicile avec le FC Fief-Gesté pour accéder au niveau régional. Il suffisait de gagner. Quand tu passes une saison à te dépenser tous les dimanches après-midi, et que les résultats suivent, tu te prends au jeu. Et tu finis même par doser tes sorties le samedi soir… Cette saison-là, c’était le top. On était une quinzaine de joueurs entre 21 et 32 ans et on restait toujours ensemble après les matchs. Après notre victoire 2 à 0, ce fut l’euphorie. En général, un match réussi se mesure toujours au nombre de fûts de bière écoulés pendant et après la rencontre. Je crois que le club avait dû en utiliser près d’une vingtaine ce jour-là, ce qui devait donner dans les 500 litres. C’était aussi la fin de la saison : tous les dirigeants de l’équipe sont passés sous la douche. Un bon classique. Ensuite tu chantes, tu sors la bouffe, le vin… Tu restes discuter avec les spectateurs. Des petits vieux t’appellent par un autre prénom mais sont contents, d’anciens joueurs te rappellent leurs propres exploits, des poivrots qui n’y connaissent rien mais t’apprécient quand même… Le soir venu, il ne me semble pas avoir pris la plus grosse cuite de ma carrière de sportif du dimanche, ni même passé de meilleur moment. Mais ce qui était important à ce moment précis, c’était de se dire que, même si tu tapes dans un ballon pour pas grand-chose pendant toute une saison, une victoire comme celle-ci peut quand même te procurer un sentiment de satisfaction incroyable. C’est le charme de la campagne et du foot amateur.
Je suis rentré en boitant au vestiaire à cause d’un tacle sournois au tibia mais ce n’était rien à côté de Dylan qui a reçu les volées qu’il n’avait pas su mettre dans le cadre.
MATHIAS, 37 ANS, VGA SAINT-MAUR
Au départ le football ne m’intéressait pas. Ce sont mes parents qui m’y ont inscrit de force à l’âge de six ans. J’aurais pu détester et pourtant, j’y ai vite pris goût. Deux ans après, ma famille – c’est-à-dire mes parents, mes cinq frères et sœurs et moi – emménageait à Saint-Maur-des-Fossés, une commune limitrophe de Paris. Tout était à reprendre. Je devais me faire de nouveaux potes en dépit de mon caractère introverti. J’ai alors rejoint, de mon plein gré cette fois-ci, le VGA Saint-Maur, l’un des clubs de la ville. Par l’entremise du jeu, j’ai noué de nouvelles relations et réussi à m’intégrer parmi les gosses de mon quartier. En plus, je suis devenu plutôt bon… du moins suffisamment pour qu’on me refile le numéro 10, celui du meneur de jeu. Quelques années plus tard, au collège, je tapais tous les jours dans un ballon que soit avec mon frère aîné, mon équipe ou dans la cour du collège. Là, les petits caïds, ceux que tu évites d’approcher pour rester tranquille, étaient tous fans de foot. Si bien que je me suis retrouvé à jouer face à eux dans la cour de récréation. À la fin du « match », l’un d’entre eux est venu me voir pour me dire que je l’avais « humilié devant ses potes » et qu’à l’avenir, il préférait qu’on ne se retrouve plus face à face sur un terrain. Avec sa bande, ils se sont ensuite pointés aux matchs de mon équipe pour m’encourager. J’avais quatorze ou quinze ans, j’étais toujours aussi réservé, mais constater que je pouvais briller et gagner le respect des autres par le biais du foot, c’est ce qui m’a donné la confiance nécessaire pour avancer par la suite.
Victor, 23 ans, US Crépy-en-Valois
En 1999, j’étais capitaine de l’équipe des poussins de l’US Crépy-en-Valois, dans l’Oise. Un dimanche après-midi, alors que nous étions censés rester au repos, on s’est retrouvé à jouer contre une équipe du coin, l’AS Auger-Saint-Vincent. Le terrain ressemblait à une pataugeoire de boue et l’arbitre, qui devait avoir environ quinze ans, venait simplement filer un coup de main pour un match de jeunes. Mais ça, les parents s’en foutaient. Particulièrement ceux de Dylan, mon coéquipier. C’était leur champion de sept ans et demi qui était sur la pelouse et il n’avait pas le droit à l’erreur. Aussitôt l’entame du match, des « aux chiottes l’arbitre ! » ou « allez, montre-leur Dylan ! » ont retenti sous la pluie battante. On essayait péniblement de jouer malgré la météo, les hurlements hostiles et nos maillots qui nous arrivaient aux genoux. Souillés par la boue et la merde – l’un de nous, malade, s’était littéralement fait dessus –, nous avons perdu largement au bout de vingt minutes. Je suis rentré en boitant au vestiaire à cause d’un tacle sournois au tibia mais ce n’était rien à côté de Dylan qui a reçu les volées qu’il n’avait pas su mettre dans le cadre. L’enfance peut parfois mourir comme les valeurs sportives : debout en crampons. On était des gosses venus jouer au ballon entre copains et on nous a ruinés comme si on se devait d’être les nouveaux Zidane. Depuis ce jour, je hais ces parents en jogging qui élèvent leurs enfants comme s’ils étaient des coqs de combat. On faisait du foot pour se marrer et certains nous ont ordonné un rendement. Ce culte débile de la performance a fini par me décourager de ce sport.
Pierre-Antoine, 29 ANS, US Eguilles
Le football compte pour moi depuis près de vingt-cinq ans et de nombreux souvenirs heureux y sont attachés. Mais curieusement, l’histoire à laquelle je repense le plus souvent en est exclue. J’ai pendant longtemps joué pour l’US Eguilles, le club du village où j’ai grandi, dans les Bouches-du-Rhône. L’ambiance y était excellente : on était une bande de potes, on s’éclatait et aucun esprit de compétition ne venait entraver cela. Si bien qu’à l’adolescence, je chambrais régulièrement l’un de mes coéquipiers qui évitait toujours soigneusement les rencontres face aux équipes venues des quartiers nord de Marseille. Dans la région, leur réputation était mauvaise mais je ne voyais pas l’intérêt d’y prêter attention. Jusque-là, nous n’avions jamais eu de véritables problèmes avec eux. Je devais être en seconde quand l’une de ces rencontres a pris un tournant particulier. Mon grand-père, que je n’avais pas souvent l’occasion de voir, avait fait le déplacement jusque dans ces quartiers pour assister au match contre une équipe locale. J’avais à cœur de lui montrer mes qualités, qu’il soit fier de moi. Mais sur place, tout ne s’est pas déroulé comme je l’avais souhaité. Après dix minutes sur le terrain, un joueur adverse m’a porté un coup violent derrière la tête, sans raison apparente. J’étais complètement sonné par le choc, cherchant du regard l’arbitre qui n’avait rien vu. Je suis devenu un fantôme sur le terrain. Aussi, nous avons perdu sans gloire et la déception m’a submergé dès le coup de sifflet final. Au-delà de ne pas avoir joué comme je le voulais devant mon grand-père, c’est ce choc physique, gratuit, qui m’a profondément marqué. J’ai dû admettre que la violence, même entre jeunes sur un terrain de sport, existait et qu’à présent, je pouvais craindre à mon tour d’aller simplement jouer au foot contre d’autres garçons de mon âge.
À défaut d’avoir aujourd’hui mon nom sur un maillot jaune et vert, je suis devenu chargé de projet d’une agence de communication spécialisée dans le sport.
Jérémy, 24 ans, US Château-Thébeau
Comme la plupart des gamins de Loire-Atlantique, j’étais un fervent supporter du FC Nantes. Tous les ans, je participais à leurs journées de détection au stade Marcel Saupin, qui fut l’antre du club jusqu’aux années 1980 et dans lequel six championnats de France ont été remportés. Le but de ces journées consiste à déceler les joueurs les plus prometteurs et les faire signer au centre de formation du club. En 2001, j’avais dix ans et je sortais d’une saison positive avec l’équipe des benjamins de l’US Château-Thébeau. Ces bons résultats cumulés à mes performances lors de la journée de détection m’ont alors permis d’être présélectionné. Manifestement, les recruteurs appréciaient ma technique et ma « vision du jeu ». J’étais hyper fier et c’était une opportunité dingue qui se présentait à moi. Le souci, c’est que mes parents n’ont pas vraiment partagé cet enthousiasme. Pour eux, j’étais encore trop jeune et l’école restait la priorité. Ils ont coupé court à cette sollicitation. Bien sûr, je l’ai eue mauvaise. Mon rêve d’être footballeur professionnel devenait quand même sérieusement contrarié par leur décision ! Pourtant très vite, je l’ai acceptée. C’était sans doute le meilleur choix à prendre et je restais au moins dans le club de mon village, à courir avec mes potes. Après ça, je ne me suis plus jamais représenté aux journées de détection. Avec le recul, ce n’était pas un mauvais calcul. À défaut d’avoir aujourd’hui mon nom sur un maillot jaune et vert, je suis devenu chargé de projet d’une agence de communication spécialisée dans le sport.
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