Jeunes réfugiés palestiniens jordanie
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Ces jeunes réfugié·es palestinien·nes photographient leur quotidien

« Les jeunes réfugiés ont tant à dire, mais on ne les écoute pas. »

On a tou·tes vu ces photos de migrants sur des canots de sauvetage essayant de rejoindre l'Europe. Toutes ces images ont été prises de notre point de vue occidental, mais que se passerait-il si on inversait la situation en donnant aux réfugié·es la possibilité de prendre elleux-mêmes des photos de leur situation ? C'est l'idée qu’a eue Shirin Rabi, une photographe et éducatrice belge qui s'est rendue au camp de réfugié·es de Rusayfah, en Jordanie. Elle a donné à huit jeunes palestinien·nes l'occasion de photographier leur vie quotidienne afin de nous sensibiliser sur les questions de migration et aux conditions dans lesquelles iels vivent.

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VICE : Hey Shirin, peux-tu nous expliquer ce que tu es allée faire en Jordanie ?
Shirin : Je suis allée en Jordanie dans le cadre de mes études et j'ai élaboré un projet photo de trois semaines dans le camp de réfugiés de Rusayfah, avec l’aide d’une organisation locale. L'idée était de donner des appareils photo aux jeunes réfugié·es palestinien·nes pour qu'iels puissent raconter leur propre histoire à travers des images. Iels devaient explorer différents thèmes tels que l’image de soi, le foyer, les personnes les plus importantes dans leur vie, etc.

Quelle était l'idée de base de ton projet ?
Je voulais surtout transmettre des compétences photographiques à ces ados, mais je voulais aussi travailler le storytelling. Les jeunes réfugié·es ont tant à dire, mais on ne les écoute pas. En prenant des photos, iels pouvaient ensuite partager leur histoire avec le reste du monde. Je voulais aussi créer une prise de conscience. Un jour, sur le chemin vers l'aéroport en fait, j'ai parlé à une femme en Flandre qui m'a dit : « Ah, je pensais que tous les réfugié·es étaient chez nous. » Pour moi, c'était une confirmation de plus que notre perception de l'immigration est erronée. Le nombre de réfugié·es dont on se plaint en Belgique n'est vraiment rien comparé à celui dans le camp de Rusayfah.

Quel genre de relation avais-tu avec les participant·es ?
Je gardais une certaine distance, mais la relation entre nous s'est développée. Par exemple, à la fin du projet, Tareq, l’un des jeunes, a chanté des versets du Coran pour moi. Il l'a fait avec tant de passion, c'était très intime. Leur relation les uns envers les autres a également évolué. Par exemple, à la fin du projet encore, le garçon le plus dur et le plus rebel du groupe en a pris dans ses bras un autre, qui était beaucoup plus introverti. C'était super de voir ces amitiés se développer.

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Quelle était leur opinion sur la situation des réfugié·es et comment cela se traduit dans leurs photos ?
Iels veulent que la situation en Palestine change pour pouvoir rentrer dans leur pays et se sentent impuissant·es face à ce qui se passe : iels ont été forcé·es de quitter leur pays pour lequel iels ont tant d'amour. L’une des filles a pris une photo de ce paysage et a dit : « J'aime regarder cette vue depuis les montagnes, parce qu'elle me rappelle ma patrie. »

Y avait-il des choses dans le camp que les jeunes avaient du mal à photographier ?
Une chose que les jeunes ont trouvé difficile à photographier, ce sont les gens. Je n'y aurais pas pensé, puisque je me sens à l’aise avec ce type de photos. C'était différent pour les jeunes, parce que réfugié·es du camp n'y sont pas habitué·es et se demandaient pourquoi on prendrait des photos et ce qu'on allait en faire. Les participant·es devaient avoir le réflexe de marcher dans la rue avec l'appareil et parler aux gens.

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Mohammed l'a fait avec des enfants par exemple.
Oui. Il ne connaissait pas personnellement ces deux enfants. Iels étaient là par hasard. Il les a photographié·es parce qu'il pensait qu'il fallait investir davantage dans l'hygiène et la santé. Il y a beaucoup de déchets dans ces camps et les enfants, comme sur la photo, y jouent et y marchent. Ce n'est pas hygiénique, mais iels n'y pensent pas vraiment parce qu'iels y sont né·es.

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Un autre sujet pour les photos était : « Que voulez-vous changer ? » Avec quelles photos les jeunes ont-iels répondu à la question ?
L'un des participants a répondu : « le peuple jordanien », ce qui voulait dire pour lui qu’il fallait changer la politique et le système. Il a aussi pris une photo d'une affiche électorale. Mais curieusement, quand il a commencé à exprimer ses frustrations au sujet du système, les autres ont réagi en s'énervant : « Oh, arrête ça. On ne devrait pas parler de ça maintenant. » Mais je peux comprendre la réaction de ce jeune : iels ne veulent plus être considéré·es comme des réfugié·es et des profiteur·ses. Si vous êtes traité·e comme un·e réfugié·e, vous ne vous sentez pas vraiment intégré·e à la société. Vous n'avez pas les mêmes possibilités, ce qui signifie que les réfugié·es sont de toute façon à la traîne par rapport à la population jordanienne.

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Quelle est ta photo préférée ?
La photo de la robe traditionnelle palestinienne, parce que je trouve son histoire très belle. La fille qui a photographié la robe en voulait une pendant des années, mais elle n'avait pas les moyens. Lorsqu’elle a obtenu son diplôme, sa mère a passé des semaines à fabriquer cette robe pour célébrer la fin de ses études.

Es-tu toujours en contact avec ces jeunes ?
C'est difficile à cause de la barrière de la langue, parce que je ne parle pas arabe et leur anglais n'est pas toujours clair non plus. Aya, une des participante, a pu traduire un peu sur place. C'était très mignon, car en plus d'être mon interprète, elle avait aussi le sentiment qu'elle devait me protéger. Elle était gênée, par exemple, quand les garçons faisaient une blague grossière. Pour revenir à ta question, oui, je suis toujours en contact avec elleux ; on a pas toujours besoin de mots pour se comprendre. Souvent, on se contente de likes, de coeurs, de « tu me manques », ou « reviens en Jordanie » sur les réseaux.

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