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Crime

Attentats en Égypte, les journalistes feraient mieux de suivre la ligne du gouvernement s'ils ne veulent pas finir en prison

Les journalistes, qui publieraient d’autres informations que celles fournies par l’État sur le nombre de victimes d’attentats, pourraient encourir une peine de 2 ans de prison, selon une nouvelle loi antiterroriste.
Photo par Mohammed Abdel-Muati/AP

L'Égypte prévoit de mettre en application une loi qui permettrait de renforcer la répression contre les médias dans le pays. Dans le contexte de récentes attaques terroristes, cette législation permettrait notamment de condamner à une peine de prison les journalistes qui contredisent les déclarations et les statistiques officielles.

Cette nouvelle loi contre le terrorisme, établie ce dimanche, vise en partie les journalistes qui publient des bilans d'attentats (ou toute autre information) qui diffèrent des informations diffusées par l'État. Les reporters qui ne respecteraient pas la loi risquent une peine de 2 ans de prison.

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Un article de la loi, qui doit encore être approuvée par le président égyptien, Abdel Fattah Al-Sissi, note que ceux qui rapportent « de fausses informations sur les attaques terroristes et qui contredisent les déclarations officielles » seront punis de 2 ans de prison, au minimum. Selon l'AFP, la loi prévoit aussi des expulsions du pays ou de la résidence surveillée pour les journalistes fautifs.

Cette annonce fait suite à une série d'attaques coordonnées sur des check points de l'armée égyptienne par un groupe affilié à l'organisation terroriste État islamique, qui se fait appeler la « Province du Sinaï ». L'armée a été la cible de ces attaques mercredi de la semaine dernière, aux alentours de la ville de Sheikh Zuweid, dans le nord du Sinaï. La « Province du Sinaï » a ensuite fait le siège du poste de police central de la zone pendant plusieurs heures, pendant lesquelles de violents combats ont éclaté.

L'armée avait annoncé que 17 soldats et 100 assaillants étaient morts au cours de la journée de mercredi. Mais des officiels sécuritaires et médicaux, cités par des médias locaux et internationaux (dont l'Associated Press), avaient déclaré qu'au moins 60 militaires avaient été tués — ce qui ferait de l'attentat de mercredi, l'attaque la plus meurtrière dans la zone depuis la guerre de Kippour en 1973.

« J'espère que personne ne va interpréter ça comme une entrave aux libertés de la presse. Il s'agit juste des chiffres. »

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Le Brigadier général, Mohamed Samir, a confié au journal d'État, Al-Ahram, que l'armée « était engagée dans deux guerres » contre les terroristes et les médias, et a accusé les médias internationaux de faire état d'un bilan humain plus lourd pour « miner le moral des Égyptiens, » comme le note le Financial Times.

D'après le ministre de la Justice, Ahmed Al-Zind, le fait de menacer des journalistes de peines de prison (s'ils contredisent la ligne officielle d'un gouvernement qui se veut de plus en plus autoritaire) ne met pas en danger la liberté de la presse dans le pays. « Nous n'avons pas d'autre choix que de mettre en place certaines règles, » déclare Al-Zind à l'AFP. « Le gouvernement a pour devoir de défendre les citoyens contre de fausses informations… J'espère que personne ne va interpréter ça comme une entrave aux libertés de la presse. Il s'agit juste des chiffres. »

Le ministre des Affaires étrangères du pays a aussi fait passer certaines consignes pour les journalistes étrangers. Ceux-ci devront désormais respecter une certaine terminologie pour parler des « groupes terroristes ». Les termes « djihadistes », « fondamentalistes » et même « État islamique » (tout comme les acronymes « ISIS [Islamic State of Iraq and ash-Sham] » et « ISIL [islamic State of Iraq and the Levant] » qui sont utilisés dans la presse anglophone pour se référer à l'EI) sont désormais interdits. À la place, les journalistes devront opter pour « bouchers, bourreaux, assassins, meurtriers, destructeurs, éradiquateurs, » pour se référer aux groupes terroristes.

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Rapidement, des critiques de ce nouveau projet de loi se sont fait entendre, alors que le pays est engagé dans une campagne de répression des médias. 18 journalistes sont actuellement derrière les barreaux en Égypte — un record, selon un rapport du Committee to Protect Journalists (CPJ), publié le mois dernier.

« Faire encourir une peine de prison pour la publication d'une information, dont la manière dont le gouvernement rend compte d'un évènement,  rentre en contradiction avec la Constitution égyptienne et la liberté de la presse, » explique à VICE News, Sherif Mansour, le coordinateur de la région Moyen-Orient pour le CPJ.

« La fonction première du journaliste dans toute société démocratique est d'examiner minutieusement les actes du gouvernement, et l'Égypte ne peut pas faire exception… Puisque le pays met un nombre record de journalistes en prison, principalement au titre de la sureté nationale ou du contre-terrorisme, cette nouvelle loi donne encore plus de pouvoir au gouvernement pour écraser les voix indépendantes et critiques qui subsistent à l'intérieur du pays. »

L'attaque du Sinaï est le dernier incident en date venu d'une insurrection de grande envergure qui met au défi le président Al-Sissi. La semaine passée, le procureur Hisham Barakat a été tué au Caire lors d'une attaque à la voiture piégée. Des terroristes ont tué des centaines de membres des forces sécurité dans le Sinaï depuis 2 ans — date à laquelle le président islamiste, Mohammed Morsi, démocratiquement élu, avait été déchu du pouvoir par l'armée menée par Al-Sissi.

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La « guerre contre le terrorisme » du gouvernement n'est pas parvenue à contenir la violence, malgré des mesures sécuritaires strictes, comme la mise en place d'un couvre-feu, une recrudescence de la présence militaire, et l'application d'une zone-tampon le long de la bande de Gaza. Cette insurrection sert aussi de prétexte pour renforcer les dispositifs de sécurité et attaquer les — désormais bannis — Frères musulmans de Morsi, qui seraient responsables des violences selon les autorités.

Le gouvernement d'Al-Sissi a lancé une répression d'envergure contre les partisans des Frères musulmans, suite à la déchéance de Morsi. Des centaines avaient été tuées, et des milliers mis en prison. En décembre, le groupe a été placé sur la liste égyptienne des organisations terroristes. Des centaines de partisans ont aussi été condamnées à mort lors d'auditions publiques. Morsi a lui aussi été condamné à mort avec d'autres membres historiques des Frères musulmans — mais il a fait appel.

Les ONGs et les groupes politiques ont aussi été la cible d'attaques.

Suite à la mort de Barakat, le ministère a fait passer une nouvelle loi antiterroriste permettant d'accélérer la procédure d'appel. Des critiques se sont élevées, arguant qu'il s'agissait d'une restriction des droits légaux fondamentaux. Pour Al-Sissi, la mesure permettrait de confronter les terroristes à la justice plus rapidement.

 La semaine dernière selon l'Associated Press, les forces spéciales ont éliminé 9 membres des Frères musulmans, dont un membre du gouvernement de Morsi, lors d'un raid dans un appartement du Caire.

La liberté de la presse s'est dégradée sous le règne d'Al-Sissi. D'après les journalistes locaux et internationaux, la situation actuelle est tendue comme jamais, avec de plus en plus de médias indépendants se pliant à la version du gouvernement. En octobre 2014, un groupe de rédacteurs en chef égyptiens a même publié une déclaration dans laquelle ils promettaient de limiter les articles qui montrent les institutions sous un mauvais jour.

Pendant ce temps, les journalistes étrangers, sont souvent accusés d'être des agents envoyés pour déstabiliser l'Égypte. Ils sont régulièrement attaqués par d'étranges groupes lors de manifestations. Suite à quoi, ils sont détenus par les forces sécurité.

Le correspondant au Caire pour le quotidien espagnol El Pais, Ricard Gonzalez a récemment quitté le pays après un avertissement des autorités espagnoles, le prévenant de son arrestation à venir. Dans un récent article, publié depuis l'Espagne, il expliquait ne toujours pas comprendre pourquoi il avait été ciblé. Les trois journalistes d'Al Jazeera condamnés pour terrorisme — dans des conditions étonnantes — sont actuellement rejugés. L'un d'entre eux, Peter Greste, a pu être extradé, mais les deux autres sont toujours coincés dans un certain flou juridique.

Suivez John Beck sur Twitter : @JM_Beck