Trier ses déchets pour le recyclage, réduire son utilisation de plastique, manger moins de viande, acheter des produits de saison et… partir tous les étés à l’autre bout de la planète ? Bon, on se doute que ce n’est pas génial pour l’environnement, mais cette prise de conscience amène plus d’un voyageur à ressentir une véritable culpabilité à l’idée de s’envoler. Et ces derniers ont raison de s’inquiéter. Les transports aériens sont, aujourd’hui, la pratique la plus polluante de nos jours. Par ordre de comparaison, être vegan correspond à une réduction de 850 kilos de CO2 et ne pas prendre un vol de Madrid à Rio de Janeiro correspond à 5 100 kilos de CO2. Difficile de rivaliser.
Maria, Parisienne de 23 ans, tente tant bien que mal d’agir au quotidien pour le climat. Mais lorsqu’il s’agit de ses vacances, il lui est très difficile de tirer un trait sur ses voyages. « Je pars tous les ans le plus loin possible avec mon copain, on aime généralement faire de la randonnée. Ayant une conscience écologique, à chaque fois que je prends mes billets d’avion, je ferme les yeux, comme si de n’était, même si je sais que ça pollue énormément », raconte-t-elle.
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« Je me dis que je me rattraperais durant l’année en essayant probablement d’être végétarienne »
Un concept est même né de ce sentiment lors de l’achat de nos billets d’avion : le flygskam, un mot suédois, qui francisé donne l’avi-honte ou la honte de prendre l’avion. En Suède, cette culpabilité a permis aux voyageurs de se détourner de l’avion pour se tourner vers d’autres moyens de transport ( avec une baisse de 3,8% du nombre de passagers en 2019). Mais ce n’est pas le cas de la France où le trafic n’a fait qu’augmenter, jusqu’à l’arrivée de la crise sanitaire et dont le rythme a repris de plus belle en 2022.
Cet été, Maria se rend au Vietnam pour trois semaines. Après deux années sans voyager à l’étranger à cause de la crise sanitaire, la jeune femme ressent un terrible paradoxe. « J’avais vraiment envie de voir quelque chose de dépaysant. Il faut dire que les réseaux sociaux n’aident pas, il y a plein de photos qui donnent envie. Et en même temps, le Covid nous a montré à quel point l’absence de transport aérien était bénéfique pour le climat. Je me dis que je me rattraperais durant l’année en essayant probablement d’être végétarienne », déclare-t-elle, un brin coupable. Malheureusement, même si Maria tient sa promesse, cela ne pourra pas compenser son aller-retour Paris-Hanoï.
L’ONG écologiste Greenpeace regrette le manque d’information autour de l’impact des transports aériens. Alexis Chailloux, responsable de l’engagement citoyen chez Greenpeace France est à l’origine d’une étude sur le rapport des jeunes Français aux transports. Si beaucoup estiment vouloir faire des efforts concernant leurs voyages dans les airs, ils sont très peu à connaître le véritable impact de ce transport. Seulement 12% des jeunes identifient les déplacements en avion comme le poste de consommation le plus polluant, loin derrière les emballages et les déchets.
Il est encore difficilement concevable pour beaucoup de personnes de faire des efforts environnementaux lorsqu’il s’agit de leurs vacances. « On travaille toute l’année, on fait attention à l’écologie et quand on part en vacances c’est le moment où on a envie de s’extraire du quotidien et de toutes les contraintes possibles. Mais c’est vraiment dommage car en quelques heures de vols, vous allez ruiner tous les efforts que vous avez fait toute l’année », affirme Alexis Chailloux.
Et le tourisme de masse n’a fait qu’accélérer la pollution liée au transport aérien. Entre 2009 et 2013, l’empreinte carbone mondiale du tourisme est passée de 3,9 à 4,5 milliards de tonnes en équivalent CO2, représentant environ 8 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. On estime par ailleurs que le tourisme génèrerait 11 % des émissions de gaz à effet de serre de la France.
Lors de l’appel à témoignage de cet article, nombreux sont ceux qui rejettent la faute sur des personnalités publiques. « De toute manière Castex ne se gêne pas prendre un jet pour un oui pour un non » ou encore « l’avion décollera et polluera avec ou sans moi dedans » font partie du florilège de réponses que la rédaction de Vice France a pu recevoir. Des arguments irrecevables pour Greenpeace : « Si la demande baisse, mécaniquement l’offre baisse aussi ».
Certains parviennent tout de même à passer le cap de la culpabilité et choisissent d’arrêter totalement le voyage en avion. C’est le cas d’Anthony, Lillois de 29 ans. Son dernier voyage remonte à 2019 où il a visité les îles portugaises des Açores. Déjà très engagé, chaque voyage en avion le culpabilisait énormément. Après avoir entendu parler du Flygskam, il a pris la décision de ne plus jamais prendre l’avion. Un choix qui a forcément des conséquences sur ses relations notamment son couple : « Ce n’est pas forcément facile dans mon couple. Ma compagne est assez consciente des enjeux environnementaux mais c’est plus bloquant pour elle de ne plus prendre l’avion. Elle a beaucoup plus voyagé que moi dans sa jeunesse et a un rapport au voyage plus fort. » Anthony tente de faire des compromis et cherche des destinations atypiques, disponible en train, pour ne pas bouleverser les habitudes de voyage de sa compagne. Cet été, le couple ira en Europe centrale.
Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, voyager sans passer par la case aéroport n’est pas économique. Les billets de train sont généralement plus chers que ceux de l’avion. Le couple de Bo, 43 ans et Christian, 65 ans, a aussi fait le choix de ne plus prendre l’avion depuis 2018. Que ce soit en ferry, en train ou encore en vélo, tous les moyens sont bons pour leur éviter de passer par les airs. « Cela demande un effort sur des longs trajets avec des problèmes de correspondances et la nécessité de passer une nuit dans un hôtel, ainsi que le temps passé dans les transports », affirme Bo.
Entre le développement de low-cost aérien et du greenwashing, les avions attirent forcément de nombreux voyageurs. Le coût du trajet est le premier critère de choix du mode transport pour 34% des jeunes interrogés par l’étude de Greenpeace.
Et les compagnies rivalisent d’ingéniosité pour dédramatiser leur impact climatique comme nous le raconte Henri Mora, auteur d’un récent ouvrage sur le sujet Désastres touristiques : Effets politiques, sociaux et environnementaux d’une industrie dévorant aux Editions L’Echappée. « Le marché s’est adapté pour répondre aux inquiétudes des clients et apporte des réponses qui vont dans son sens. » Pour les compagnies aériennes, cela se traduit par des billets plus chers dont une partie du prix sera investie « dans des projets qui évitent ou captent une quantité de CO2 équivalente à celle de tous [leur] vols domestiques », comme le soulignait une publicité diffusée par Air France en 2020. « Il s’agissait pour cette compagnie aérienne, en attendant les innovations futures de l’aviation, d’investir dans des programmes de reforestation, de protection des forêts ou encore d’énergies renouvelables. Le client peut ainsi continuer à prendre l’avion avec l’impression de « sauver la planète » en produisant davantage. »
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