Life

À quel point votre vie change quand vous perdez votre odorat

Sabrina ne trouve de réconfort ni dans ses plats préférés, ni dans l'odeur de ses proches.
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR
NP
propos rapportés par Nora Pauelsen
Je ne sens plus rien
Une femme, qui n'est pas celle de l'article, renifle de délicieuses frites. PHOTO : BODNARPHOTO/ADOBE STOCK

Sabrina Hentzgen a perdu son odorat après un traumatisme crânien. Depuis, elle vit dans un monde neutre, où elle ne prend plus plaisir à cuisiner ni à manger, et où l'odeur salée de l'océan lui manque. Elle nous raconte comment sa maladie affecte sa vie au quotidien.

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Après mon accident, quand mon fils de quatre ans m'a serrée dans ses bras, j'ai su que quelque chose n'allait pas. J'ai posé ma tête sur son épaule et j'ai poussé un grand soupir de soulagement, mais quand j'ai inspiré, je n’ai pas senti son odeur pourtant familière. En fait, je ne sentais rien du tout.

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J'étais à l'hôpital avec le nez cassé. Rien de grave, je m’étais pris les pieds dans l'aspirateur et je m’étais cogné la tête sur le bord de la table. Mais je me sentais de plus en plus mal. Quatre jours plus tard, ils ont trouvé une hémorragie dans mon cerveau.

Je suis restée en arrêt maladie pendant quatre mois. Je peinais à trouver les mots pour désigner des choses que je connaissais très bien, un peu comme quand on fait un AVC. Les choses se sont améliorées avec le temps, mais une fonction de mon cerveau est restée gravement endommagée.

Plus tard, j'ai découvert que je ne pouvais plus déceler les goûts et les odeurs, parce que je souffrais d’anosmie. C'est un handicap qui survient soit avec l'âge, soit après un accident. En chutant, je me suis déchiré les filets du nerf olfactif, dont la principale fonction est de traiter les informations olfactives, de sorte que les stimuli sensoriels ne peuvent plus atteindre mon cerveau.

Eine Frau hält ein Baby

Sabrina et son fils. Photo publiée avec son aimable autorisation.

Beaucoup de gens retrouvent leur odorat et leur goût après les avoir perdus, mais comme je ne vois aucun signe d'amélioration, un an après l'accident, j'ai peu d'espoir.

Depuis, je vis dans un monde neutre. Ma vie a complètement changé. Avant, j'avais un odorat puissant. Ce problème m'affecte de tant de façons. Nous avons déménagé près de la mer Baltique, mais je ne sens plus l’iode, ni la pluie d'été, ni l'herbe fraîchement tondue. Certaines odeurs ne vivent que dans ma mémoire.

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Je me débats aussi avec mon goût. Plus personne ne me demande : « Ton plat est bon ? », mais : « La consistance te convient ? » C'est pourquoi je mange surtout des légumes croquants et beaucoup de gaufres, parce qu'elles sont moelleuses. Je ne mange pas beaucoup de viande parce que la texture est bizarre sans le goût. Je bois des Spritz parce que je perçois un peu d'amertume, rien de plus.

Je cuisine encore, bien sûr, mais ce n'est pas pareil. Je fais parfois des pâtes avec de la sauce tomate parce que j'adorais ça. Je suis excitée par le goût, mais quand je mets la première cuillerée dans ma bouche, il ne se passe rien. C’est un peu salé, rien de plus. C'est déprimant. Mon plat préféré était un filet de bœuf aux brocolis et aux pommes de terre, mais je ne veux plus en manger. Je préfère m'épargner la déception de ne rien ressentir.

Ça peut parfois être dangereux. Une fois, j'ai oublié des boulettes de viande dans le four et ma cuisine a failli brûler. Je suis souvent un peu paranoïaque, surtout pendant l'été. Je me demande tout le temps : « Mince, est-ce que je sens la transpiration ? » Je me frotte davantage sous la douche. Cette sensation de fraîcheur me manque. Comment puis-je savoir si je suis propre ?

Mon fils m'aide tous les jours. Je suis récemment allée dans une parfumerie et j'ai demandé à la vendeuse de me trouver un parfum qui sentait comme moi. Après que je lui ai parlé de mon problème, elle a vaporisé du parfum sur un échantillon, l'a donné à mon fils et lui a demandé : « Est-ce que maman sent comme ça ? » C'était vraiment gentil.

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Ce que je n'avais pas prévu, c'est à quel point ce trouble m'affecterait sur le plan psychologique. Je ne me sens pas moi-même. Je suis une thérapie pour essayer de travailler sur ces sentiments. C'est difficile de supporter une perte aussi soudaine.

J'ai récemment reçu un diagnostic officiel sur papier pour mon anosmie, ce qui a été un soulagement. Le fait d'avoir la maladie par écrit permet aux gens de la reconnaître plus facilement et de ne pas la remettre en question tout le temps.

S'il y avait un médecin qui pourrait m'aider, j'irais le voir – mais il n'y en a pas. Pendant longtemps, j’ai épluché Google à la recherche de spécialistes pouvant m’aider à retrouver mon odorat. Maintenant, j'ai fini par l'accepter.

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